Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
3 juin 2022

La politique est un pari du Contemporain

Inutile de pavoiser et de faire des ambiguïtés ou des éloges : dans son immense majorité, le Contemporain n’a plus accès à un esprit des lois, n’a plus ni l’envie ni les moyens d’accéder à des idées et au respect de lui-même, n’a plus d’idéal que symboliste et puéril, et ne conçoit plus la politique que comme accessoire pratique à étendre ses passions. Notre époque ne connaît plus de pensée sur la société, dépassionnée, tendant à l’objectif, proprement philosophique, et pas davantage parmi nos élus : le Contemporain en a tout bonnement perdu la culture en même temps qu’il a égaré le sens du recul et de l’examen. Il ne peut plus seulement vouloir établir par degrés quelque espèce de bien commun, car il lui faudrait au préalable s’extraire de ses propres intérêts et distinguer ce qui est généralement légitime plutôt que personnellement profitable. Il s’obstine dans des doctrines auxquels il n’a pas réfléchi, et le premier véritable contre-argument qu’on rend à ses préjugés embrouillés et répétés l’embarrasse, ses « convictions » misérables ont toujours besoin du renfort d’un grand nombre de partisans sur lesquels il peut s’appuyer ou d’une poignée d’orateurs qu’il peut facilement recopier ; il est tout de surface épidermique et de communication sans substance, de proverbes et de slogans. C’est sans mal qu’on le fait se contredire, et alors, quand il s’en aperçoit et se sent acculé, il n’a que le recours de l’énervement et de la morsure pour se défendre : des mœurs véritablement politiques ne sauraient se bâtir sur de si piètres fondements. Il ne s’agit même plus, de nos jours, de distinguer des sages aptes à détenir la vérité, mais uniquement de trouver quelqu’un avec qui, par miracle, on pourrait juste sainement discuter un peu. « Discussions », c’est ainsi que j’ai intitulé cette suite d’articles : je ne prétends pas fort savoir quelque chose, mais au moins avec moi peut-on échanger sans force prévention et avec une calme distance, si l’on en est encore capable. J’écoute toujours. J’attends toujours.

Anecdote récente, pour illustration : je discutais avec un inconnu, sur un réseau social, de l’extension du pass sanitaire qu’il approuvait. Il paraissait cultivé, usait d’un langage soigné, quoiqu’avec cette tendance au jargon qui est l’apanage des gens instruits ayant coutume de se sortir par ce moyen embrouillé des difficultés qu’ils rencontrent. Puis, je sens que mes questions et raisonnements, qui pourtant ne signalent aucune position tranchée, lui font perdre patience : il feint de découvrir après plus d’une heure que j’utilise un pseudonyme, et admet aussitôt qu’à cause de cela il n’est pas tenable de poursuivre la discussion, malgré son habitude manifeste de parler à toutes sortes d’identités masquées. Je me résous à abandonner l’échange : qu’aurais-je à espérer d’être édifié par cette mauvaise foi ? On veut converser, obtenir des raisons, c’est bien sincèrement qu’on souhaite être gagné d’une idée nouvelle, mais le Contemporain, qui se vexe bientôt, admet tôt ou tard que vous n’êtes simplement pas une personne à qui parler. C’est là toute la représentation qu’il se forme d’un débat où, selon lui, tout est joué d’avance et chacun fait seulement semblant de comprendre l’autre. Et l’on voudrait, avec cela, qu’il subsistât de la politique ? un véritable esprit politique ?

