Un signe jaune

Puisque les gens « acceptables » approuvent à présent qu’on appose à leur poignet un ruban bleu qui, par contraste, disqualifie ceux qui n’en ont pas reçu ; puisque c’est non sans une sorte de fierté supérieure qu’ils présentent leur laisser-passer à des policiers qui les en félicitent presque ; puisque c’est explicitement qu’ils font de nous les responsables uniques de tout ce qui ne va pas dans la société comme si nous étions des fléaux du genre humain, d’insupportables parasites, des adorateurs de cultes secrets et irrationnels, des vecteurs de maladies comme la peste, comme si nous provoquions sur leur monde la punition de Dieu…

… alors, pourquoi ne porterions-nous pas l’étoile jaune comme ceux qui naguère furent bien nos semblables ?

Oui, j’approuve cette pratique, mais il faut la porter partout alors et pas seulement lors des manifestations : pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, notre signe de ralliement ? Ce qui est jaune, depuis des années, leur déplaît fort, apparemment. Or, ils aiment les Juifs, à ce qu’ils disent : eh bien ! ils seront troublés de voir leurs adversaires arborer cette « distinction » ! Ils sentiront de l’embarras à se trouver ostensiblement nos opposants, eux qui se prétendent d’une telle tolérance cependant qu’ils discriminent ! Nous faciliterons ainsi le tri à l’entrée des grands magasins, ils n’auront même pas besoin d’hésiter à nous contrôler ; ils verront qu’il y a quelque chose de gênant, finalement, à faire porter leurs rancunes sur des minorités, et s’ils ne le voient pas, eh bien ! c’est que la guerre aura bel et bien commencé, ce sera clair pour une fois, il n’y aura plus aucun doute !

Il me vient, je l’admets, des désirs de précipiter la guerre : tant qu’un pouvoir autoritaire n’est pas reconnu tel, on peut toujours atermoyer et accepter de nouvelles atteintes aux libertés au nom de quelque bien suprême, c’est ce qui arrive aujourd’hui, on continue de faire confiance, avec aveuglement, au prétexte d’inattaquable démocratie. Mais quand un gouvernement ne peut plus qu’assumer sa dictature morale, quand il est réduit par ses opposants à se révéler, il se met à agir formidablement contre eux, et il n’est plus grand doute qui soit permis : le régime est en place et frappe avec lesteté et décomplexion.

Et si je dis que je veux précipiter la guerre, c’est non par goût des violences, mais parce que je devine que tôt ou tard elle s’achèvera à l’avantage des justes. Après la guerre seulement, la reconnaissance des héros et la redéfinition des valeurs qu’un peuple avait malheureusement perdues. Or, j’ai hâte de recommencer une société en homme reconnu qui avait raison.