Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
21 août 2021

Quand quelqu'un ment

Il y a toujours un intérêt primordial à provoquer un mensonge ; encore faut-il savoir alors avec certitude que la personne ment. Le mieux, pour en être sûr, est d’acculer délibérément au mensonge conscient, à une de ces contradictions ou incohérences jugées anodines comme il s’en produit communément chaque fois qu’une personne décide, pour enlever une victoire de façon péremptoire, de s’attribuer un rôle de victime en exagérant ses raisons jusqu’à l’émotion et l’impression factice d’un outrage, ce qu’on appelle d’ordinaire : la mauvaise foi. La mauvaise foi n’est presque jamais une malhonnêteté assumée, c’est une transaction avec sa conscience, mais qui laisse toujours un trouble, quelque séquelle sur l’identité en matière d’intégrité. Il suffit qu’une personne bénéficie dans une querelle du sentiment qu’elle croit absolu de son bon droit pour se permettre régulièrement une contrevérité qu’elle n’ignore pas mais qu’elle arrangera ensuite, si elle ne l’oublie pas ou si on la lui rappelle : ce mensonge est une variété de la pias fraus, le « pieux mensonge » autorisé par les chrétiens dans leur combat contre le mal, stratégie où l’on suppose que pour répliquer à un adversaire particulièrement retors et diabolique, tous les moyens supposés de cet ennemi sont également permis, dont fourberie, mensonge et injure, et autrefois torture physique. C’est ainsi qu’on se déculpabilise d’avoir menti ou d’avoir abouti à quelque excès de langage : on y a toujours « été forcé » par impuissance de triompher d’autre manière, il fallait « en arriver là », l’interlocuteur étant « trop obstiné » et « insupportable de contrariété », et puisque c’est de toute évidence qu’on « était dans son droit ». Pour confondre un menteur, il faut au moins se munir d’une certaine adresse, de cette souplesse mentale et de cette attention, les deux mis ensemble constituant une dextérité devenue pour moi quotidienne et qui paraît encore un machiavélisme à des êtres évanescents et peu rompus aux usages sociaux, quoiqu’en général constamment entourés. On peut notamment, pour pousser au mensonge : demander ce que l’on sait déjà et qu’on n’est pas supposé savoir, insister pour se faire justifier une étrangeté d’attitude ou de propos, révéler une information dont on vous croit dépourvu, pousser dans quelque impasse rationnelle à force de progressions d’une logique irréfutable, ou encore « prêcher le faux » c’est-à-dire aventurer un court mensonge provisoire avec assurance et comme chausse-trappe pour désamorcer une intention de mentir. Les moyens sont nombreux, l’important – tout joueur de poker vous le confirmera, même si, en l’occurrence, l’interlocuteur dissimulera avec moins d’expertise qu’un professionnel du jeu –, est de se retrouver dans l’évidence du mensonge et de voir ainsi les « cartes » mêmes du menteur.

