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Henry War
18 avril 2022

Quand la critique sature le jugement

On a toujours l’air de s’étonner qu’un pouvoir n’écoute pas les conseils qu’on lui donne : le propre de n’importe quel pouvoir réel, au point que c’en est presque sa définition, c’est de recevoir quantité de critiques défavorables, et probablement davantage que de positives. Or, se figure-t-on qu’après avoir essuyé tant de réprobations, une personne puisse distinguer aisément les remarques constructives des injures et des calomnies ? Il advient alors ce qui ne manque jamais d’arriver : l’esprit sature d’avoir à discerner dans ce lot d’invectives celles qui émanent d’esprits sains et celles qui en majorité relèvent du défoulement éhonté, du mécontentement le plus systématique et improductif ; ainsi, on en vient à rejeter tout d’un seul tenant, on n’écoute plus que soi, on ne consulte plus personne. Si nos ministres n’accordent leur attention qu’à leurs amis, c’est par lassitude d’apprendre, en dépit de quelques bonnes intentions chaque fois qu’ils s’intéressent aux avis extérieurs, combien ils sont déjugés, traités d’incapables et de menteurs : ils abandonnent donc toute curiosité et vont en droite ligne et sans concertation vers ce qui leur semble juste, parce qu’ils savent qu’à discuter ils atermoieraient sans cesse pour, quoi qu’ils décident, déplaire une fois encore et s’attirer des injures comme d’habitude. C’est l’effet vicieux de ceux qui, critiquant toujours pour blâmer, ne savent admirer personne ni louer : ils oblitèrent chez ceux dont ils parlent la faculté de recevoir la critique avec ouverture, parce qu’on finit logiquement par douter si ces critiques ne sont pas juste une posture, une humeur indéfectible de ceux qui conspuent, plutôt que des vérités utiles dont on peut se corriger et apprendre quelque chose. La tendance automatique à la plainte et au reproche contre ceux qui gouvernent constitue l’une des raisons pour lesquelles les gouvernants, rendus blasés, ne se penchent sur l’avis des gouvernés qu’au moment des élections, quand ces opinions leur sont nécessaires. Mais tous les grossiers appareils de parti, tous les dispositifs de censure et de dénigrement, toutes les coteries plus ou moins organisées pour abîmer les honneurs et salir les réputations, tous nos bienfaiteurs médisants, ne parviennent qu’à enferrer leurs sujets d’ire dans la surdité au lieu de les inciter à la consultation des sages : « Ça suffit ! se disent-ils, on ne lira plus un article et plus un livre ! Décidément, on n’attraperait un rhume de l’âme à se sentir ainsi toujours abaissé et méprisé ! On en tirerait une déprime ou une fureur ! L’effort de curiosité, presque toujours déçu, ne serait vraiment pas profitable ! Il faudrait tenter de parler des heures avec des gens qui ne pensent qu’à vous dire combien vous êtes nul et dont on n’a nulle garantie qu’ils détiennent une seule idée applicable ! » Se méfier des haleines opiniâtrement sales qu’on exhale sans discontinuer : ne pas s’étonner après elles que les pouvoirs y ferment leur nez, par conséquent leurs oreilles, inévitablement leur esprit. Voici en quoi, pour atteindre une pratique supérieure de la politique, il ne faut compter que sur des pensées capables de s’auto-entretenir et de s’éduquer par elles-mêmes, c’est-à-dire notamment des lecteurs de haute discipline intellectuelle, et ne point se fier à ceux qui prétendent consulter, dont les prétentions ne sont, selon toute vraisemblance, que des impressions ou des illusions superflues. 

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