Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
3 août 2022

Perpétuité des choses comme le Covid

Le Covid a cessé depuis longtemps d’être un fait : il est devenu rumeur que la rumeur – chose curieuse et assez inédite – matérialise comme un Münchhausen. Personne sauf moi n’a encore osé remarquer comme le Covid a répondu à un besoin d’inquiétude profondément inséré en la personne contemporaine depuis que le confort et le divertissement ont pris toute la place de l’authenticité et de l’individu dans la définition de son identité : le Covid est la maladie du désœuvrement et de la componction. Depuis toujours, tout homme se sert de la crainte pour se sentir de la valeur, mais il vit aujourd’hui dans une société qui ne lui offre plus que de piètres occasions de crainte, sans motifs avérés ; or, on ne peut pas être un héros là où notoirement il n’y a qu’à jouir. C’est pourquoi la plupart des préoccupations modernes sont artificielles et leur intensité correspond peu à la mesure objective des risques, au point qu’on est venu à créer des barèmes de sentiments-des-faits qui comptent davantage que les faits eux-mêmes : l’insécurité effective passe après le « sentiment d’insécurité » qu’on admet une priorité dans la plupart des politiques publiques. Comme en réalité on n’affronte presque plus rien, il faut donc que ce soit la confiance du succès qui fasse défaut – le voilà le prétexte : la crainte non de mourir vraiment mais, factice, de ne pas avoir pris toutes les mesures pour favoriser la vie – : et ainsi, comme il faut combattre pour s’estimer et ne pas se déjuger, c’est surtout contre la peur de l’échec qu’on s’escrime et rien d’autre, sorte de peur de la peur ou phobophobie – on ne veut pas permettre l’occasion de peurs véritables. De surcroît, comme le manque d’esprit critique actuel condamne à ne vivre qu’une préoccupation à la fois, il est fréquent que le dernier souci à la mode remplace le précédent, et c’est ainsi qu’on voit que les piètres émois suscités par les élections ou la guerre en Ukraine diminuent un certain temps la portée de la peur associée au Covid et donc le Covid lui-même. Semblablement, le souci de l’inflation phagocyte la pensée de l’écologie : une crainte moins intangible en chasse une autre plus virtuelle. Il faut à l’intelligence affaiblie une direction grossière et unique : sa pensée est un estomac rustre qui ne sait remâcher qu’un aliment à la fois. Il n’y a guère de place, dans des cerveaux déshabitués d’autonomie et de sens rassis, à la conception d’une multitude de paramètres simultanés. Le Contemporain est un monomaniaque tenant à se forger une « belle âme » : le moindre doute est l’alibi dont il fait sa « responsabilité » comme si c’était la mort même qu’il devait directement affronter. Il fuit la grandeur des combats réels, et voudrait que ce fût cela, la grandeur : tout ce qu’il écarte est un spectre qui ne l’atteint pas. En somme, il ne revendique toutes ses victoires que sur la possibilité d’un adversaire.

