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Henry War
31 août 2022

Arts pour généralistes

L’effet probablement le plus préjudiciable qu’a exercé la société du divertissement sur les arts, c’est qu’en mettant les œuvres à la portée de tous, elle a supprimé chez le consommateur la volonté de recherche qui était à l’origine de tout vrai développement artistique.

Je suis l’un des seuls à admettre que je ne m’intéresse pas à la musique ; pourtant, chaque fois que j’en entends parler, je m’aperçois que j’en sais presque autant que n’importe qui, parce que chacun se contente d’en écouter la part la plus accessible, de sorte que ce que j’en entends revient quasiment à la somme du principal qui se diffuse.

Quand les œuvres vous arrivent par centaines directement et sans effort, le peu de temps qu’il reste pour les sélectionner ainsi que l’espèce de variété que vous trouvez à leur multitude incitent à se contenter du disponible qui constitue déjà une multitude : on n’a plus d’intérêt à chercher autre chose. Une telle recherche ne serait pourtant pas difficile à mener à notre époque tant les moyens y sont devenus aisés, et il suffit d’un quart d’heure pour s’en apercevoir, on fait alors des trouvailles sur Internet, on découvre de vraies finesses et des audaces, des alternatives inattendues et ignorées, oui mais personne n’en a l’intention, nul ne se livre à l’exercice. C’est exactement le même problème pour la littérature : si les innombrables publications médiatisées entre lesquelles le quidam fait son choix ne feront jamais le commencement d’un livre, personne n’a jamais prétendu vouloir un texte artistique et se fatiguer à atteindre à une quintessence. La faible dépense financière qu’on fait à présent pour se procurer ces objets permet de consommer sans scrupule toutes sortes de titres, et comme il est naturel d’être peu regardant sur ce qui est d’un coût dérisoire, d’avance on en excuse d’autant les défauts que sa mauvaise qualité est au moins abordable.

Ainsi, la facilité d’accès à l’art limite toujours la valeur que le particulier et la société lui accordent : ceci se vérifie aisément en ce qu’il n’existe sans doute pas, lecteur, un seul auteur contemporain pour lequel tu serais prêt à dépenser cent ou deux cents euros ; il y a bien assez d’autres artistes qui ont du mérite et qui ne coûtent pas tant. On supporte bien d’avoir seulement à sélectionner parmi l’abondance ostensible, et très peu s’intéressent à ce qu’il y a de rare dans l’art et qui est d’un usage peu commode pour la sociabilité à laquelle on dédie l’essentiel de la musique et des livres. Je ne crois pas qu’un Français consacre en moyenne plus de dix minutes à décider du prochain livre qu’il aspire surtout à « partager » : mieux lui vaut s’emparer du plus lu, ce qui lui revient à se saisir du plus médiatisé, parce qu’ainsi on risque moins de se tromper sur la concordance de la fonction à laquelle on le destine. Il n’existe plus, tant le marché quoique uniforme est devenu énorme, d’esthète éclairé qui élit sur des critères affinés. Le propre d’une société de la disposition, c’est que les jugements se nivellent et vulgarisent, qu’on n’y rencontre plus que des débutants amateurs, des profiteurs du commun, et c’est ce qui a contribué à faire de l’immense majorité des œuvres d’arts actuels, loin d’un perpétuel progrès vers l’excellence, de simples pièces satisfaites pour généralistes.

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