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Henry War
30 août 2022

Évolutions successives de mon lecteur

J’ai remarqué – je ne pense pas que ce soit un hasard – que mon lecteur – qui est toujours au moins un début d’esprit c’est-à-dire une curiosité un peu persistante – passe par deux étapes psychologiques singulières et notables.

Dans un premier temps, il adopte vis-à-vis de mes textes et de moi-même une attitude de rejet qui tend à devenir systématique et qui ne consiste qu’en la manifestation d’une réaction superficielle. Il croit que je provoque, il m’associe à un impertinent, il ne sait pas encore qu’un esprit si reculé existe, alors il le suppose théâtral ou factice, il y insulte de toute sa volonté, ce lui est une affaire de cohérence ou de vraisemblance : il a besoin de croire que sa manière, si disparate de la mienne, correspond à quelque unique sommet. La posture d’outrages qu’il nous confère, moi pour scandaliser, lui pour m’offusquer, oblitère alors beaucoup sa cognition, de sorte que pendant des semaines il s’enferre dans une irréflexion caractérisée pour se réconforter dans ses certitudes, et il ne publie plus que des articles précisément sur ce que j’ai le plus critiqué et réfuté, des vanités et des impasses, au point d’être plus idiot après ma lecture qu’auparavant. À ce stade, je constate sa déchéance intellectuelle, et je nourris sans rien lui dire bien des regrets de mes interventions auprès de lui, car mon influence n’a servi qu’à le rendre obtus. Je n’insiste pas.

Ensuite, quand il a persisté à me lire – je crois que c’est alors souvent par aspiration de vengeance, parce qu’il quête chez moi un tort qu’il pourrait aisément confondre et contredire –, il s’aperçoit – inconsciemment en général, je suppose – du processus froidement honnête de mon esprit, de ma mentalité asociale de vérité pure, de cette forme de conversation efficace et faisant fi des politesses et des convenances pour aller droit au but par souci de gain du temps, et seulement alors il conçoit que mes critiques n’étaient pas adressées contre lui ou contre une certaine morale qu’il représente, mais contre l’idée qu’il exprimait, même si cette considération de mon innocence ne signifie pas encore qu’il consente à se réformer. Ceci, je crois, le travaille sans qu’il s’en aperçoive, non qu’il y pense fréquemment, mais il en a conservé la source d’une incompréhension et presque d’une aphasie, et comme il est instruit et relativement propre à la dialectique (ou il ne m’aurait tout simplement pas lu), ce souvenir ou cette sensation fonde en lui une sous-jacence qui se développe à mesure qu’il tâche à comprendre ce que j’écris, et, s’il est encore loin d’admirer ma pensée et mon style, du moins revient-il de sa première impression épidermique pour envisager mon procédé sous un angle plus juste et moins connoté. C’est alors seulement que nous pouvons véritablement commencer à disputer.

Certes, encore pour cela faut-il qu’il m’ait suivi après ce rejet initial, ce qui arrive peu ; à la première étape de sa répugnance, le Contemporain préfère fuir et oublier ce qui lui oppose durement. En ce cas, s’il a déserté tôt, sa découverte de ma littérature aura abîmé son jugement, précipité ses analyses et épanoui sa vanité bête, car il gardera le sentiment d’avoir triomphé, en s’opiniâtrant contre moi, d’un modèle opposé qui lui servira désormais d’antipode. C’est peut-être ainsi définitivement et sans remède que j’aurai détraqué un esprit : c’est pourquoi je crois cet article nécessaire à avertir au moins une fois de ce qu’il faudrait rappeler avant la lecture de chacun de mes écrits, à savoir : Mieux vaut ne pas me lire que me lire sans insistance.

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