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Henry War
30 novembre 2021

Pourquoi je vous connais mieux que vous-même

Vous ne devriez pas vous étonner que je vous connaisse mieux que vous ne vous connaissez vous-même – même si vous ne le faites que pour le nier et pour l’oublier ensuite. Car vous êtes indéniablement contemporain, et, en tant que tel, vous devriez commencer par reconnaître que vous vous êtes rarement livré – jamais, probablement – à une sérieuse analyse, même générale, de vos actions et pensées, si peu d’ailleurs que vous n’avez guère de réflexions originales, plutôt des penchants répandus, ce qui contribue, et c’est logique, à vous rendre prévisible. Un être qui ne se questionne jamais et se contente de suivre les inclinations d’une société où il vit et dont il est fort imprégné, il faut admettre qu’il ne constitue pas un sujet de prédiction difficile pour un homme de science. Si l’on ajoute à cela qu’en tant que partie très intégrée, dépendante même, d’une société présentant peu de variations et même exclusive de toute variation personnelle, rendue discriminatoire en quelque sorte, vous obéissez à un ensemble de règles élémentaires et cohérentes, fort homogènes vues d’une certaine distance, restrictives mais non pas simplistes, ensemble qui, assimilé dans sa globalité, induit une compréhension efficace de votre personne à la fois particulière et typique ou, disons-le plutôt ainsi pour ménager votre susceptibilité, assez « représentative » – motivations et réalisations. Je n’ai pas cessé d’énumérer et d’expliciter ces règles au fil de mes « Discussions », je continue d’en découvrir d’autres, et je ne voudrais pas me contraindre encore ici à leur recensement exhaustif, pour mon ennui et la lassitude probable de mes fidèles lecteurs (il suffit de consulter mes articles dans la catégorie « Psychopathologie du contemporain »). Mais il est fréquent que, parmi mes correspondants, ceux qui de bonne foi se penchent sur les processus que je décris s’aperçoivent, après avoir provisoirement dénigré ou hésité à dénigrer mes propos comme « révoltants » ou « insultants », que mes analyses sont foncièrement exactes, et ce n’est qu’en parvenant à s’abstraire de cette volonté immédiate de réaction et de résistance contre ce qu’ils considèrent une insupportable hauteur et une insistante humiliation, qu’ils consentent à examiner le fait et s’en sentent aussitôt positivement troublés : la grille fondamentale, délicate et subtile en dépit de la relative grossièreté de ce stupide monde, que j’applique à la compréhension du Contemporain n’est pas une caricature, une outrance ou un manichéisme, et toutes les simplifications qu’on y croit trouver procèdent ou de la nécessité d’une généralisation (qui, comme en toutes sciences, tolère mal les exceptions ne constituant pas son sujet), ou d’une forme de vexation qui, atteignant le lecteur dans ce qu’il voudrait encore à tout prix et flatteusement considérer son « noyau d’individualité pur », le fait résister aux représentations même les plus raisonnables qui le rendent commun et prévisible, et rejeter ce qu’il suppose le dévaloriser en l’assimilant à quelque aliénante et sinistre norme pourtant bien tangible et prouvée. Or, ce qu’il n’entend point, c’est l’absence de haine où se situe ma position détachée d’observateur, ainsi que mon renoncement à toute espèce d’inimitié dans le portrait que je m’efforce de dresser de lui : lui se sent perpétuellement choqué de ce qu’il ne comprend pas, de ce que d’emblée il refuse de lire à son endroit, de ce qu’il s’empresse de qualifier sans véritable examen d’erreurs et de calomnies, il se croit agressé, il lui semble que je me défoule, que je l’écrase allégrement, que je prends plaisir à l’éreintement, ce qui me rend « injuste » ou « méchant », mais, s’il est indéniable que je ne l’aime pas, je ne le déteste pas non plus, car alors il me faudrait cesser de le mépriser, à quoi se résume tout mon sentiment à son égard. Et, suivant cette ligne immobile et opiniâtre, ce lecteur prétend que la moindre de mes constatations est fausse, et comme il ne sait argumenter ou ne détient pas le commencement d’une exprimable contradiction contre des assertions plus fondées qu’il ne le peut penser, il se contente de répéter que j’ai tort, et, parfois, pour sentir varier ces piètres tentatives, de produire ironies et injures pour blesser « en contrepartie » de ce qu’il éprouve de cuisant dans mes assertions au lieu de démontrer quelque chose, la moindre chose. Il ne conviendra jamais de ce qu’il est, et chaque fois, comme cela arrive souvent, que, professionnel à l’extrême degré, je démontre et manifeste ma compétence en prévoyant ses pensées et réactions, il continue