La politique, actuellement, n’est plus devenu au juste qu’un champ de paris, voilà : on mise périodiquement sur des candidats ou des lois préparées, et l’on se félicite ensuite d’avoir eu raison si c’est bien celui-ci qui a été élu ou ce qui a été décidé ; celui qui a tort, en définitive, n’apparaît pas qui s’est montré le moins vrai ou le plus bas, c’est seulement qui a soutenu ce qui ne s’est pas réalisé. On se livre ainsi à des batailles dérisoires qui ne servent qu’à se sentir confirmé par une sorte de « progrès » adoubant le prévisionniste chanceux, c’est ce qui explique que, depuis des décennies, le futur maire, député ou président est identifiable par avance dans la grande majorité des cas peu de temps avant l’élection : c’est que les citoyens, au dernier moment, se rangent plus ou moins consciemment du côté du favori pour s’arroger la victoire et ne pas se trouver avoir annoncé une fausseté ou participé « pour rien » à un vote, comme c’est le cas à la présidentielle où les candidats les moins probables ne passent jamais le premier tour pour la seule raison qu’ils sont considérés ou présentés comme improbables, d’où l’importance des sondages qui renversent les Français, les retournent et les opportunisent. Le Contemporain avoue ne connaître rien en sciences politiques, il n’y a jamais soutenu un effort, il n’a pas lu un ouvrage pour se donner de la peine et de la compétence en la matière, il ne risque pas même la prétention de s’y intéresser et ne dispose nullement des ressources mentales pour s’y essayer – je parle bien d’esprit des lois et point du suivi des éternelles « affaires » –, alors il accapare le scrutin comme un pari, choisit son camp selon des indices de succès, et, s’il est enfin confirmé, il se donne l’occasion d’une petite fête, tandis que s’il est détrompé, il s’en moque, oublie très bientôt et s’en remet déjà à la prochaine échéance pour d’autres chances de succès. Il ne faut pas entretenir d’illusions, c’est uniquement cela, la politique, en France : des personnes ricanant autour d’un verre de champagne pendant que d’autres vont dormir plus tôt. Notre nation n’a pas l’esprit politique, elle n’a que l’esprit du champ de courses, superstitions et mystères : il ne faut qu’être au verdict du côté des gagnants, tout ceci est fatidique et excitant comme un rêve américain. Ainsi en politique, le changement auquel on aspire n’est que changement d’humeur, rien de plus. Par exemple, tous les parieurs de pass sanitaire aujourd’hui se réjouissent : chaque fois qu’ils tendent leur QR code au serveur ou à la police, ils se souviennent qu’ils ont misé juste, cela leur plaît et les rengorge, ils n’ont cure de se demander si c’est raisonnable et si ça sert, ils sont enfermés dans des litanies électorales dont ils n’ont plus aucune raison de sortir maintenant qu’ils sont assurés d’être dans le camp « pratique » ; on connaît pareillement une majorité de Français qui misèrent en 1940 sur la victoire allemande, qui provisoirement n’eurent pas tort, et qui furent contents. L’important n’est pas le résultat fondé sur une vision honnête et sagace d’une controverse ou d’une situation, c’est uniquement le fait que l’avenir vous ait donné raison, même si c’est pour l’avoir provoqué et empiré. En somme, le citoyen ne réfléchit plus en politique qu’en termes de probabilités : qui à la fin se verra confirmé par des faits ? Qui sera dans le camp des vainqueurs ? Qui avec eux pourra se satisfaire et boire un coup enivré ? Il se moque des conséquences du pari, la preuve : « Allons donc ! viens me serrer la main, toi qui n’es pas vacciné, et parlons maintenant d’autre chose, puisque tu as manifestement perdu et ne peux plus te rendre dans certains lieux publics. Sans rancune ! » On ne garde nulle mémoire et nul soupçon de la conséquence des lois quand on l’emporte sur son adversaire d’autrefois, l’histoire vous a couronné, voilà tout, vous êtes fier de ce fatum, ce qui indique bien que ce qu’on désire, c’est la victoire du fait et non le succès de sa raison : l’important, c’est que le contradicteur d’hier soit soumis à la réalité du présent.

Évidemment, la succession des paris se fait ainsi surtout sur les pronostics des experts et sur la sensation d’une vogue : on se fonde sur des tendances, on tâche à analyser une inclination populaire, et l’on poursuit la pente entamée. C’est le vice intrinsèque des peuples démocratiques qui ne savent pas réfléchir de ne faire qu’inciter les faits nouveaux à confirmer les précédents, de ne jamais oser infléchir une « trajectoire historique », raison pour laquelle ils sont incapables de créer de l’histoire ; et quand par exemple ils estiment que « l’air du temps » est au féminisme, ils élisent une femme qui n’est pourtant ni pire ni meilleure que le précédent élu, et voici comme ils construisent le progrès de leur société ! Ils reniflent les signes et l’ambiance de leur époque, et ils tâchent à les confirmer pour se sentir « raison », pour vérifier qu’ils étaient bien « dans le vrai », qu’ils avaient une « vision d’avenir », mais à aucun moment au cours de ce processus ils n’ont sérieusement songé à la direction qu’ils pourraient impulser à la société, à son bien et à ses valeurs : de telles considérations les dépassent de loin, ce n’est même plus « de la politique » en leur mentalité, c’est tout à fait de la « philosophie » au sens le plus méprisant du terme, le plus déconnecté et métaphysique. À force de jouer au pari, ils n’ont rien amélioré de leur pays, ce n’a jamais été foncièrement leur préoccupation ni même en quoi que ce soit le « problème », mais ils sont devenus extrêmement sensibles à flairer quand le vent tourne et à basculer leurs opinions et leur suffrage dans le sens de la majorité probable ou décelable. Le Contemporain français n’est qu’un odorat opportuniste sans cervelle ni conscience. Il ne fait que souscrire à toutes les mauvaises fois de ses représentants, et cependant il s’indigne que leurs opposants en usent d’identiques ou de semblables, et pourquoi cette bizarrerie ? Parce qu’il a cessé depuis longtemps « d’examiner la question », de quêter un moindre fond, et n’importe pour lui ce que son cheval fera après la course pourvu qu’il franchisse le premier la ligne d’arrivée ; c’est à peine si, en un sens noble, le Français « prend position », ce qui nécessiterait d’élucider un débat ; il se contente de « prendre son parti », ne raisonne pas, ne sait pas réfléchir, puis il attend que son pari soit la position de la France pour se féliciter d’avoir été – si perspicace et avisé !

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité