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Henry War
20 août 2022

Motivations d'un bon article

Si l’on n’a pas l’orgueil de penser que ce qu’on écrit est d’une certaine valeur objective, si l’on ne juge pas ses textes en quelque manière supérieurs par l’éloquence, si l’on ne ressent pas leur diffusion comme édifiante et nécessaire au point qu’inexprimé leur contenu paraîtrait comme perdu pour le monde, je n’entends pas par quelle vanité réelle on publie un article qui n’est alors qu’un épanchement stérile de plus. C’est tout logiquement qu’un écrivain humble est forcément insincère ou égoïste : s’il promeut ses ouvrages et relativise leur vertu, pourquoi en encombre-t-il l’esprit du lecteur ? Si c’est pour se défausser d’idées qui le congestionnent, comment prétend-il que son motif est généreux puisque n’ayant de soin que pour soi comme il le confesse, il fait plus grand cas de lui-même, est donc plus orgueilleux que celui qui, parce qu’il se sent meilleur, aspire à passer au moins un peu de contagieux enseignement ou mérite à travers ses textes ?

Surtout, on n’écrit pas une réflexion ferme et profonde dans l’omniprudence de sa propre modestie – cette précaution est impossible ou rend l’articles lâche et mauvais. S’excuser de ses audaces, les nuancer constamment à seule fin d’éviter de produire une impression ostensible de grandeur, demeurer vigilant à ne pas « passer des bornes » au prétexte que la frontière est plus admissible que surprenante vérité de l’apatride, c’est tenir à la norme et, à force de piétiner, ne jamais aventurer une nouveauté qui puisse être d’un certain service pour le siècle. Les articles ennuyeux, ergoteurs, superflus, sont ceux où l’auteur perd son temps en références pour tâcher à faire pardonner l’originalité de sa conception, pour se départir de la responsabilité d’un choc, et ses circonlocutions tâchent surtout à « produire de la ligne » en se contentant de penser dans un certain rond réglé et acceptable : c’est toujours de la morale de circonscription. Le génie n’est pas prolongateur ; il ne faut pas, quand on écrit un article, empêcher une idée au prétexte que nul ne semble l’avoir écrite avant soi et que, ainsi fière et unique, son allure et sa démarche étonneront : bien au contraire, c’est exactement celle qu’il faut écrire, mais en s’attendant aux répliques outrées qu’elle suscitera, la vérifier méticuleusement pour la rendre, dans la forme où on la présente, inflexible, irrécusable, irréfragable. 

Le meilleur repère de justification de la rédaction et de la publication d’un article, c’est sa nouveauté édifiante à l’impression de l’auteur : il faut, autrement dit, que celui-ci n’ait jamais rien lu de tel, et il doit trouver que son contenu lui aurait été profitable à l’heure où il l’ignorait. L’auteur a tort de toujours s’imaginer par défaut que d’autres ont déjà parlé de son sujet mieux que lui, il lui faut s’y atteler comme s’il était le premier, ou alors il ne fera que chercher dans les livres d’autrui des périphrases de ce qu’il veut dire, et penchera à les recopier à force de s’en inspirer, sera ainsi davantage lecteur et plagieur qu’auteur de la moindre authentique chose.

Un article doit être ainsi modalisé à hauteur de sa véracité : si la vérité heurte, ce n’est pas où l’auteur doit s’excuser ; en revanche, s’il n’est pas sûr, son devoir est de l’indiquer afin qu’il ne se sente pas ensuite enferré dans une fausseté, prisonnier d’un mensonge par crainte du flagrant délit de malhonnêteté qui emporterait toute sa crédibilité – il importe d’ailleurs que ses réponses aux critiques, qui font partie de son œuvre, n’en dénaturent pas la sincérité par désir de pavane ou par impulsivité : plutôt reconnaître un tort que nier une erreur. Oui, mais si toute la réflexion n’est qu’un tissu de doutes exprimés avec la tonalité correspondante, légitimement le lecteur s’interrogera s’il ne valait pas mieux renoncer dès l’abord à l’article en entier : l’excès de modalisations fait toujours reposer une réflexion sur du vide – où il faut, à toute élaboration même d’hypothèses, au moins un canevas de quelques solidités. C’est même essentiellement la progression de solidités en solidités qui fait la valeur monumentale de l’œuvre : on ne parvient à rien récuser, pas le moindre développement, par conséquent on est contraint d’admettre que l’ensemble est parfaitement juste, comme au terme d’un théorème exact.

Orgueil, véracité, audace, originalité : il n’est pas d’autre qualité – c’est mon conseil – pour se lancer hardiment dans la rédaction d’un article. L’épreuve, en pratique, consiste à se demander : Voudrai-je me faire pardonner de ce que je vais écrire ? Me sens-je plein d’humilité au point de ne pas résolument ambitionner une réflexion d’aspect objectif et incontestable ? Ai-je déjà lu cette pensée tournée autrement ? Pour un seul oui à ces questions, considérer : je ne suis pas prêt, ce que je veux ne vaudra pas grand-chose. Résister alors à ce penchant, ou ne s’y livrer que pour soi-même.

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Commentaires
A
Oh dear, savez-vous que je ne suis pas modeste et que je suis loin de prétendre quelque vérité, mais j'aime articuler des mots et rendre non un service mais principalement un hommage à tous les penseurs, littérateurs et aventuriers qui aux côtés de mes rails animaient par des palettes magiques les paysages de mondes dont je n'aurais eu que parcelles à imaginer de par moi-même. Et il m'en reste des articulations que je ne voudrais décevoir à faire comparaitre et je sais que mes formes ne laissent pas indifférents et puis bien tant mieux si elles irritent, fâchent ou lassent. Je suis né nu mais j'adore me coiffer d'un chef tout en élégance, ainsi les verbes s'évadent avec mes consentements respectueux.
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