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Henry War
27 avril 2022

Le problème dialectique des nés-avant-75

Ils sont singulièrement inaptes à argumenter, parce que l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, au sein de laquelle ils ne sauraient apparaître que sages et irréfragables, un peu comme s’ils étaient les pères de ce monde et plutôt leurs patriarches – c’est un vice largement masculin –, les empêche de prendre le moindre risque d’avoir tort, publiquement ou in petto – c’est pourquoi, contrairement à leurs prétentions ils conservent toujours les mêmes avis. Ils ont coutume, depuis des décennies, de deviser au lieu de disputer : la contradiction les choque, ils la prennent contre eux après l’espèce d’autorité qu’ils croient avoir établie sur leurs fils, et ils ont tant de crainte de s’y exposer qu’ils la fuient à toute demande d’éclaircissement. J’ai été renvoyé d’un Roland Mentré hier soir comme je le fus autrefois d’un Serge Rivron et de beaucoup d’autres bien davantage en raison de leur âge que de leurs pensées : il a suffi que je demande ponctuellement d’expliquer, avec quelque récurrence afin d’identifier un vrai point d’achoppement et de confrontation, ils l’ont pris comme un affront personnel. Ce sont des gens qui ne veulent pas changer, qui ont résolu il y a longtemps, dans une position anti-philosophique, que leur expérience suffisait, qui ne peuvent se retenir de placer leurs « états de service » comme si ça valait un argument, et qui supposent, comme vous les acculez à des variétés de preuves, c’est-à-dire au soupçon logique, admissible et naturel dans une controverse, que vous les provoquez. Ils ne se sont jamais faits d’un débat une idée autre, notamment plus interactive et foncière, que celle d’une conversation anodine à la surface des choses, idée où ils demeurent protégés de toute attaque de nerfs, de toute tension, de toute mobilité mentale qui les incommoderait et qui nuirait à leur confort auquel ils tiennent plus qu’à la vérité. La pensée d’un conflit, en quoi consiste toute discussion féconde, même fondé sur des raisons froides, les insupporte comme une impolitesse, parce que le privilège auquel ils ont pris l’habitude consiste en ce qu’on leur concède par sympathie qu’ils ont toujours raison. C’est une génération, selon le mot de Philippe Muray, qui n’accepte, parmi ses quelques sujets de réflexions, que d’en interroger des modalités, jamais leurs principes : c’est-à-dire par exemple que s’ils sont de droite toute leur tolérance polémique et toute latitude seront d’interroger si la tradition vaut mieux que la coutume, que s’ils sont de gauche elles consisteront à disserter si l’écologie a priorité sur le socialisme – et ils convoqueront là-dessus des universitaires de leur époque pour tenir des conférences et rédiger des livres. Il leur est impossible d’un progrès, prenant toute remise en cause comme un outrage, ni même de nuancer quelque chose – souvenir d’un écrivain de Wattpad de cette génération dont j’avais repris les tournures fautives comme cela se pratique couramment sur cette plateforme et qui, ne pouvant nier la qualité de mes retouches, s’était indigné, après m’avoir évidemment communiqué son expérience de juge, que les indications que j’avais faites, que je reçois pourtant plus que quotidiennement sans m’en offusquer, fussent des agressions, après quoi il m’avait congédié, comme si j’eusse trouvé beaucoup d’intérêt après cela à poursuivre mes échanges avec des gens incapables de se corriger et même résolus à ne pas le faire (il y a plus d’inconvénient à se trouver « bloqué » dans une discussion où vos épuisantes requêtes n’aboutissent pas, qu’à être définitivement « bloqué » par eux sur les réseaux sociaux). Ils sont d’une farouche obtusion qui, à vrai dire, n’est étonnante qu’à ceux qui ne les connaissent pas, c’est-à-dire à leurs enfants quand ces derniers s’en sont assez éloignés ou se sont assez désintéressés de psychopathologie pour ne plus chercher à les connaître. Le bon usage si l’on tient à maintenir avec eux de « bons rapports », c’est, aussitôt qu’on les a identifiés, de les lire et de les approuver tant qu’on veut – car ils écrivent parfois avec pertinence –, mais de ne jamais chercher à leur tirer des réponses en doutant moindrement de leurs positions : ils y seront de toute façon inhabiles, accoutumés au péremptoire de leur situation où ils s’estiment des autorités, et ne feront que fournir des dilutions qui vous feront regretter le temps prodigieux nécessaire à obtenir ne serait-ce qu’un argument ou qu’un exemple. Ce sont des gens qui, tristement et sans qu’ils s’en aperçoivent, ne sont propres qu’à rester en-dehors du siècle en cours et à venir, qui se sont marginalisés de l’univers de la pensée et des penseurs ouverts et véritables, ce qu’on leur passe souvent comme une pitié et avec une coupable complicité. Et je prétends que ce siècle a intérêt également à les tenir écartés, car ce sont indéniablement des inactifs et des arriérés, gens qui même, si l’on a de l’affection pour eux, souffriraient beaucoup s’il leur fallait se rendre compte et revenir de leur retard intellectuel où ils se sont, il y a longtemps et durant trop d’années, trop lourdement enferrés et perclus.

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