Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
11 juillet 2021

Environnement d'art

Un environnement d’art est toujours le lieu d’un grand développement intellectuel et d’une particulière disposition morale. C’est qu’on y prend l’habitude de reconnaître et de juger dans toute performance artistique une réussite ou un échec par l’analyse d’une plus ou moins parfaite efficacité des effets – ne serait-ce que des effets produits sur soi –, et à force d’interroger leur processus, cette interaction de la production et de son intimité, on réalise une réflexion qui perfectionne le sens critique et qui instruit le double questionnement des critères du travail d’un artiste et ceux de sa propre et singulière réception d’une œuvre d’art. Un enfant issu d’un milieu environné d’art dispose toujours d’un sens de l’effort plus élevé ainsi que d’une plus profonde compréhension de lui-même ; il est aussi plus empathique, parce qu’une œuvre d’art donne à quelque niveau à se mettre à la place du créateur, en particulier pour vérifier d’une part en soi-même ses raisons et, d’autre part, si l’on ne trouve pas des procédés plus propres à matérialiser ces raisons. L’introversion en art sert d’une certaine manière le sentiment de la rivalité ou du moins del’émulation, parce qu’un habitué d’art se compare à l’artiste, se mesure à lui, et c’est le résultat de cette estimation qui permet de juger s’il doit l’admirer ou le négliger. Quand une personne acquiert précocement ce sens en une imprégnation qui n’est pas le lot ordinaire (car pour l’ordinaire qui ne fréquente l’art que par occasions de sorties, l’art est un simple spectacle, un divertissement qu’on paye sans beaucoup s’interroger sur ses qualités et ses vertus ; alors, le témoin se contente d’y assister), quand il ne se questionne plus s’il doit critiquer l’œuvre ou seulement en profiter, lorsque le mouvement minutieux de l’intellect devient automatique et s’accompagne du plaisir et de la sensation au lieu de les exclure parce que l’être est devenu capable de jouir et d’évaluer alternativement et ensemble (un véritable amateur de cinéma, par exemple, à la fois se plonge dans l’intrigue du film et comptabilise les effets de réalisation ; l’un n’annule pas l’autre, les deux se complètent au point que, dans un second degré esthétique qui est l’apanage du critique rompu à l’art, une « technique » judicieuse pourra même asseoir l’émotion de la fiction par l’impression d’une excellence délicieuse ou vertigineuse de l’artiste), quand il en est venu à porter habituellement son regard sur l’art en tâchant d’évaluer intentions et conformités, alors il étend naturellement ce sentiment à tout ce qui l’entoure, il assimile les choses de son expérience, remonte aux causes et intègre ce domaine d’exactitude à sa propre personne ; il se forme une idée, une ampleur, attestée et démontrée par un réseau abondant de preuves, de ce que peut produire et signifier l’excellence. Cette étroite exigence avec laquelle il a inconsciemment appris à regarder le monde l’engage ; il devine qu’un artiste est un être de volonté, de conscience, d’effort, de puissance, en un mot : un individu. Il a un accès quotidien à une sphère qui n’incombe qu’à peu de gens de son âge, particulièrement à notre époque, celle de la tentative de conformité de l’intention et du fait (ou de l’effet) qui est, on le comprend, une sphère toute voisine de la vérité : cet enfant reçoit l’ancrage, si l’on peut dire, de l’intuition de la nécessité d’être juste, comme propreté, comme probité intrinsèque. On ne doit pas s’étonner qu’un « enfant de la balle », inondé d’art, dépossédé de divertissements bêtes et accapareurs et qu’on attache foncièrement à l’intérêt esthétique, soit plus profond que les autres : il considère, il signifie, il induit, il fait de l’humain un matériau principal, et, comme la plupart des hommes qui se présentent à lui sont des penseurs d’effets, c’est cet homme élaboré qui est sa norme, et pas le contemporain ordinaire sous influences et à la réflexion si fragile. On constate toujours qu’un enfant de l’art est beaucoup plus