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Henry War
5 août 2021

Valérie Cormier

J’ai hésité longuement avant d’écrire un texte qui pourrait correspondre aux attentes de Monsieur War. J’ignore même si je souhaite, au fond, faire partie des Féaux. Hésitation étrange, paradoxale, quand on est, comme moi, fervente admiratrice d’une pensée inédite et claire, intelligente et intelligible, rédigée dans une langue pourtant impeccable et j’ose dire : pour l’heure inégalable. Je ne fais pourtant point d’éloges afin d’être sélectionnée, de faire partie des élus. Je sais premièrement que c’est tout à fait inutile de corrompre un Individu. Je ne sais, à présent, plus exprimer autres choses que des vérités, voilà tout. Je n’ai d’ailleurs compris que dans les grandes lignes ce que seraient les Féaux, au juste. Il y a eu méprise de ma part, je le crains. J’ai d’abord songé à une sorte - et cette idée me réjouissait infiniment - de groupe philosophique, de saine émulation de pensée, d’alliance d’intelligences diverses et cependant regardant et visant le même ciel. En somme, d’un groupe se sentant en marge du contemporain, se défiant de proverbes et méprisant la pensée commune. Des lutteurs orgueilleux, à contre-courant, de travailleurs acharnés, ultimes résistants dans un monde aussi affligeant qu’hostile et vil, ne partageant ni leurs valeurs ni leurs molles et absurdes vertus. Je crois m’être un peu fourvoyée. J’ai réalisé depuis qu’il était plutôt question d’art, et la nuance est, pour moi, d’une grande importance : réunir les meilleurs artistes ou les plus fins esprits n’est pas exactement la même démarche. J’ai souvent lu des fictions impeccables, des récits fort bien ciselés, des vers superbes, dont je ne suis pas encore capable, et pour autant leurs auteurs m’ont ensuite fort déçue par de piètres esprits, étriqués et communs. Je ne saurais m’entendre et travailler avec des artistes, aussi bons soient-ils, qui sont incapables de réfléchir en Individus. Je ne déconsidère pourtant pas l’art, seulement il ne peut suffire à mon avis. J’ai moi-même beaucoup à apprendre, un style à travailler, des efforts à fournir pour être à la hauteur. Je sais que là est ma faiblesse, qu’on me dépasse nettement en écriture. Cependant, ma raison, ma pensée, elles, ont suffisamment évolué pour que je puisse me croire digne de rejoindre une élite, sans rougir d’ailleurs de mes lacunes d’écriture, puisque j’ai l’objectivité de les reconnaître et le profond désir de les corriger. 

Toutefois, le sujet du concours, par ce qu’il semble une discrimination tout aussi philosophique qu’artistique, m’a rassurée et laissé espérer encore. Un tel thème ne peut attirer des imposteurs, ou alors ils y seraient démasqués. En cela, Monsieur War, votre concours est une première réponse à la question que vous posez. Améliorer l’homme contemporain doit passer d’abord par un état des lieux : on n'améliore rien ni personne sans dresser le bilan de ses failles et de ses faiblesses. Voici pourquoi le choix de votre sujet était ingénieux, en ce qu’il sélectionne d’emblée et sur des critères aussi objectifs qu’éliminatoires. Et j’espère, mais je n’en doute guère, que cette première sélection sera intransigeante, même si je dois en faire les frais. 

Pour améliorer l’homme contemporain, il faut d’abord le mépriser et non le flatter, pointer du doigts ses manquements plutôt qu’exagérer ses vertus, boycotter la médiocrité sous toutes ses formes, cesser les complaisances envers les immobiles, les considérer comme une autre espèce, trop éloignée de la nôtre pour qu’une communication soit envisageable. Vous le savez bien, et mieux que moi : vous avez écrit Du Feu aux poudres. Pour améliorer l’homme contemporain, et après lui avoir abondamment indiqué ses fautes, il faut rétablir le grand mépris, dédaigner fort quiconque est inférieur, quiconque ne souhaite pas s’élever et ne respecter que ses égaux, aider ceux qui peinent à progresser mais uniquement s’ils se donnent du mal. Il faut cesser l’amour universel, n’aimer que celui qui nous est au moins égal et n’admirer que ce qui nous est supérieur, non d’un amour contemplatif, mais d’un amour compétitif, c’est-à-dire aimer le plus grand en tachant toujours de le rejoindre et en visant à le dépasser. Aucun individu ne devrait se contenter de ce qu’il est, même quand il est haut, voire très haut. Au contraire, ces hauteurs sont dangereuses en ce qu’elles aveuglent, contentent et font oublier qu’un Individu est toujours, toujours, une version de lui-même améliorable. On ne pourra améliorer le contemporain sans changer de valeurs, sans renverser toutes les valeurs. Ce sont évidemment les valeurs travail, effort réel, dépassement de soi et des autres qui doivent constituer des fondations neuves, ainsi que la recherche constante de la pure et saine vérité.

