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Henry War
20 septembre 2022

Les nouveaux dandys superficiels

On rencontre sur maints réseaux sociaux des délicatesses aux airs supérieurs de dandys, aux pseudonymes distingués ou savants (avec ou sans particule), aux fragrances plus ou moins crânes de muscadins, et qui font, par l’immédiateté de leurs réflexions, l’excellente impression de figurer des gens à qui parler c’est-à-dire enfin de qui apprendre. Ils citent volontiers des excellences aujourd’hui méconnues, goûtent quolibets grandiloquents et connivences sophistiquées, relaient des informations décalées sur de la littérature, leurs laconismes semblent des fulgurances intempestives, ils s’expriment brièvement non sans péremptoire avec des reculs du meilleur aloi intellectuel. On flaire en eux dans tous leurs rapports une senteur de coterie à laquelle on aimerait bien, d’emblée, appartenir.

Puis à la moindre contradiction, même à la moindre amicale nuance, les voilà qui s’effondrent en indigences, en blocages cognitifs et en balourdises vexées, ils vous haïssent de votre intrusion que vous ne soupçonniez pas parmi des gens qui paraissaient d’une solide verve et d’une raison ferme, ils vous remontrent d’une saillie épidermiquement stylisée mais foncièrement proverbiale qu’ils trouvent drôlatique dans son genre et qui n’est qu’une paresse c’est-à-dire qu’un palliatif à un développement qui serait juste et ample. En vérité, ils ne sont pas sujets à l’effort, ils n’ont pas du tout l’intention de s’améliorer ou de s’édifier, leur élégance est tout de mise et rien de tête ni de tempérament, il fait longtemps qu’ils stagnent dans ce rapport à autrui qui les valorise sans travail et où il ne suffit que d’appuyer d’un trait court et saillant celui qui vous confirme – oh ! c’est si chic ! si confortable ! Ils vous disent qu’ils baillent de vos impertinences ou qu’ils vous estiment importuns, avec l’affectation d’aristocrates qui n’ont pas de temps à consacrer à leurs incohérences signalées, qui ne se sentent nul devoir d’user à votre endroit d’une apparence d’argumentation qui – et ils le savent – les perdrait dans trop de patente ineptie, qui méprisent de leur intenable bizarrerie de pure gueule et ne font que transiter là en amusements vains et en dérisions frivoles – ils présentent parfois en cela le caractère de ce qu’on nomme actuellement le « troll », aussi stupidement ironique que bouffonnement inutile. Oui, mais on devine en loin leur offuscation, tout l’appareil puéril de la contrariété et de la rancune, à un certain ton d’agressivité qu’ils emploient alors pour vous dissuader d’insister : vous déstabilisez le piédestal où ils se croient hissés, ce sont statues qui n’ont de vertus qu’à ne pas se mouvoir ni à être éprouvées, ils se pensent admirés tant qu’on les confirme et ils en sont plus flattés qu’ils ne le disent, mais ils se rompent le cou à porter leur regard où ils n’ont pas coutume, votre doigts s’enfonce en eux, au-delà la couche externe, comme dans du mauvais plâtre pâle et inconsistant.

Vous comprenez alors que ce n’était pas qu’ils s’ennuyaient du monde, ô monde si vulgaire et si bas que vous déplorez, comme vous leur attribuiez l’aimable prévention, en ayant cru partager avec eux cette sagesse, mais qu’ils s’empêtrent d’esprit qu’ils ne savent pas tenir, à force de flâneries ou de pédanterie habituées, et qu’ils ont perdu, à force d’escamoter les preuves de leur intelligence sous des dehors primesautiers et mordants, leur aptitude à penser. Ils affichent leur lassitude uniquement par indisposition à se concentrer, sont plus fatigables au fond que blasés, et font commodément passer cela pour de la distance philosophique. Ils arguent contre chaque propos sérieux qui leur est adressé : « cela ne vaut pas la peine ! », et ils vous remisent au rang des grincheux qui n’ont pas la distance de l’humour, comme anti-Cioran ou contre-Desproges, faisant exactement comme le novice de mauvaise foi sans pénétration à qui l’on confie la lecture de quelque article technique : ce n’est pas aisé, donc ça n’amuse point et il vaut mieux d’office dénigrer. On choisit toujours ses poses et sa vanité, et tous ses zut, selon l’opportunisme de ses incompétences.

Et je songe qu’ils sont bien aussi le fruit de notre époque, ces « dandys superficiels », quoique fruit relativement marginal. Notre siècle ne réfléchit pas, encore existe-t-il deux manières de ne pas réfléchir : manière grossière et assumée du badaud qui s’en moque, et manière dissimulée et maniérée du cuistre qui ne remet son esprit en branle, occasionnellement, que pour piquer faute de savoir encore butiner. C’est, entre ces hommes, une façon de morale qui oppose : l’un ne se départit pas de son insuffisance qu’il estime une légèreté et une modestie agréables, l’autre se moque de son humilité et arbore une distinction de pavane qu’il trouve d’un snobisme superbe. Les deux sont imbéciles, des demeurés à ressorts et à excuses, mais l’un dispose de plus de décomplexion et l’autre de davantage de vocabulaire. La désespérance qui en résulte, pour l’amateur et le quêteur d’identités, c’est que s’il n’est pas difficile de remarquer la première race des vulgaires abrutis, l’autre espèce de poseurs est plus difficile à distinguer, et c’est surtout parce qu’ils s’efforcent de dissimuler qu’ils ont beaucoup moins d’esprit que leurs fugaces saillies n’en laissent supposer. Ils ont un moyen insidieux pour cela, très lâche et malaisé à confondre : il leur suffit, quand ils redoutent de révéler le si peu qu’ils sont, de se taire et d’avoir l’air embarrassé, non par eux, par vous, ce qui n’est pas du tout évident à déceler.

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