d’affirmer que ça ne prouve rien, même au quatrième ou au cinquième degré de prédictions. J’ai tort, quoi qu’il arrive, et il suffit à peu près, dès lors, que je déclare une chose pour qu’il s’entête stupidement à tenir l’avis contraire, parce qu’il n’est plus, de ce moment, que contrariété et diminution où il s’enferre, où il veut coûte que coûte s’établir comme force, où son indignation de ne pas être comme individu prend chez lui le pas sur la conscience vérace qu’il n’est pas. Chaque fois que vous lui révélez la réduction existentielle qu’il a atteinte, c’est, paradoxalement, à cette pose de réduction qu’il fige toutes ses réparties, il devient même plus idiot encore, et plus anéanti, depuis que vous lui avez révélé son idiotie et son vide ; il se range du côté de l’humanité et de toutes les convictions atterrantes, de toutes les fois absurdes, il se met à produire proverbes sur citations, toute autorité bête qu’il estime devoir le défendre, il devient extrêmement solidaire à tous, il agresse et mord comme une brute, il ne lit plus rien et décide de ne plus jamais être informé de quoi que ce soit qui puisse le surprendre à votre manière – en somme, il s’abstient désormais résolument d’être, c’est fini, terminé, il aurait pu résister à ses tendances, se résigner encore à la reconnaissance de ses infirmités, au lieu de cela il dénie férocement tout ce qu’on lui représente de plus utile et de plus vrai, et le voilà qui se forge dans l’exemple de la bassesse une sorte d’idéal déclaré par quoi il insiste, consternant, pour vous opposer. Là-dessus, j’ai évidemment un coup d’avance, et c’est même facilement que j’en aurais trois ou quatre si j’y songeais pour m’en sentir quelque besoin ou de l’importance (ce qui m’arrive à l’occasion), mais alors son but frénétique n’est plus d’emporter la partie, il se contente de foncer aveuglément tel le berserker enivré sur ce qu’il estime son ennemi et selon ce qu’il juge son « devoir », pareil à l’homme soûl qui se croit insulté par un agent de police et qui marche sur lui tête baissée et s’effondrera sur le pavé à la moindre esquive. Oui, mais le policier, Monsieur, vous avertit seulement que vous êtes soûl, et ce n’est certainement pas pour son plaisir ou pour vous faire honte ! Il vous révèle votre état, il vous décrit tel que vous êtes, et s’il peut augurer que, d’ici une minute ou deux, vous allez choir après vous être un instant débattu contre lui et ses raisons, et qu’ensuite vous aurez bientôt tout oublié, il ne faut pas, je pense, lui en vouloir de vous dire la vérité, il aurait jugé, voyez-vous, que c’est pour votre bien, qu’il préfèrerait vivre entouré de gens qui ne fussent pas semblables à des bêtes désorientées : il avait assez confiance en vous pour croire que vous auriez pu changer de comportement et cesser, par degrés, d’effondrer votre valeur en déplorable alcoolisme avec vos amis du bar, nombreux et qui vous soutiennent, fussent-ce des « autorités ». Mais vous dites qu’il a grand tort de vous parler ainsi, de vous révéler à ce que vous êtes ou n’êtes plus, que ce n’est point son affaire de faire votre portrait ; vous trouvez qu’il faut résister à l’évidence, et que, décidément, un uniforme bleu, tout ce qu’il y a de bleu en général, indique nécessairement l’orgueil et le mal. Mais alors, pourquoi venir boire et vous répandre jusqu’au commissariat ? Vous frappez au carreau dans votre état d’ignominie, et vous déplorez qu’un agent de police ne se trouve pas trop disposé à vanter l’alcoolisme, ni même à en taire son ressentiment. Ignorez-le plutôt si son idée de dignité vous importune, et n’allez pas vous risquer à réfuter les réalités qu’il expose ! Vous êtes alcoolique, Monsieur, et il existe des façons d’en sortir. Écoutez donc mon conseil, ou sombrez à fond dans vos travers, avec ou sans connaissance de cause : quoique sans avoir jamais beaucoup bu, je sais exactement les symptômes intérieurs et plutôt simples de l’alcool, de sorte qu’il ne faut plus vous vexer ainsi d’être parfaitement deviné et circonscrit – mais certes, vous pouvez nier ce que vous êtes, c’est votre droit, et c’est même le propre de l’alcoolique de ne pas savoir au juste l’état dans lequel il se trouve ou justement ne se « trouve » plus, seulement, une fois encore, fuyez mon commissariat, fuyez ce blog, et départissez-vous de la prétention de savoir parler d’art, de livres, de la pensée et de quoi que ce soit qui ait même de loin la plus petite espèce d’importance en ce monde. Car enfin, vous ne nierez pas, je pense, que des alcooliques ne sauraient constituer des grands penseurs, ou alors c’est que, décidément, vous êtes bien plus soûl que vous ne le savez !

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