L’intérêt ? Le voici : le contemporain est si incapable de duplicité de nos jours, sa vie se construisant sur si peu d’occasions de mensonges, de risques et d’imagination – sur si peu d’aventures en somme, comme l’écrivait si bien Mencken en expliquant justement que si son compatriote trompait peu l’épouse, c’était surtout parce qu’il n’en avait pas du tout l’esprit et le courage – qu’il y est fort inhabile, indiquant toujours sa tentative par quelque manifestation assez ostensible qui se répète toujours à l’identique en pareilles situations. Ainsi peut-on écrire : qui est surpris à mentir une fois trahit toujours pareillement ses mensonges à venir. Ces signes sont souvent généraux, signalant un embarras ou un malaise, plus exactement une dichotomie de la pensée, une dissociation temporaire de la personnalité qui entrave le fonctionnement fluide de la conscience – en quoi un bon menteur logiquement est apte à bien réaliser plusieurs actions simultanément, en quoi ce bon menteur probablement dispose aussi, de façon apparemment paradoxale, de bons repères pour identifier le vrai. On rencontre de semblables indispositions psychologiques, des blocages tout à fait similaires, chez celui qu’on contredit efficacement, pour une raison foncièrement identique, parce que l’interlocuteur doit improviser, ce qui n’entre pas du tout dans les us et aptitudes du contemporain (d’ailleurs, en telle situation d’impasse rationnelle, on constate qu’au lieu d’avouer sa faiblesse, il ment toujours, puisant ses arguments dans la mauvaise foi qui constitue un répertoire plus vaste que celui de la vérité). Ces signes sont quasiment universels car ils dépendent de l’utilisation du cerveau ; on les trouve à peu près pareils d’une personne à l’autre, mais cette homogénéité générale ne suffit pas à les identifier en particulier, car on ne peut être tout à fait sûr par exemple que quelqu’un qui bafouille quand il ment ne bafouille pas aussi parfois semblablement lorsqu’il ne ment pas. Ces troubles liés à une dissociation sont toujours incontrôlés et s’expriment sous forme d’une décompression, d’un déséquilibre mental, parce qu’un esprit inaccoutumé à maîtriser de façon corrélative une fiction énoncée et une réalité intériorisée, ou inhabitué à faire correspondre l’appropriation des pensées de l’autre avec l’assomption de sa propre posture dialectique (il faut simultanément, en une sorte de symbiose ou d’empathie, mesurer la qualité de son mensonge et se montrer un menteur convaincant, c’est-à-dire avoir sur soi du recul tout en étant dans le soi qui fabule), s’épuise inévitablement à tel procédé, notamment parce qu’il est devenu incapable de se mettre à la place d’autrui particulièrement pendant qu’il produit un énoncé, et c’est généralement très tôt qu’il abandonne la partie, ou par quelque éclat artificiel mêlé de vexation et de fuite chargé de rompre l’épreuve, ou par une façon explicite d’aveu qui met fin à l’impossible duplicité par une sorte de soulagement du sujet mentant – le menteur s’offusque ou se révèle, à la rigueur il atermoie pour créer du flou ou détourne du sujet, et c’est exactement le même jeu de postures dans une conversation où l’un des interlocuteurs se sent en tort. Eh bien ! si vous savez qu’une personne ment une fois et se sort du mensonge de telle façon, alors vous êtes en mesure de reconnaître systématiquement chez elle l’instant de tous ses mensonges ultérieurs, du moins de tous ses mensonges relativement importants. Ce bref aperçu, on en conviendra, n’est donc pas du tout inutile, il ne s’agit de s’en servir qu’en manière de protection, pour s’épargner d’être toujours une dupe. Mieux : il n’est pas fort nécessaire, ensuite, de garder le souvenir précis de chacune des poses du menteur, il suffit à peu près d’intégrer la direction que prendra l’échange avec lui s’il ment ou s’il se sent acculé, ce qui peut facilement, à force, prendre la forme d’une intuition : vexation brutale ou atermoiement inintelligible, surtout. Une confusion lexicale, une nervosité qui monte, un regard qui fixe telle direction, des yeux qui s’écarquillent ou des pommettes qui rougissent, une façon révélatrice de sourire sans cause, des manières fuyantes, un faux air de scandale, un ton qui semble demander une confirmation, toutes sortes de contradictions et de faux-fuyants… un être accoutumé à se servir de sa mémoire n’y trouvera pas grande difficulté, d’autant que les gens tendent par leur attitude générale et par leur rapport à la vérité à signifier leur disposition à mentir dans telle ou telle direction. C’est très pratique : à la fin, on parvient toujours à retirer son attention à celui qui commence à paraître louche, c’est même ce qui arrive couramment et sans échafaudage de science : un auditoire, intuitivement, ferme son accès à un menteur fréquent et maladroit ; il sait collectivement et sans se l’expliquer où débute le soupçon vis-à-vis d’une personne en particulier, et l’interlocuteur nouveau, au milieu de cette assemblée qu’il ne connaît pas, s’étonne toujours de ce que la parole du prévenu soit alors subitement tant ignorée – c’est que, bien souvent mais pas toujours, cet entourage a assimilé plus ou moins consciemment les formes identiques du mensonge de celui qu’en société on ose rarement dénoncer comme menteur patenté.

…tenez ! je viens, dans une émission au hasard, d’entendre un homme sage-femme qui expliquait que le fait qu’il fût un homme ne posait « jamais » de problèmes dans le cadre de son métier : il produisit, en le disant, une hésitation fort caractérisée, quelque chose d’absolument pas naturel ni spontané. Il crut alors bon d’ajouter qu’il était « très rare » qu’il eût rencontré des problèmes : il dit alors ceci sans hésiter, et je vis bien que, lorsqu’il voulut dire fluidement sa première assertion, une image d’expérience malheureuse s’interposa en son esprit, l’empêchant de s’exprimer avec fluidité, s’interposant dans l’énoncé de son discours. Je me félicite d’avoir pressenti, avant même son correctif, que cet homme mentait. C’est un avantage considérable, quand on a comme moi le souci primordial de la vérité, de savoir comme on use contre vous d’armes déloyales que vous n’utilisez point.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité