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Henry War
9 octobre 2022

Le film Camping et ma psychopathologie

Je m’étonne que le film Camping, que mes filles ont revu et que j’ai eu la complaisance de visionner avec elles jusqu’à un certain point, ne suscite pas parmi les spectateurs autant de révolte que mes articles de Pyschopathologie du Contemporain, étant pourtant foncièrement écrit avec la même volonté potentiellement humiliante de montrer au Français le très peu qu’il vaut, son dérisoire plutôt honteux et édifiant que drôle. Je ne puis en regarder les trois premiers quarts d’heure sans une profonde consternation : rien ne m’y amuse, je sens qu’on expose mon voisin, mon collègue, mon père, qu’on les critique pour ce qu’ils sont, je vois là des gens d’une normalité évidente prononcer les bêtises les plus quotidiennes, se comporter ostensiblement en enfants pitoyables et ordinaires, aspirer surtout à jouir de tout comme n’importe quel prochain, et j’en infère un sentiment d’étouffement qui me révèle combien je suis couramment entouré d’imbéciles, que ce soit en vacances ou ailleurs. Les spectateurs ont accordé leur sympathie aux personnages parce qu’ils se sont reconnus dans ces êtres dépourvus d’intériorité et d’identité, sans préoccupation légitime, ou parce qu’ils se sont empressés de les associer à autrui, Jacky et les autres qui, à l’exception du personnage de Chirac, ne semblent pas caricaturaux, s’exprimant sans éloquence y compris pour traduire leurs vices, et dont la médiocrité en actes est une insulte à toutes les vertus supérieures du genre humain, à toutes les noblesses au sens le plus vaste et universel, à toute référence à l’homme comme dépositaire d’un certain esprit ou d’une certaine réflexion.

Or, ces créations font rire, on se moque d’elles, oui mais comment le spectateur n’a-t-il pas saisi qu’en riant d’elles, c’est de lui qu’il se moque, que c’est lui-même qu’il insulte, n’étant que cela et rien davantage, car on l’inflige défectueux comme il est, sans rehausse ni excès ? Au prétexte certainement qu’il s’agit de « cinéma comique », il s’est détaché du sujet jusqu’à, une fois de plus, ne rien intérioriser d’une œuvre, tout au plus en réutilisera-t-il des répliques aux occasions similaires pour se donner l’illusion d’une distance, mais il refuse d’admettre un premier degré parce qu’il n’est, lui tout entier, que second degré, car il se réclame de la légèreté, puisque même quand on le provoque il estime de son devoir de relativiser, comme il croit une sagesse de rester impuissant pour autant qu’il puisse se servir de cette distance pour se défausser de l’injure, c’est-à-dire qu’il est inapte, aussitôt qu’on lui annonce du rire, à découvrir la satire censée l’atteindre et qui devrait, identifiée, le rendre enfin sérieux – d’ailleurs, je prétends qu’ici on lui dissimule ! Et on lui dissimule, certes, parce qu’au moins les dramaturges du Splendide, avec par exemple Le père Noël est une ordure, ne feignaient pas d’accorder de l’affection pour leurs personnages qui étaient si affreux et mesquins que le drame les faisait mourir sans scrupule dans l’explosion méritée de leur immeuble, mais dans Camping la mesquinerie est plutôt saluée et vantée, sert de morale d’artifice, s’accompagne de bons sentiments, présente ses effets avec complaisance et indolence, il faut que ça « termine bien », que ces idiots l’un après l’autre soient invraisemblablement accessibles à une forme assimilable à un héroïsme ou à une pensée, et les réalisateurs ont jugé que ces pantins ridicules, si représentatifs, seraient finalement dignes de compassion, de sorte que le personnage interprété par Gérard Lanvin qui faisait office d’étalon d’objectivité dans la logique sidération qu’inspire à n’importe quel homme de conséquence le récit de tels gens aux problèmes minuscules, finit par leur trouver de l’agrément – même si on devine que jamais il n’y retournera, au camping des Flots bleus, que jamais il ne pourrait s’y résoudre, que cela supposerait une déchéance terrible de son esprit à laquelle il ne songera plus aussitôt qu’il aura recouvré son indépendance – ; mais c’est peut-être une sorte de pathétisme, une façon de reconnaissance pour ce qu’il y a de diversion à être un temps détourné de véritables questions par des insignifiances, comme la parenthèse d’un philosophe ample et responsable qui aurait dû passer une heure à jouer à la pétanque : ce personnage, pourtant longtemps affligé de constater à l’entour tout le primitif atterrant de « la vacance de l’esprit », condescend en définitive à adresser un dernier signe amical à des animaux inoffensifs qui l’ont sorti un moment de ses préoccupations d’homme, et il les salue avec l’émotion d’un scientifique d’importance diverti par des Schtroumfs benêts consignés dans un vivarium.