intègre que ses camarades qu’il ne saurait comprendre à défaut de les mépriser : il vit en lui-même ; si on lui demandait, il ne répondrait pas que ses troupeaux d’êtres sont des hommes, cela le trouble au fond toujours un peu qu’on puisse exister aussi évanescent, aussi vague, aussi léger et vide, aussi différent en somme que ce qu’il estime indispensable et nécessaire. L’art devient bien sûr un contexte de solitude, mais dès son initiation le dilettante apprend que l’appropriation de l’art isole, isole en soi-même, que l’art produit ou reçu, en l’unicité régulière de positions auxquelles il oblige, est un isolement : cette habitude atténue ou abolit la douleur potentielle de se sentir différent. En somme, il y a dans l’usage réitéré et accompli de la contemplation et de l’examen de quoi orienter la personnalité vers l’individu véritable, vers l’être conscient, cohésif, curieux, réflexif et sensible : cet usage ne saurait être prématuré dès qu’il constitue un environnement uniforme, l’ambiance essentielle d’une existence, l’omniprésente maturation qui conditionne toutes formes d’exigences relatives à l’humain ; c’est un terreau favorable, quoiqu’intempestif pour ne pas dire rétrograde, à ces valeurs qu’on tend à qualifier d’aristocratiques et d’élitistes, notamment la curiosité de l’altérité et le goût de l’effort, mais qui peuvent se développer aussi bien dans des couches socialement modestes que privilégiés, partout où l’on n’admet pas l’art comme un amusement populaire ou comme une pavane intellectuelle. Même en campagne, même loin des musées et des théâtres, on rencontre de tels enfants envahis d’esprit artistique, de goût de la mesure et de recherche des motifs, aux degrés de développement « humaniste » plus ou moins profonds selon l’univers d’origine : ce n’est pas nécessairement que ces enfants soient initiés à l’art au moyen de cours spécifiques ou d’une prise en charge parentale très assidue, mais c’est que tout le contexte de leur vie quotidienne est associé à une conception artistiquement réflexive de l’existence ; une forme d’art, une façon de singularité de pensée, de différence et de distinction de leur famille, les assiège et les assaille de toutes parts, et c’est bien une pensée et non une fatalité qui les singularise, une volonté de grandeur, ce qu’on perçoit rien qu’à entendre la manière dont leurs parents s’adressent à eux comme à des individus matures plutôt qu’à des adolescents défectueux ; ils doivent non pas être adultes, ce n’est pas une façon qu’on a de les « obliger à vieillir », mais ils ne connaissent pas d’autre possibilité que de songer à des choses, à des gens et à des faits, en quoi on suppose parfois bêtement qu’on leur a « volé leur enfance » pour ce que l’intelligence de leurs perceptions s’oppose à l’abrutissement qu’on prête aux heureux lorsqu’ils sont imbéciles. Ils ne font pas étalage, certes, de leurs satisfactions par toutes sortes de gamineries lamentables qui se situent en-dessous de leur âge et en-dessous de l’âge de tous ceux qui les manifestent ; ils sont calmes, savent rire, ne craignent pas le retrait et savent aventurer leur pertinence ; ils n’ont pas de honte, bien que la mesure et la violence inconsidérée de l’homme moyen puissent l’effrayer, ils disposent d’une sorte de sagesse retirée qui signale avec justesse celui qui n’est pas tous dehors et forfanteries. Ces enfants sont des jeunes hommes ou des jeunes femmes, pas du tout des caricatures d’êtres comme on compte malheureusement beaucoup d’enfants gesticulant bruyamment sans raison. L’art les a ciselés sans qu’ils s’en soient rendus compte ; ils reconnaissent la mesure du travail ; cette reconnaissance de la qualité est une profonde boussole en eux qui, sans obsession ni plus qu’une subtile influence inconsciente devenue leur norme de sensibilité et de perception, les guide, et pousse leur intelligence à des excellences que, faute de pouvoir toujours atteindre, ils prennent comme repères, comme modèles, comme témoins au moins partiels de véritables accomplissements.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité