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Henry War
27 novembre 2021

Fin d'évangile

Et retrouver ses songes, tout ce qui est « au cœur », tout ce qui de soi seul procède, issu de loin, des profondeurs, d’au-delà la vie routinière et banale, des aplats lumineux qui consistent en des regards fixés, arrêtés depuis longtemps, acquis, induits, reproduits, venus ensuite et bien après les objets et les sens. Se fondre dans l’avant du social, l’avant de l’homme du jour, l’avant des couleurs stylées et des représentations conditionnelles, l’avant des habitudes et du préjugé du perpétuel postjugé, le préjugé qu’on certifie sur la copie d’une expérience antérieure, l’avant de tout ce qui succède et procède d’autre chose. Que la défense, cet instinct de dureté terne à rendre alentour son compréhensible reflet, assimilable aux sentiments établis, aux impressions classées, comme Méduse lapidifie au bouclier lourd d’autres Gorgones, se dissolve en tendresse transparente jusqu’à révéler le pur de la matière noble, l’Égide légitime et suprême, ce qu’il y avait derrière le miroir, le support véritable avant le miroir sur lequel le miroir s’est greffé.

Il est vain de croire qu’un évangile sera pour l’aujourd’hui une Nouvelle. Nous venons toujours trop après exister, nous sommes d’un temps qui, à l’excès, nous introduit, nous interdit ou nous intronise, le succès n’est toujours que la conséquence des humeurs, des rumeurs et des mœurs, il ne dépend que de sa conformité d’une circonstance où se réduit toute providence pour ou contre. Il fallut à JésHugo la chance d’une correspondance séculière : on les espérait avant de les connaître, on était déjà prêt pour le Messie, ils furent aussitôt jugés accessibles et moraux, sans défiance ni doute, c’est pourquoi ils eurent l’heur d’être accueillis, reçus en prophètes, leur message était à l’exacte portée de ce qu’on entendait, preuve qu’aucun d’eux ne fit la Traversée du monde, la Révélation et l’Édification, le vrai ambitieux Renouveau ; mais ils s’associèrent au monde, ils y étaient prémoulés, lui furent opportunité et prétexte, justification, faire-valoir, sympathie. Ce monde d’alors est échu : ils ne trouveraient plus, à notre époque, l’espace d’un angle ouvert ; à présent, l’occasion de leur place est passée, on les trouverait intempestifs, ils ne seraient rien. Ils n’ont étéqu’en vecteurs, médias d’une voix vaste ; on a loué leur unanimité, il fallait qu’ils fussent universels. De pareils hommes, en vérité, n’ont jamais été des controverses, des vexations, des génies d’inventeurs, n’ont jamais tout à fait créé, furent des dérivés. Ils ont suivi le vent des murmures de foule ; sciemment ou non, ils ont placé leur fauteuil dans le sens de l’histoire, n’ont rien infléchi. Ils furent probablement les dupes de leur sensation de volonté propre. Qu’on voie, pourtant, comme ils ont été portés.

Point sombreux, peut-être, les rescrits qu’il faut au présent qui ne les attend pas, qui ne réclame rien d’étranger, qui s’inquiète toujours de l’inconfort d’une vision, qui n’aspire point à l’inédit. Mais d’une clarté fondamentale, comme au centre des lumières décomposées qui sont uniquement sensibles aux organes se situe le Blanc, blanc originel et virginal, blanc du papier où l’on a après apposé les pinceaux de pigments inutiles à faire du blanc, blanc sous l’art amassé, sous l’artifice amalgamé, sous l’artificiel des siècles de perceptions superposées. Cette page où l’on a trop écrit, devenu poisseuse et lourde, y regratter jusqu’à la face nue, percer sans s’émouvoir ni se vexer l’injurieuse calamité de souillures, ignorer l’indignité de la corruption comme on s’obstine soigneusement au saint Lavement, écorcher le cancer, mû d’une pénétrante absorption, gagner résolument, impassiblement, impitoyablement l’Écorce jusqu’à l’indéniable Aveu.

Ne rien déplorer – la langue de la critique n’est qu’un mode, il en existe d’Autres – et se servir de la conscience du réel, de cette science des Vases, pour distiller un élan du Vrai par-delà le fait. Car tout étant sale, plonger dans les eaux troubles des conclusions à la recherche de l’Inaltéré : quoi de plus bénéfique et salutaire ? L’examen de la surface polluée peut être ainsi le préalable à l’analyse d’une généalogie non de la compromission mais de la pureté. J’ai bien appris de la composition des plâtres qui se diluent et qui troublent, je partirai de ce savoir pour reconstituer les saveurs les plus fluides, volatiles comme des gaz disparus ou dissous, cependant comme restés de plomb hors de la lumière, abîmés loin sous Neptune. Mon art sera retour à la nature humaine. Je ne dissèquerai les couches superficielles que pour plonger dans les abysses, là où ont poussé les racines liquides, les sources souterraines et sacrées de la diaphane Vitalité – et je sens déjà, à la peine inlassable que j’éprouve à rédiger ces mots, comme ce travail sera pour moi exigeant et sollicitera davantage mes forces que l’exercice, reposant en comparaison, de la description du Contemporain. Il sera plus fécond de traverser le constat du croupissement des eaux bâtardes et saumâtres, de ne pas juste en souligner la dissémination de denses humeurs et de lymphes opaques, et je tâcherai à utiliser la conclusion de ces portraits durs et véraces pour repérer ce qui, dans cette mentalité comme dans n’importe quel affluent, a été conservé de la source première. On procèderait pareillement à la décomposition des fumées pour déduire la teneur de ce qui brûla dans un feu, ou bien, quand on reçoit une lumière à travers l’espace, en dépit des poussières amalgamées en chemin parmi les vides, on peut retrouver par calculs la nature des astres même après qu’ils disparurent, et ainsi, de corps en étoiles, atteindre à la naissance immaculée des électrons et espérer contempler en esprit les chaleurs d’un très éloigné Big Bang.

Ce sera aussi une façon de ne plus aspirer même vaguement au prophétat, de ne plus du tout dépendre de la Vogue, de l’Actuel, du Temps présent, d’écrire enfin une littérature départie de la plupart des considérations de rapport relatif, de la majorité des adéquations qu’un lectorat estime nécessaires à chaque époque pour ressembler ou dissembler, et c’est ainsi que je tracerai l’itinéraire de mon périple sans m’attacher à des témoignages – reproches ou gratitudes – pour m’aventurer vers ce qui n’est plus, vers des quêtes infiniment plus absolues que des copies ou que des différences de ce qui existe ou exista. Par ce cap, je ne me contenterai pas d’écrire selon des escales près desquelles on cabote, je ne fixerai pas la poursuite d’un phare bâti par d’autres que je ne saurais prolonger que d’une courte encablure, la profondeur d’océan est insondable peut-être et certainement plus édifiante que les surfaces trop vues, il y faut la route intérieure, puiser vers le centre, et découvrir les joyaux rares dont on fit tous les téléphones portables du monde. Le monde, mais quintessencié, mais sublimé ; la préhistoire de la dégradation ! Allons ! Allons dans ces entrailles recueillir l’Élixir ! Il n’y a rien à perdre, rien de plus douloureux que la Stagnation et l’Ennui par la facilité pressentie d’un désespérant ressassement !

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