Parallèlement, le Covid a cessé d’être un fait parce que le Contemporain lui-même a cessé d’examiner les faits. Il ne sait pas ce qu’il croit savoir, il n’a ni intellection ni jugement – « juger » est une insulte pour lui, il refuse de distinguer ou de « discriminer » (le vrai du faux). Au même titre exactement, il n’a jamais vérifié comme se réalise « l’effet de serre », comme a commencé la guerre en Ukraine, ni comme se construisent les chiffres associés au Covid. C’est trop compliqué, il ne veut pas y consacrer son temps libre qu’il réserve exclusivement pour se distraire. Il n’a jamais lu un texte de vulgarisation sur le forçage thermique, écouté dix minutes d’un discours de Vladimir Poutine, ni posé les yeux sur la synthèse d’un des nombreux rapports indépendants sur les effets des masques ou des vaccins à ARN messager. La vérité ne l’intéresse pas tellement ; il ne la ressent pas comme une valeur ; il ne veut pas se renseigner : cela l’épuise d’avance, son réflexe est, comme chez maints adolescents, de cesser l’effort aussitôt qu’il le ressent, quel que soit l’argument dont il couvre sa paresse. Il ne réclame que des bilans digérés parmi les cinq livres qu’il achète tous les ans pour se sentir instruit de ce dont tout le monde parle ; il n’aspire qu’à se conformer à des préconisations officielles et portant avec évidence les insignes du maître ou du berger. Il absorbe, mal ; jamais ne viendrait à son caractère négligent le début d’une prétention à mettre en doute : il réfute la possibilité d’une inspectionqu’il nomme avec opportunisme : « tendance au complotisme » ; il n’en a pas du tout l’habitude ; il ne saurait même pas faire, comment construire un examen, une vérification. Son école fut d’abord le lieu où il apprit à reconnaître d’où vient la parole sacrée, d’où émane le bien, conditionnement ou imprégnation « morale », mais elle ne lui a pas inculqué les fondements de la distance critique : son école fut sanctuaire, et Descartes y eût par trop introduit une gêne – Descartes est aussi plus difficile à assimiler que les Dix Commandements. Alors, avec si peu de capacités, il a entendu des spécialistes, accrédités et appointés ; il a senti les contradictions entre eux, et, comme il se figure décidément que tout est relatif même en science et qu’il accorde à chacun le bénéfice-du-doute, il n’a pas pensé que de telles contradictions indiquaient des spécialistes de pacotille, il a préféré croire qu’ils étaient tous « de bonne foi », que certains, probablement les moins nombreux, se « trompaient » seulement. Il n’a pas souhaité non plus distinguer lui-même entre les spécialistes, il n’aurait même pas su par quoi commencer ; il attendait probablement des spécialistes en spécialistes : ils ne sont pas venus, ça n’existe pas, on ne se fierait pas à eux non plus de toute façon, d’aucuns les discréditeraient à tour de rôle, il faudrait encore externaliser des esprits pour trancher entre ces experts-ci. Le Contemporain, sans discernement, préfère se rassurer en continuant de croire qu’il existe des compétences, même s’il n’en voit nulle part autour de lui et s’il ne s’estime pas compter parmi elles. Ce sont de telles « compétences » qui ont laissé aller le monde plutôt fâcheux au milieu duquel on doit prendre rendez-vous trois mois à l’avance pour se faire soigner une rage de dent, et s’empêcher de porter plainte pour vol pour ne pas risquer de payer plus cher que son agresseur. C’est « conjoncturel », venu comme ça, fatidique en somme : personne n’y pouvait rien, et, comme on n’y a pas réfléchi en particulier, on n’a pas trouvé, là au débotté, de solution, par conséquent ces solutions ne devaient pas exister ou on ne devait pas les exiger. Ce n’est pas que les spécialistes ne font pas leur travail, c’est que ça paraît vraiment trop difficile à arranger ; on ne sait pas, il ne sait pas, alors personne sans doute ne sait. Le Contemporain admet pour vraisemblable, tant il voudrait se sentir bon, qu’il n’y a pas de penseurs beaucoup plus efficaces que lui. Ils font ce qu’ils peuvent, ils font tous tellement de leur mieux ; oui, ils n’ont pourtant pas fait grand-chose. Chacun se dissimule son incompétence et son ennui, son abandon de la tentative même de compétence, de l’aspiration à quelque chose qui ressemble à une compétence supérieure – « supérieure », voilà un terme ni actuel ni démocratique : intempestif. On ignore ce qu’on aurait fait nous aussi à la place des spécialistes, c’est la preuve qu’ils n’ont certainement pas de torts. Le credo d’une démocratie-des-aises et de l’égalité-des-piètres consiste en ceci : on ne peut pas imposer à autrui ce qu’on ne souhaite pas soi-même pour s’améliorer. Ergo il n’y a personne à blâmer, nul responsable, aucun n’eût mérité la suprême contrainte de faire mieux. Sombre tolérance des médiocres qui se soutiennent entre eux et qui ne sont pas même à la hauteur d’un fait.

