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Henry War
20 novembre 2021

Ce que "iel" impose

On n’arrive pas à relever ce qui gêne tant dans ce « iel » censé désigner aussi bien un homme qu’une femme, ou plutôt une personne qui ne se reconnaît ni comme homme ni comme femme, ou qui s’admet les deux. J’ai lu de nombreux articles sur le sujet, je les ai tous trouvés faux et absurdes : ils tournent autour d’une idée sans s’y poser exactement, leurs arguments ne touchent pas au but. L’orthographe n’y a rien à voir, car chacun devine d’emblée que nul ne lui fera le reproche de ne pas savoir accorder l’adjectif avec « iel ». Si « iel » est de prononciation peut-être laide, si sa construction, issue de la fusion de « il » et « elle », dénote une imagination et un goût assez piteux, ce n’est pour le locuteur qu’une question d’usage et d’habitude, on s’y ferait tout aussi bien que d’appeler « pervers narcissique » le moindre quidam qui n’est pas de son avis. Il n’est pas du tout nécessaire de faire intervenir là-dessus quantité de linguistes et de cogniticiens, et je trouve que tous ces spécialistes qui se commettent en conférences, en livres et en interviews sur la question prouvent aussitôt que leur spécialité se réduit vraiment à très peu de choses.

Je vais tâcher de dire, moi, ce qui dérange avec « iel ». Ce n’est pas que des enfants aient la possibilité de choisir leur identité sexuelle sociale, c’est-à-dire la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes en tant qu’être sexué. J’ai déjà connu quelqu’un(e) qui souhaitait qu’on l’appelât par un prénom du genre opposé à son anatomie, et je n’ai pas trouvé que cette convention était difficile à respecter, au même titre que si mon boulanger préférait que j’appelasse ses pains au chocolat des chocolatines.

Ce qu’il y a d’essentiel, dans ce débat, c’est la manière dont une communauté impose ses usages par la culpabilité. Plus exactement, ce n’est pas le fait de vouloir imposer quelque chose qui m’agace, c’est le sentiment de culpabilité qu’éprouve celui qui ne s’y soumettrait pas.

Car chacun sent que refuser d’utiliser le pronom « iel » constituera une sorte d’infraction morale, et toux ceux qui en usent déjà sont soulagés de s’y être adaptés aussi facilement, ils se pavanent de leur souplesse mentale après avoir redouté, consciemment ou non, la stigmatisation de leur conservatisme. Chacun devine et craint que, tôt ou tard, pour refuser ou négliger de se plier à cette règle, on le taxera d’inhumanité et lui fera subir une façon d’opprobre – c’est cette discrimination latente qui trouble et opprime. Vous êtes tenus au ou en Respect : ce mot chez nous avec majuscule. Il ne s’agit pas d’accorder aux LGBT le droit d’être dénommés comme ils l’entendent, il s’agit d’accorder aux gens le droit de ne pas se contraindre aux volontés d’une communauté minoritaire au prétexte qu’elle se dit « victime ».

« Victime » de quoi encore ? Tout le monde se dit victime aujourd’hui, et l’allégation de la souffrance est le suprême laisser-passer de l’Assemblée nationale. Plus un être souffreteux qui ne réclame pour ses semblables. Vous vous sentez mal, aussitôt vous accédez à un statut, le statut de Victime. D’inférieur, vous dominez. La douleur vous donne la légitimité pour devenir oppresseur. Bientôt, au nom de votre mal, vous légiférez. Vous voilà tyran pour commander à vos tyrans, et ces tyrans que vous désignez peuvent être n’importe qui du moment que vous « souffrez » de leur « domination ».

C’est la façon dont on exige, dont on commande, dont on opprime, au nom d’une douleur supposée que personne n’a voulu produire et qui peut fort bien, comme toute douleur, n’avoir aucun responsable et être auto-conçue, qui crée autour de « iel » un malaise général. Et pourquoi « iel » d’abord, dit-on ? pourquoi ce mot et pas un autre ? Pourquoi ne pas exiger carrément la suppression de tous les genres de la langue française pour autant que quelqu’un se dise offensé qu’« un livre » paraisse réservé aux hommes et qu’« une coquetterie » relève du genre féminin ? On se perd ainsi en ratiocinations compliquées, on se lance dans des débats stériles parce qu’on ne redoute qu’une chose qu’on n’ose pas dire, parce que dire cette chose serait immoral, et c’est qu’un nouvel emmerdeur se prétende victime d’une souffrance qu’il faudra encore atténuer par des lois.

On ne revendique pas, en France, la philosophie brave et dure de l’assomption du mal. Le moindre bobo, dans un monde édulcoré et faible, doit trouver sa solution légale et collective ; nous vivons l’ère des « harcelés » ou la société doit empêcher chacun de se « sentir seul ». Moi, je dis : n’attendez pas que la société résolve vos problèmes minuscules, vous êtes sans doute assez fort pour les relativiser ou les résoudre vous-même. Vous vous dites harcelé et sans défenseur ? Frappez le premier, la prochaine fois. Vous vous sentez seul ? De quoi vous plaignez-vous : on ne saurait, ici, être supérieur et accompagné. Vous ne savez si vous vous sentez mâle ou femelle, ou vous vous sentez les deux ? Ne comptez sur les gens pour parler de vous en disant « iel » ou je ne sais quelle autre locution pour rendre compte de votre identité, mais résolvez-vous à un fait concret, à un fait universel, à un fait absolu parmi les hommes : c’est que personne au monde ne parle de quiconque en sachant qui il est.

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