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Henry War
20 septembre 2021

Apanage du meilleur homme

Le meilleur homme est un homme de perpétuelle prospection : jamais son esprit ne se distrait, il s’incite sans cesse à des poursuites inlassables, il explore la réalité pour chercher des vérités inédites, il sonde dans les possibles du présent pour comprendre au-delà des systèmes admis, il interprète, échafaude, et ainsi crée le monde qui n’équivaut presque qu’à l’idée qu’on s’en fait. Il sent le bouillonnement de vitalité comme indice et comme preuve de son existence, il ne s’atermoie pas, ne s’accorde pas le temps inutile des effusions introspectives, des passions qu’on s’imagine tirer de soi-même rien qu’à les examiner, des émois qu’on se plaît à entretenir pour illusions d’unicité : il sait que les jérémiades ne le valorisent point, lui. Ce repère devient la boussole qui commande son intelligence stylée : plus jamais je ne doute, plus jamais je ne regrette, plus jamais je ne quête les atteintes qui me donnaient l’impression d’être pathétique à moi-même. L’inquiétude m’est un stimulant désormais, plus un atermoiement ; je n’existe plus au passé, mon présent est une projection ; je suis une pensée d’avenir. Rien ne me blesse, je ne crains personne, j’accepte la mort si je puis tuer avant de partir, car il m’est aisé, à présent, de deviner en quelle part je suis.

Je sais pourtant que la mentalité ordinaire est un long appesantissement torpide et une répétition de procédures entrecoupée de languides espérances de repos – divertissement. Il n’y a pas de meilleur homme ex nihilo, le meilleur est un travail tant devenu habitude qu’il s’ignore. Rien qu’à entrevoir l’activité de mon esprit, le contemporain se sentirait épuisé et me jugerait monstrueux. J’aspire continuellement à l’impossible, j’attrape des énigmes dans tout, je les étale et déchiffre en théorèmes parce que je ne présume pas qu’elles ont été déjà résolues, et je ne m’en fais pas une satisfaction, à peine un soulagement, loin d’une fierté : rien qu’un devoir de dignité, un devoir humain, devoir d’honneur rendu à sa nature, et c’est ce devoir qui m’occupe sans relâche. C’est cet effort qui me fait vivre au même titre, quoiqu’à un degré plus noble, qu’un corps a besoin de se mouvoir pour faire tourner le sang : il marche comme je cogite, c’est devenu une mécanique vitale et essentielle. J’entends quelque chose de neuf, et je songe : que vais-je tirer de cette chose ? comment y puiser ? il le faut. J’y lance alors puissamment mes forces pour en extirper l’inspiration en une substance qui me complète. Je n’entends pas qu’une information demeure morte pour un cerveau, pour le mien : comment donc comprendrait-on que je lis, et que tant d’autres, avec un livre et même tant de livres qu’ils déchiffrent, ne lisent pas ?

Ce n’est pas moi qui suis le monstre, c’est le contemporain, si évanescent, qui devrait être un proscrit pour sa race. J’use de mes facultés, rien de plus, je tâche à être meilleur : ce don et cet effort sont inscrits en chacun de nous : malheur à ceux, innombrables, qui l’ont oublié et qui végètent. Ils commettent le crime d’inhumanité en n’appartenant plus au lot des potentiels, ils ont perdu le caractère humain, son apanage. On ne devrait pas injurier l’homme en demeurant consciemment si inactif et bas, tant en-deçà de sa plus haute nature ; on ne devrait surtout pas faire de l’homme meilleur un support de calomnies pour se sentir exhaussé et remplacer le bien par le mal, ainsi se fonder par artifice une existence qui n’est qu’imaginaire.

Le meilleur homme, après tout, c’est seulement un homme. Opprobre et honte, plutôt, à ceux qui, constitués comme des hommes, par l’usage négligé qu’ils ont de leur constitution, ne font pas partie des hommes, en ont perdu le titre et le rang.

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