Antoine Gallimard n'est pas content
Antoine Gallimard, classé parmi les 250 plus grandes fortunes de France, ronchonne et prétend alarmer le Sénat. Non content d’avoir : imposé de longue date le prix unique du livre – c’est-à-dire son prix – sur tout le marché possédé devenu un immense catalogue d’injonctions gallimerdiennes, écrasé les libraires humblement soumis de piteuses subsides qu’on appelle des « remises », obligé les auteurs à se contenter d’oboles infamantes, concentré sa puissance par une multitude de rachats et de débauchages d’écrivains, et diffusé l’affligeante littérature que l’on sait dont pas un nom même primé ne restera à la postérité tant c’est nul, le voici qui trouve que M. Bolloré, qui est quand même plus riche que lui, qui bénéficie des réformes honteuses que Gallimard a précédemment fait voter, et qui ne s’arrête plus de racheter des groupes pour les fusionner comme Gallimard ne s’en sent à présent plus capable, s’apprête à faire mieux que son confrère Gallimard, et que ce dernier, maintenant jaloux de ce libéralisme « trop agressif », trouve que vraiment c’est exagéré, que ce devient scandaleux, que ça le met dans la position délicate d’avoir enfin un concurrent plus fort, et qu’au-delà de ses manœuvres habituelles à lui, ce ne devrait pas se faire chez un autre, au point qu’il dépose, le comble ! un recours devant la Commission européenne pour risque de situation de monopole ! Et voici un capitaliste immoral qui se fait immoralement supplanter par un plus capitaliste, et qui ne le tolère pas ! Et de pousser les hauts cris : « Mais cela va nuire à la diversité éditoriale ! À la qualité du livre, peut-être ! » comme si ça n’avait pas été, depuis des décennies, son objectif fièrement atteint, comme si à cause de lui principalement la diversité éditoriale n’était pas une illusion cantonnée à quelques structures indigentes d’amateurs sous statut simili-associatif, comme si la qualité du livre avait pu s’épanouir malgré la concentration des promotions et des subventions que Gallimard a su « généreusement » établir pour empêcher toute petite maison de prospérer ! M. Bolloré, pour sa défense, aurait déclaré vouloir « lutter contre les Gafam », ce qui fut justement l’argument de son confrère pour forcer en 1981 tout un secteur à se conformer à ses prix sans discuter, mais je crois que M. Bolloré se serait mal fait comprendre de ceux qui l’ont rapporté : c’étaient plutôt les Gaflam qu’il voulait dire, pour Ga(llimard)Flam(marion) et consorts ! Alors, quand Antoine Gallimard, le principal responsable du sinistre déplorable de la littérature française actuelle, s’inquiète et s’offusque, je déclare : « Préparez-vous : c’est probablement que notre littérature, qui ne peut plus guère déchoir, va s’améliorer enfin en quelque chose ! Parce que, quand tout est ainsi saccagé et que les seuls à se crisper pour la défense de ce désastre sont ceux qui ont contribué au carnage, il ne saurait exister de révolution qui pût encore abîmer une telle ruine. »