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Henry War
12 novembre 2022

Fonction politique des réseaux sociaux

Non, les réseaux sociaux chez nous ne sont pas bons à susciter des révoltes, et ils ne constituent pas des fédérations d’acteurs tangibles, et ils n’initient pas de mouvements de causes communes, mais ils servent d’exutoires à beaucoup de mécontents qui peuvent ainsi épancher, éparpiller et enfin dissoudre leur volonté dans l’impression d’une vaste écoute. Ces médias sans direction diluent l’action en bavardages, rendent provisoire la colère, et atténuent les conditions du changement effectif dans la satisfaction de se croire virtuellement entendu et suivi. Comme ils incarnent uniquement des contenus, ils tendent à rendre les êtres eux-mêmes contenus : on se modère dès qu’on croit s’être suffisamment expliqué. À cause d’eux, le plus scandalisé des hommes s’apaise après s’être figuré important comme sur un plateau de télévision : il suppose avoir porté l’équivalent d’un coup capital devant maintes gens, alors son sentiment d’injustice retombe, car, après l’humiliation qu’il pense avoir infligé, il se sent vengé, rien ne sert d’insister. Facebook et Twitter, même sans le vouloir, même sans y contribuer par leurs censures, sont les auxiliaires les meilleurs du pouvoir, parce qu’en offrant à une multitude de personnes isolées la consolation de se purger de leurs peines et de leurs violences, ils leur font perdre le ressort de leurs plus durs et justes élans – tant de potentiels terroristes, bravement audacieux et remontés, sortent soulagés de leur rancœur avant d’avoir commis leur méfait, avant d’avoir manifesté leur frustration dans des actes réels. Les tensions se résolvent en s’évacuant, comme l’effet du rire. L’instrument d’apaisement le plus sûr ne se situe pas dans la réconciliation ou le rétablissement, mais dans le défoulement et la durée, dans la liberté de se déprendre et dans la créance d’avoir été largement considéré. Une boisson chaude se refroidit au contact de l’air libre, il suffit d’en laisser exprimer la vapeur : tout réseau social renferme de brûlants excitants qu’il adoucit en leur offrant une tribune, et permet la sensation consolante de vivre en démocratie parce qu’il représente une fraction infime de foncières passivités sur un forum infini ; l’illusion de l’amour propre suffit à se fantasmer des audience et influence considérables. On peut raisonnablement penser qu’il y a cent ans, tant de véhémence ressentie et contenue dans notre société eût donné lieu à des attentats terribles, semblables au militantisme des anarchistes désespérés : c’est bien terminé grâces aux réseaux sociaux où tout le monde se défrustre en criant. J’écris un éditorial, je me sens délesté et compris : mon désir perd toute valeur impérieuse et pressante, je me suis projeté en virtualité, j’ai commis le crime par procuration et j’ai même joui, vivant, du partage, j’en tire la sensation d’avoir réalisé quelque chose. 

Si, moi Henry, j’écrivais avec l’intention d’une réalisation en actes, je sais qu’il vaudrait mieux sur-le-champ que j’abandonnasse la plume ou le clavier, car c’est un leurre de supposer que des mots partagés puissent motiver un fait : ils ne font que dévoyer un projet depuis une réalité séculière vers la littérature intemporelle.

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