Flaubert a écrit : « Dire la vérité, c’est être immoral », et je crois cette citation foncièrement juste, reformulée ainsi : la morale s’oppose à la vérité, et donc par extension s’oppose à l’amélioration de l’Individu. Voilà un autre élément de ma réponse : pour s’améliorer, il faut commencer par se défier de toute morale, réinterroger tous les préceptes à l’aune de la vérité, qui doit remplacer urgemment toute loi morale et devenir la fin et le moyen de tout ce qu’il y a de solide. En somme, ne plus se vautrer dans aucune forme de pensée automatique, ne plus se laisser influencer par aucun proverbe mais n’être dirigé que par sa propre réflexion, qui sera toujours plus affinée, de plus en plus ferme et résolue à mesure que l’on avance dans ce chemin de recherche du vrai. Cela suppose évidemment de refuser tout compromis, tout arrangement avec sa conscience, de rester droit, intègre et pur, la tête haute d’un orgueil légitime.

Pour améliorer l’homme contemporain, il faut non pas excuser mais valoriser l’orgueil, le légitimer et lui accorder une place d’honneur. L’Individu doit s’aimer, et pour ce faire, il doit pouvoir faire en sorte d’être aimable à lui-même, non pas par cette formule mièvre des manuels de développement personnel, mais en s’élevant jusqu’à pouvoir s’admirer lui-même, en devenant un modèle pour lui-même et pour les autres. Chaque homme ayant fait le nécessaire pour devenir méritant est digne de son propre amour, est légitime à brandir son fier orgueil. L’amour propre ne doit plus dépendre de l’image qu’un autre nous renvoie de nous-mêmes, mais de notre seule échelle de mesure personnelle. Ainsi, pour s’élever, il faut commencer par se comporter partout et en toute circonstance comme si l’on était observé par quelqu’un de supérieur dont on veut garder l’estime, et ce quelqu’un n’est autre que soi-même. Ainsi, en s’observant, on apprendra à prendre la parole uniquement lorsqu’on est certain d’avoir assez réfléchi, afin de ne plus jamais se surprendre à prononcer une ânerie ou une approximation, de ne jamais être pris en faute. De même, par intégrité et amour de soi, on se refusera à écouter les ragots, à constituer un public pour les médisants et les gens qui n’ont rien d’autre à faire que de débiter des mesquineries. On n’aura pas plus de complaisance d’ailleurs avec les sots. Bientôt, on réalisera que la solitude est la seule manière de rester droit et pur. On ne la craindra pas, bien au contraire. Quand on s’est donné les moyens d’être aimable et admirable, on apprécie hautement sa propre compagnie, que l’on estime bien meilleure à celle d’inférieurs. 

Évidemment, un Individu n’est jamais heureux. Le renoncement au bonheur imbécile, aveugle et ahuri est l’une des conséquences à toute élévation intellectuelle. 

Il faudra logiquement s’assurer régulièrement que l’on ne déchoit pas, par un examen sincère et minutieux de sa propre personne. Voici donc, cher Henry, comment chaque contemporain devrait être pour que je puisse le nommer : mon frère. 

Cependant, votre consigne demandait tout autre chose. Elle invitait le postulant à réfléchir d’une manière plus globale que personnelle à mon avis, ce que j’ai essayé moi aussi de faire en début de texte. J’y ai renoncé. Parce qu’il m’apparaît impossible d’améliorer l’homme contemporain, depuis trop longtemps vautré dans un confort veule et dont il ne veut pas être extirpé, trop béat et insouciant qu’il est. La tâche, de trop grande ampleur, est perdue d’avance. Nous sommes trop peu nombreux, peuple minoritaire, parallèle de féaux inadaptés. Non, il est bien est trop tard pour cette génération et la suivante. Concentrons nos efforts sur nous-mêmes, puisqu’il n’y a plus que cela à sauver. Formons un groupe, une élite, créons une religion neuve qui n’aurait pour précepte que la sainte vérité. Une religion sans prières mais avec ce dogme comme phare : la recherche de cette vérité, partout et tout le temps. Quête incessante qui ne peut s’accomplir que dans l’effort, le travail, la réflexion. Formons une religion d’élite. Faites de vos féaux les loyaux et méritants serviteurs de le vérité. Créons une communauté parallèle, quittons le contemporain à défaut de pouvoir l’améliorer, car il nous restreint, nous limite et nous salit de sa seule présence, de sa seule appartenance à la même espèce que la nôtre. 

Et je rêve qu’un jour, peut-être dans plusieurs siècles, nos successeurs parviennent à former un état, une nation, un territoire d’élites et de pensants, laissant les méprisables à leur sort et n’ayant plus jamais à les côtoyer.

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