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Henry War
6 novembre 2021

Le Goncourt Mohamed Mbougar Sarr

C’est assez elliptique comme on parle avec compliments du dernier Goncourt, dont je n’ai fait que consulter des extraits, qui paraît anodin comme les autres et écrit presque sans style – un jour, décidément, il faudra mettre en parallèle un passage du lauréat du prix Goncourt et un passage des frères Goncourt sur le même sujet pour mesurer combien c’est objectivement qu’il y a eu déchéance.

Et puis, je me dis : « Tiens, comment un auteur si jeune peut-il avoir percé à ce point dans la littérature ? » Je consulte Internet à son sujet, je découvre que les articles sur Mohamed Mbougar Sarr ne sont tous environ que des recopiés de Wikipédia, on dit que c’est certainement un garçon très talentueux, hypokhâgne, prytanée national, une passion pour la philosophie, et alors, on ne sait comment car c’est un épisode que personne ne raconte et dont il faudrait peut-être écrire au moins quelque chose (car c’est un récit qui, en soi, aurait certainement mille fois plus d’intérêt et de vérité que La plus secrète mémoire des hommes), il a le bonheur d’arrêter ses études soi-disant parce qu’il écrit trop et que ce lui devient impossible de travailler tant, le pauvre !

Il est, juste ensuite, publié à 24 ans.

Nul ne dit comment, bien entendu. C’est un miracle, mais, comme d’habitude, il s’agit d’un miracle tu, et personne ne s’y interroge, personne n’a la curiosité d’y aller voir. Il est vrai que quand on demande, une certaine gêne… Enfin, n’importe, c’est tombé, le verdict – comme c’est beau ! Une chance !... Il n’y a que les ignorants pour ne pas y discerner un trouble. De façon générale, c’est toujours un mystère : on a l’impression que quelqu’un a repéré le jeune écrivain par télé-crochet. La dernière fois, j’ai vérifié avec Leïla Slimani, et c’était encore pire : l’éditeur était contradictoire, une fois il disait l’avoir repérée lors d’un atelier d’écriture (mais qu’est-ce qu’un éditeur pourrait faire à un atelier d’écriture ? Les Français sont-ils stupides au point de s’imaginer que les éditeurs recrutent par là ?), et la fois suivante il prétendait l’avoir découverte directement grâce à son manuscrit reçu tout gentiment par la poste et où il avait distingué, évidemment, un grand style… que le lecteur critique, lui, n’a jamais tellement aperçu dans le roman. C’est chaque fois pareil : l’écrivain n’était personne, un total inconnu, même un étranger, et puis là, comme ça, du jour au lendemain, comme on suppose que le gamin a rédigé une jolie lettre de motivation (parce qu’enfin, pour le récit, ça reste anodin comme tout), il est publié chez. Chaque fois qu’on fait des vérifications, pour chaque nouvelle tête qui réussit : une brume, un brouillard, une opacité, c’est même à se demander comment un journaliste travaille, c’est comme si pour réaliser leurs entretiens ils devaient plutôt se taire que poser des questions. Je vous mets au défi de savoir encore comment celui-ci a réussi : c’est introuvable, l’auteur cesse en général de faire croire que c’est sur manuscrit qu’il a été choisi, c’est trop gros et ça ouvre sur trop d’histoires qu’on pourrait vérifier. La presse préfère dire simplement qu’il a du talent, même si c’est un talent qu’on discerne mal dans sa prose, oui mais c’est un talent, sans nul doute, que des spécialistes ont repéré, eux, un talent que d’autres que soi, des professionnels, quoique des professionnels qui sont bien incapables d’initier la moindre école littéraire depuis plus de 70 ans, sont payés pour débusquer, et la preuve qu’ils n’ont pas eu tort, la preuve : prix Goncourt ! Eh ! vous voyez bien ! Prix Goncourt !

Mbougar Sarr est quelqu’un qui a arrêté ses études, comme ça, parce qu’il le sentait, parce qu’il sentait que son talent allait réussir, parce qu’il sentait qu’il était assez sûr de lui pour avoir du succès, et rien de plus. C’est quelqu’un qui a senti merveilleusement quand il devait le sentir, quelqu’un qui a un instinct exceptionnel, voilà tout. C’est quelqu’un qui, quelques mois après « l’avoir tant senti », était déjà publié : il s’en est fallu de peu certainement qu’il finisse dans la rue, dans les égouts, dans le ruisseau, ce fils de médecin ! Itinéraire classique, d’ailleurs : un enfant de bourgeois poursuit avec réussite et conformité des études supérieures et alors, sans indice d’être pris nulle part, non, sans le moindre piston, sans le moindre soutien assurément pour garantir une chute et comme c’est vraiment très ordinaire dans ce milieu (j’ai moi-même une douzaine d’amis riches qui ont tout plaqué comme ça juste avant la dernière année), il arrête du jour au lendemain. Mais « heureusement », on le publie quelques mois plus tard, et il ignorait sans doute qu’il serait publié : on vous défend en tous cas de penser autre chose !

Aujourd’hui, il est Goncourt. Ça aussi, c’est « tombé ». Quel veinard ! Et quel flair !

Comme c’est hypocrite, ce sale milieu de l’édition ! Ça pue décidément de partout, et il n’y a pas même un curieux pour faire semblant d’avoir de l’odorat. Quand ça exhale à ce point, on feint de n’avoir aucun nez, c’est plus simple, on feint que les odeurs même n’existent pas. On est flatté d’interviewer le nouveau dieu, on rend sa copie conforme à Télérama ou à un autre (ça ne fait aucune différence de toute façon) après avoir copié Wiki, et on est payé quand même. Un « talent », on dit. Un « jeune talent français ». Le dire avec insistance et enthousiasme, surtout, permet d’éviter qu’on remarque à force que l’édition est un milieu répugnant et qui, en France, est devenu inapte à promouvoir un seul livre de qualité, c’est-à-dire… oui, c’est-à-dire le début, enfin, d’une (vraie) littérature.

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