Le Covid a cessé d’être un fait parce qu’on a cessé de définir les concepts qui servent à en parler. Le Covid est une maladie, dit-on, mais c’est une maladie qui fait peu de malades ou plutôt qui fait peu de maladie ; à présent, c’est même surtout une maladie de bien portants, une maladie de gens qui restent plutôt en bonne santé, tout au pire une maladie qui risque de tuer environ à « l’âge normal », à l’âge moyen, une maladie – qu’on pardonne l’audace – équivalant à peu près à une indigestion ou à une diarrhée (sait-on que, chaque année, la gastro-entérite tue aussi en France – principalement des nourrissons, c’est-à-dire un public fragile, à risques ?). Le Covid n’a presque jamais été une cause de décès, on n’est pas vraiment « mort du Covid », ceci est inexact, le Covid est principalement le facteur d’aggravation d’un état déjà morbide – quand je pense à tous ceux qu’on a défaussés du motif véritable de leur lutte, à qui l’on a confisqué l’honneur posthume du combat réel qu’ils ont mené contre une vraie maladie : le seul « décès Covid » que j’ai personnellement quoique indirectement connu était d’un homme en rechute de leucémie : toutes ses années de souffrances ne furent que pour marquer sa mort de l’inscription ostensible d’une contingence, le Covid, contre laquelle il ne s’était jamais battu. Être Covid, ce n’est pas souffrir d’un risque ou d’un danger, être Covid c’est être positif à un test : une machine vous l’annonce souvent avant que vous ne l’ayez même soupçonné, le test décide si vous êtes malade, et c’est seulement après qu’il est revenu positif que vous trouvez décidément qu’il fait deux jours que votre nez coule un peu. On a ainsi créé la peur d’une maladie où l’on ne sent rien, où l’on se trouve au pire engourdi, et, sans cesser d’appeler cela « maladie », on a tenu à vérifier si l’on pouvait se faire le frisson de participer enfin à un événement comme la maladie-dont-tout-le-monde-parle. Les épidémies de Covid correspondent maintenant surtout non à des vagues d’hospitalisations et de soins critiques, mais à des séries de tests forcés : à la première campagne d’incitation nationale de dépistage, l’épidémie « reprend » ! La science en est encore à s’interroger sur l’efficacité de ces tests capables de détecter toutes sortes de reliquats qui ne sont pas Covid. Mais les gens sont curieux, avides de ces tests, irrationnellement : caprice de savoir, ne pas résister (à l’envie) : syndrome plutôt que symptôme. C’est au point qu’ils sont nombreux à se tester sans signe sanitaire ni contagion alentour. Ils veulent périodiquement savoir s’ils peuvent obtenir cet « inattendu », se prétendre « malades » eux-aussi : maladie de la grégarité, de la solidarité et de la solitude. La « responsabilité » leur sert presque toujours de prétexte à passer le test : en réalité, ils ont un « doute », se savoir positif ou non ne changera rien, cela modifiera seulement la perception qu’ils se font de leur état, c’est un rite de passage dont dépend leur sentiment d’appartenance et de grandeur. C’est un de ces événements qui les questionnent, qui les préoccupent à défaut de réel événement dans leur vie. Ils appelleront leur famille après ça avec ce sujet de conversation : « J’ai le Covid. — Soit ! tu as 37,9 de fièvre. Magnifique. Mais pourquoi es-tu allé te faire tester ? Pourquoi m’importunes-tu avec des choses pareilles ? — Je ne sais pas. Ils ont dit que c’était important, à la télé. — Superbe. Ça donnera un prétexte de plus à fermer le pays. Parce qu’enfin, tu ne comptes pas retourner au travail ? — Ils ont dit qu’il ne fallait pas… — … à la télé, oui, je sais. » C’est cela, l’Épidémie : des gens qui n’arrivent pas à se retenir d’aller vérifier à répétition s’ils sont positifs, et qui ont l’air de se plaindre quand finalement ils le sont, qui ne savent plus à quel point ils le doivent, se plaindre, qui sont un peu gênés et fiers en même temps. Auparavant, si l’on se souvient – c’était il n’y a pas si longtemps – quand on était malade, cela se sentait. À présent, quand on aimerait être malade, ou lorsqu’on souhaiterait confirmer quelque pressentiment de maladie, on se glisse une tige dans le nez et on attend quelques minutes : on a, qui sait ? l’honneur de se figurer médecin (alors on le fait aussi à ses enfants ou à ses proches, on devient bien « expert en écouvillon »). On est ainsi parvenu, dans une société du plus extrême des conforts, à débarrasser le malade de symptômes tout en lui attribuant les avantages de la maladie. Cette époque a réalisé le héros sans épreuve : c’est le Christ sans calvaire ni stigmates. Vous êtes malade ? Vous voici devenu « responsable » c’est-à-dire dispensé de travail, la belle conversion ! Toujours sans égratignure et presque aucune incommodité !

