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Henry War
26 octobre 2022

Pourquoi je suis indésirable comme membre d'un parti

C’est avec lucidité que je comprends à présent pourquoi mes demandes d’activité au sein de divers partis sont toujours regardées avec agacement : c’est que comme en préambule je clarifie par franchise mes souhaits au sein de ces structures et indique que je ne me livrerai pas à des actions « de terrain », me proposant comme seule force d’intelligence et de rédaction, je me figure l’impression que je donne, pas seulement celle d’une vanité ou d’une exigence, mais d’une inutilité foncière parmi un groupe dont les idées sont déjà arrêtées et qui n’a pas besoin de contradicteur ou d’affineur, qui ne requiert guère des penseurs supplémentaires : je suis de ces « intellectuels » dont Hitler ne voyait la venue que comme entraves, menaces ou parasites pour les organisations auxquelles ils se fédèrent ; on les croit opportunistes, intéressés après quelque succès, comme s’ils voulaient se hisser à une place indue et dont la hauteur ne doit rien à leur activité. Si je déclare ainsi mes intentions d’une façon qui déçoit et inquiète ceux qui appellent des bras serviles plutôt que des cerveaux habiles, c’est que je refuse de dissimuler mon égoïsme, je veux dire que, comme je n’ignore pas ce que je suis en volonté et en capacité d’apporter aux causes que je soutiens, ce n’est pas ma présence physique que je propose et que je considèrerais un gâchis de compétences, mais l’usage de mon esprit au service d’un groupe, usage que j’engage avec une activité intense. Je ne veux pas, moi, serrer des mains, me rendre à des dîners, coller des affiches et distribuer des tracts, choses que j’estime qu’un autre peut faire aussi bien et même mieux que moi et où mes facultés particulières seraient perdues ; je préfère écrire de bons discours que les prononcer, je n’aspire point à être payé de retour pour mes fonctions, je n’ai cure que mes travaux suscitent la gloire d’autrui, je me moque de côtoyer des gens importants, mais j’exige de recevoir une direction claire et d’obtenir la preuve que mon œuvre est, je ne dirais pas même suivie, mais simplement considérée. Eh bien ! qui donc ? quel groupe ou quel parti ne prendrait ce ton pour une détestable démonstration d’orgueil voire de concurrence, plus propre à en abîmer l’unité qu’à la solidifier ? Je comprends qu’on me regarde avec suspicion : je manque de la soumission du partisan, j’apparais en rival avant d’être entré dans le groupe, je semble arborer des prétentions où il faudrait premièrement « faire mes preuves », ce qui s’entend au sens des activités les plus communes qui me répugnent non parce que je les crois vulgaires mais parce que j’y laisserais un temps qui rendrait inusitées mes plus grandes ressources. Toute association de forces doit être le fruit d’un management où l’autorité élit, emploie et dirige les compétences en distinguant leur domaine de prédilection : je n’ai jamais refusé les défis pour accéder nulle part, je ne demande qu’à être mis à l’épreuve, mais je n’estime pas plus devoir colporter des tracts que porter des haltères ou gagner un match de boxe pour indiquer mes talents qui ne se trouvent pas à de telles performances.

On n’imagine pas le plus souvent ce que peut apporter à un groupe un esprit et une plume ; il est une heure surtout où l’on ne demande que des actifs fourmiliers, que des journaliers non-qualifiés mais utiles : c’est que tout groupe dispose d’abord d’un leader avec ses opinions déjà conçues et qu’il se vante de savoir communiquer, de sorte qu’au groupe il n’apparaît pas fondamental ni nécessaire qu’un nouvel adhérent occupe cette place, non seulement parce qu’on ne pense pas que la doctrine a besoin d’ajouts de profondeurs ou de reformulations, mais parce qu’on suppose qu’un tel renfort ne ferait que supplanter le chef et diminuerait d’autant la stabilité du mouvement. En quoi la supérieure compétence intellectuelle, dans un parti, est toujours en quelque façon superfétatoire : il est bien vrai qu’un homme qui est plus capable qu’un autre sans que leurs forces combinées soient démultipliées mérite de le remplacer ; pour qu’un adjudant soit requis, sa compétence doit être complémentaire aux unités en place et donc issue d’un champ qui, au moins en quelque chose, soit totalement différent de la compétence qui préexiste dans la structure qui l’accueille.

Il ne manque à mes facultés philosophiques qu’à trouver à intégrer quelque groupe théorique, quelque assemblée virtuelle d’écrivains, quelque réunion de penseurs ponctuels et aiguisés, quelque société attentive d’émulation sincère qui, comme certains cercles savants de physiciens du début du XXe siècle, s’entendaient à s’entre-diffuser leurs textes pour réaliser, par adjonctions de pensées, les constructions mentales les plus éloquentes et utiles à l’homme ; or, où rencontrerais-je une telle tribu ? notre époque n’a foi qu’en des inanités d’inventions collectives, la conviction d’une élite de réflexion n’est plus, mon idée de cénacle est devenue intempestive. C’est pourquoi je suis, même en littérature, réduit à n’intervenir qu’en organisateur de mes propres initiatives et jamais parmi des structures déjà formées, parce que je soulève autrement et logiquement la réticence et la répugnance principielles et morales de qui je sollicite, et comme tout ensemble je demande et réclame, j’ai même l’air, paradoxal, de « ramper trop haut », n’ayant pas acquis le droit de me faire nommer déjà « excellent » en quelque chose. Je suis indésirable, importun, au sein de tout parti ; inutile parce qu’on ne sait pas me manier, parce qu’on n’a pas le temps, avec ma différence, de savoir comment m’utiliser : un parti est une organisation de masses, pas d’individus. Je suis trop ego, j’attends trop d’être saisi avec rendement, comme un marteau qui se vexerait d’être empoigné par la tête pour taper du manche. Un adhérent, un partisan, s’il n’est dès l’origine du petit nombre qui a créé l’organisation, ne saurait prétendre à y occuper un rôle de penseur, fût-il inspiré seulement par l’idée humble de sa contribution profitable au groupe, fût-il insoucieux d’y gagner plus que les porteurs d’affiches, fût-il même digne par sa qualité appropriée de cette attribution. Vraiment, je crois que, moi, quand j’aurais atteint la fonction initiatrice d’organisateur, je ne m’enorgueillirai que d’avoir fondé le projet et la structure, et m’efforcerai même de sélectionner, parmi toutes les volontés disponibles, celles qui sont meilleures que la mienne. Et je n’aurais pas crainte d’être remplacé si un continuateur poursuit plus loin le travail d’un précurseur, comme il n’y eut jamais de honte pour Newton d’avoir existé avant Einstein, ni même s’il avait existé en même temps que lui.

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