Sauf les chiffres

J’aimerais fort qu’on ne pût pas contester les chiffres, qu’ils constituassent une donnée indéniable du raisonnement sur laquelle s’appuyer pour fonder des vérités objectives, seulement il faudrait que notre bon gouvernement fût un peu moins maladroit et contradictoire dans ses déclarations : quand M. Véran déclare que 100% des patients Covid hospitalisés ne sont pas vaccinés, son clip télévisé de campagne indique que c’est 8 personnes sur 10, tandis que la documentation internationale signifie plutôt un nombre autour de 50%. Aïe ! ce sont des gens qui peinent même à uniformiser leurs mensonges : voilà qui est embarrassant et tend à prouver combien ils ont l’habitude d’en faire ! On ne doute pourtant pas qu’ils savent bien compter, par exemple les manifestants contre le pass sanitaire, et avec tant de certitude qu’ils en offrent les chiffres à la presse avant que les gens ne défilent dans les rues ! Voilà des individus qui croient savoir que tout le monde est satisfait de leurs services et de leurs lois, et qui ne supposent pas un instant qu’une partie des Français vaccinés ne l’est que sous la contrainte, que la présentation du pass sanitaire dans les lieux publics est une importunité qui les dérange, ni que l’exceptionnel taux de vacances dans l’Hexagone ne signifie pas autre chose que la limitation forcée de leur déplacement par crainte de ne pas revenir ou par défaut d’autorisation de sortie du territoire.

Enfin, il me paraît à moi qu’un gouvernement qui prétend sans cesse qu’on peut discuter de tout « sauf des chiffres » et qui ne peut s’empêcher de clamer qu’il n’est pas une dictature par la comparaison des pays les plus répressifs et décomplexés au monde, signale justement un régime de propagande et de dictature : a-t-on déjà vu De Gaulle ou n’importe quel président français asséner avec tant d’insidieuse persuasion que, promis, assurément, c’est une calomnie, il n’était pas un despote ? N’est-ce pas ce dont se défendent en premier lieu les gouvernants qui donnent régulièrement à penser, par leurs décisions et leurs trucages, une telle assimilation ?

Mais les Français décidément sont curieux : ils jugent déplacé de qualifier de dictatorial un régime placé sous état d’urgence depuis presque deux ans sans conflit armé, instaurant une discrimination officielle, trafiquant sans honte ses chiffres, et censurant la parole même de ses spécialistes. Je n’ignore pas que mes compatriotes sont devenus aussi bêtes et divertis que dans Fahrenheit 451, mais est-ce une bonne raison pour aussi croire la voix sucrée qui fait entendre une série de nombres qui avaient trait à la production des vaccinés en pleine forme, ainsi que de se répéter comme un mantra, d’une voix douce mais fort distincte commençant au milieu d’une phrase : « Comme je suis content d’être un Vacciné ! Oh, non, je ne veux pas jouer avec des non-vaccinés. Ils sont trop bêtes pour savoir lire ou écrire. Et puis, ils sont mécontents, ce qui est une attitude ignoble. Comme je suis content d’être un Vacciné ! » ? – faut-il en passer par toute la littérature visionnaire qu’ils n’ont pas lue pour leur montrer comme ils sont dupes après avoir été avertis ? On leur promet que l’an prochain les traceurs obligatoires dans leurs voitures ne serviront que pour les assureurs qui n’ont pourtant jamais témoigné d’un grand mal à établir et à résoudre les constats d’accident, et ils le croient encore ! Ah ! en quoi rien n’est plus propre à la dictature qu’un peuple de dictature, humblement incrédule et soumis.

P.-S. : Quelqu’un a-t-il entendu relayer dans les principaux médias télévisés la décision du tribunal de Versailles d’interdire aux grands centres commerciaux des Yvelines d’imposer le pass sanitaire ? Non ? Mais il ne faut pas y voir non plus un indice de dictature, c’est sans doute qu’il est moins important de parler de cela que du bronzage des Français et de la rentrée des classes qui approche : ce serait en tous cas fort « déplacé » ou « obscène » d’y admettre un rapport avec aucune forme de censure d’État ou de presse qui serait gagnée par le pouvoir.