Le Covid a cessé d’être un fait parce que les faits politiques ont supplanté le Covid lui-même : le Covid au lieu d’être un fait est un sujet, tyrannique dans les États ; c’est au moins en ce sens qu’on peut légitimement parler de « dictature sanitaire », car il s’est longtemps imposé dans les hémicycles et dans les conversations contre les autres préoccupations d’envergure qu’il a comme censurées. Pourquoi cette prééminence ? Il faut comprendre nos élus et consorts : ils ne connaissent à peu près rien en quelque chose de précis, proviennent au mieux d’écoles qui n’enseignent qu’aux fiches de synthèse et à paraître connaisseurs, ce sont des Contemporains aussi, ils sont craintifs, irresponsables, incompétents comme tout le monde. On les inquiète, la foule les interpelle, on exige d’eux des actes ; comme ils ont l’ambition d’être des gens d’action, ils s’activent, mais sur quel fond ? ils n’ont qu’un bruit ! Alors ils consultent, pour n’être pas coupables des décisions importantes qu’ils vont prendre : ils décideront ainsi par délégations, presque par contumace, ils préfèrent se constituer les fondés de pouvoir de ceux qui prétendent connaître parce qu’on leur en a attribué le statut – ils ont particulièrement intérêt à accorder leur confiance, à abandonner tout scepticisme et jugement, car ils n’ont pas d’autres sources, sans celles-ci ils ne sauraient pas quoi faire, auraient l’air impuissants et ridicules. Ils interrogent donc les spécialistes, mais ils ignorent qui ils sont ou plutôt lesquels en sont : eux non plus ne disposent pas de « spécialistes à spécialistes ». Ils emploient donc des groupes de réflexions, et différentes commissions où ils nomment des gens supposés renseignés, ainsi que des cabinets de conseil. Il y a toujours eu des gens payés pour se placer près des sphères où ils pourraient attirer l’argent : la responsabilité qu’on délègue, ce soulagement se paye auprès des délégués. C’est normal et ce n’est pas sinistre : on en ferait autant. Alors, ces « spécialistes » quand ils ne savent pas disent : « Il vaut mieux être prudent », et, quand ils savent disent : « Il vaut mieux être prudent ». Ils n’ignorent pas qu’on leur reprocherait leur détente si la situation tournait mal, mais on ne les blâmerait sûrement pas d’avoir inquiété inutilement. Le principe de précaution, c’est s’écrier avant le mal, avant même l’ombre d’un bobo, avant même d’étudier la question d’où pourrait surgir le mal – et non seulement ça, mais pousser ces cris avec l’air vertueux du chevalier ou du prophète, c’est-à-dire du « Citoyen » ou du « Responsable ». Ils sont payés pour étayer la crainte, ils encourraient des périls à prononcer la tranquillité. Ils rendent leurs oracles, et les élus sont ravis d’apprendre qu’il faut faire quelque chose, parce que c’est justement à quoi on les appelle : aussitôt, par vote, ils confirment, mais ils ne savent toujours rien, ce qui s’appelle « savoir ». On voit comme tout ce monde s’entretient et s’accorde. On ne trompepersonne : chacun obtient ce qu’il désire, même le peuple transi qui attend une réponse et des agissements.