Oui, mais ce qui m’interroge, c’est pourquoi le spectateur, qui parvint à rire en masse de se subir si critiqué et conspué, n’est-il jamais parvenu à sourire de mes portraits de lui-même qui, pas davantage accablants et même moins humiliants en ce qu’ils le présument un sujet apte au sursaut et au réveil et non point seulement une créature de divertissement, peuvent tout aussi bien être regardés avec légèreté, comme il m’arrive souvent quand je relis ces articles où je le retrouve aussi vain, et m’en amuse, et quelquefois ris des défauts qui seraient aussi susceptibles de m’affecter ? Pourquoi là le succès populaire, et ici l’aigreur ? Est-ce parce que, moi, je ne le caricature point, m’attachant à une stricte vérité qui ne lui fait pas l’effet d’un tel décalage, ou parce que j’y insiste, ou parce que j’y induis un remède au lieu d’entériner sa bassesse et de la travestir en « bon cœur » (quelle absolue humiliation, quand on y pense ! oser vous déclamer, comptant sur votre coopération d’humilié : « Ce n’est pas que vous n’ayez pas d’intelligence, c’est que vous avez “l’intelligence du cœur” » ! Un tel « compliment », même adressé avec une aveugle indulgence, serait capable de m’engager au duel !) ? Je l’ignore ; je n’entends toujours pas qu’on puisse regarder Camping, qui ne signale ses descriptions par aucune édification et ne propose aucune solution, sans se sentir diminué : la première heure au moins est une véhémente accusation parce que rien de ce qui émane des campeurs, actions ou paroles, ne se distingue de l’ennui et de la stupidité où l’on devine que se cantonne toute leur existence misérable : c’est la peinture d’un temps de la nullité, notre temps même. Le Contemporain, une fois encore, n’a pas voulu généraliser les observations du film, il croit n’avoir traversé qu’une galerie de caractères extérieurs et créés pour son plaisir, comme on visite et critique des lotissements sans jamais y comparer sa maison, et il démontre encore qu’il est incapable de s’impliquer dans une œuvre, de rapporter un récit à sa personnalité, à sa vie, d’en tirer un enseignement, en un mot de s’en servir : c’est de la fiction, tout ça, c’est toujours du divertissement inutile, rien de plus, ça ne le concerne pas, c’est même une transposition de la fiction de la réalité, tout étant dans l’existence opportunément fiction pour lui et ne valant pas qu’on s’y intéresse. Ils consomment l’image comme le personnage du film s’abrutit peut-être du Tour de France à la télé, et reçoivent plutôt l’envie de perpétuer leur infimité, puisqu’ils en sentent comme une confirmation, que d’en sortir avec effort, et probablement après cela voudront-ils regarder le Tour de France à leur tour… ou bien se feront-ils quelque intérêt renouvelé, et « nostalgique » sans doute, pour le camping !

 

P.-S. : Manqué-je de légèreté comme on m’en accusera ? Suis-je donc, par défaillance, inapte à plaisanter de choses dérisoires, comme on m’en fera le reproche ? Serait-ce donc un « manque d’autodérision » ? Pour l’autodérision, il faudrait déjà que je me sentisse concerné : or, c’est objectivement que ma vie ne ressemble en rien à celle du Français de ces films. Mais même pour s’amuser, qu’on considère qu’on choisit toujours avec quelle compagnie. Un Nazi et un Juif avaient également de l’humour, mais il eût été peut-être malaisé pour eux de plaisanter en présence : on ne peut rire – c’est ainsi – qu’avec ceux qu’on ne méprise pas ou qui ne nous révoltent pas. J’ai du mal, c’est vrai, à rire humainement avec des animaux.

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