Le Covid a cessé d’être un fait parce que la passion s’en est saisie, que le fait a disparu par contraste, qu’il a été gommé par l’émotion. Comme on se plaît à redouter et qu’il n’existe guère de stimulation tangible pour justifier ces appréhensions, on se forge des soucis potentiels plutôt que réels – la santé a toujours l’avantage de se présenter comme le risque d’un mal sans signe annonciateur : « un homme en bonne santé est un malade qui s’ignore » –, alors c’est tout logiquement qu’on a fabriqué des remèdes de nature essentiellement psychologique. Il ne faut pas reprocher à des entreprises privées de contribuer à la quiétude à défaut de guérir d’autres pathologies ; c’est ce qu’on leur demande avec fébrilité, car elles nous soignent quand même, elles nous guérissent de nos paranoïas, et nous les en remercions enpayant – cher. Même, les États, comme on l’a vu, leur en sont plus redevables que par contrats ordinaires : ils assumeront et le paiement et la défaillance, ils se chargeront des coûts des traitements et de la défectuosité des traitements – le succès physiologique n’a pas tant d’importance. Ils éprouvent une gratitude à laquelle des papiers signés et des rétributions financières ne suffisent pas. Ne pas croire que ce phénomène est neuf : l’absence de problème d’ampleur il y a des décennies favorisa la peur du cholestérol dont personne ne sut prouver décisivement la nuisance : on inventa les statines pour se débarrasser surtout d’une idée négative, mais on ne sait plus quel mal elles sont censées guérir, les statines, on est soulevé d’un trouble à l’idée d’y vérifier, et, stylés à leur usage bête, on n’ose plus y réfléchir. La pensée de la protection prévaut, et non seulement la protection, mais les mesures de prévention qu’on veut rendre obligatoires, c’est-à-dire l’usage du bouclier avant d’être sur le lieu du combat : c’est le haut période de la sécurité appliquée à des risques quand ces risques n’existent même pas encore – on a admis le port du masque en extérieur, et même à l’intérieur sans résultats probants de son efficacité – ; et notre société de l’indolence sans histoire car sans événement en est au point de supposer que la possibilité d’un coup mérite la sanction du coup réel. Les gens sont devenus fous-béats à force de vivre heureux, cherchant sans délai la solution à leurs mauvaises humeurs, reconnaissant jusqu’à la démesure absurde et anticonstitutionnelle la nécessité de légiférer et de punir contre des fantômes de mal et contre des représentations de danger. La menace n’est plus tolérable : elle se mesure tout comme une atteinte. C’est le signe exact que, dans sa folie, une civilisation va vraiment « très bien » : elle n’a plus que des imaginations à poursuivre, ne lance des assauts que contre des chimères, faute d’ennemi palpable à atteindre. Il ne faut plus s’agiter frénétiquement que contre des cauchemars auxquels on donne ainsi consistance : extrémité de l’homme qui ne vit plus que dans un monde – de rêve !

Le Covid a cessé d’être un fait depuis que des auteurs rares comme moi, froids analystes du Contemporain, l’ont identifié comme une occurrence parmi beaucoup d’autres de l’esprit du simulacre : il n’est pas encore un fait en ceci qu’il est surtout un prétexte à établir des faits – faits psychologiques, sociaux, juridiques –, et qu’il est fait pour lever plutôt un problème d’une nature morale. La déliquescence évidente du sentiment de grandeur suivant les anciennes bases éthiques a créé le besoin d’un renouveau des critères pour ne pas perdre en estime-de-soi c’est-à-dire en amour-propre. Régulièrement, il faut permettre l’émergence d’excuse-à-se-refaire-une-« dignité ». Bel et bien le Covid est-il ainsi un nom vide : à peine fondé sur des réalités objectives, il est reproductible par variétés en des circonstances propices qui se rencontrent dans les société de l’ennui et du divertissement, mais il n’y a presque pas un Covid véritablement mesurable et caractéristique, le Covid est une latence en l’homme contemporain, il l’incarne, il est une manifestation, parmi beaucoup de phantasmes similaires, de son fondamental défaut de réflexion et de recul qui a envahi l’humanité depuis plus d’un siècle. Un Covid, des Covids, la guerre en Ukraine, une hausse des prix – combien on s’aperçoit à présent que le « traumatisme » d’un gasoil à 1,70 € du litre était aussi une fabrication de symbole, après l’immanquable douleur du trou de la couche d’ozone, l’empathique scandale de la faim dans le monde, ou l’intrinsèque pitié de la disparition de telle espèce de mammifère qu’on n’avait jamais directement vue sise à l’autre bout de la Terre ! – ; cela se décline, Covids ; après la grippe aviaire la variole du singe qui n’est pas davantage un péril mais dont on tente le goût de l’affolement-pour-exister, autant de manières de défier le refus actuel de mourir en moyenne au-delà de 80 ans, on n’a même pas envisagé – envisagé ! – de meilleure solution à cette pure démence que d’hypothéquer une part considérable des ressources présentes pour vivre quelques mois de plus, encore qu’en mauvaise santé, mais rien à vaincre, rien d’autre à traquer, rien que des spectres à chasser, et pas un esprit émergent, par une intelligence éclairée, pour figurer la terreur bien plus immense et effroyable d’une communauté triomphante de la stupidité et de la subjectivité populaires, la « Confederacy of Dunces » environnante et criante qui imprègne « fièrement » chaque membre « honorable » de la société sous les draperies pompeuses, surfaites, retapées aux dorures, de « convictions » et d’« intuitions », des Boomers durablement bienheureux qui ne veulent pas qu’on les prive du rêve de commettre des gestes-barrières d’une épopée pour eux sans égale, des plus jeunes qui tiennent au droit de se définir « bons » à la condition qu’on leur offre l’opportun sacrifice de glisser une tige dans leur narine à la moindre occasion, des enfants altiers d’obéir sans penser au doute et à l’infimité des « valeurs » que leurs parents leur conditionnent irrémédiablement en représentant ces pauvretés comme des « vertus », une civilisation malade, malade de son absence même de maladie, malade de ses plaisirs et de sa vacuité, qui n’était pas prête au vertige tellement horrible de ne subir plus aucune souffrance, que son éducation tant négligente n’avait pas préparée à l’insignifiance, qui eût dû construire du sens et de l’effort pour compenser sa déréliction de passivité et de confort, comme se l’imaginaient les penseurs du siècle dernier en croyant que la diminution du travail permettrait le développement de la pensée individuelle et des arts, au lieu de cela tout un monde végétant et croupissant au désastre de sa paresse et de ses épidermiques suréactions face à des stimuli qu’il s’invente presque de toutes pièces, ô si pitoyables vestiges d’hommes, si inutiles monades qui s’inquiètent de ne plus avoir le moindre effet sur rien ! L’homme n’est pas malade du Covid, il a disparu, et le Covid est son frétillement sur la berge des eaux de sa Dignité passée et de sa Grandeur révolue…

Non, le Covid n’est pas un fait, il représente tous les faits à venir faute de changement, faute de réflexion véritable et de scientificité, faute de quelque retour à une rationnelle et brutale croissance de l’humanité ; il est l’émanation nauséabonde de l’affreux défaut de compréhension de tout, de la déroute des facultés d’intellection, de l’inaptitude principielle à la puissante et juste distance nietzschéenne ; il réveille et radicalise en le Contemporain le Faux et le Facile qui sont ce qui s’y trouve de plus accessible et peut-être même sa seule matière, et, extrapolé au futur de la perpétuité, il pointe nettement, par absence de leçons qu’on pourrait instruire en l’homme contemporain, vers la perspective de disproportions plus infamantes et dérisoires, et promet ainsi la quête renouvelée de nouveaux drames de tête – de tête, de tête seulement, et pas même d’esprit.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité