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Henry War
9 décembre 2022

Pas de littérature tant que les éditeurs

C’est devenu pour moi une évidence : tant que les éditeurs existeront, il n’existera pas de littérature. Les éditeurs n’ont jamais œuvré en faveur de la littérature : depuis leur profession hors des éditeurs-libraires, depuis Chateaubriand et Balzac, ils ne sont que les profiteurs odieux que les meilleurs écrivains, et même les plus indulgents, ont abhorrés. Leur système a favorisé le commerce et a abîmé l’art. Il faut vendre : pourquoi sélectionner selon d’autre critère que le goût large des foules ? Ces gens n’ont plébiscité des auteurs qu’au nom de l’argent et à dessein de correspondre fidèlement aux vœux béotiens des majorités qui achètent : qui sait s’il n’existait pas bien mieux que Hugo à l’époque de sa publication, s’il n’existait pas des écrivains, surtout, qui ne se souciaient pas tant que lui de plaire au peuple et ainsi de se vulgariser. Tant que les éditeurs perdureront, ils valoriseront les livres faciles, les sorties à ponctualité et à rendement, les discours verbeux sur ce qui n’est pas de littéraire, sur ce qui n’est pas « au-delà » et demeure aisément accessible notamment pour ne pas humilier, et ils prendront les auteurs les plus soumis pour en faire des esclaves. Une société qui lira enfin sera plus sûrement celle d’auto-édités qui, confidentiellement, feront abondance de trésors recherchés sur des réseaux divers, mais la mise à disposition d’une grande quantité de médiocrités bon marché et destinées à la racole ne fera jamais que le lecteur penche un effort à élire des textes et à priser la rareté : il se contentera, loin d’une exigence et encore plus retiré de l’élite qui seule perpétue le progrès des arts, du tout-venant de la rédaction qu’il aurait pu produire lui-même s’il en avait le temps. Mais l’éditeur se place pour le divertissement, non pour le travail : son influence consiste à altérer le mérite pour feindre la grandeur. La puissance des éditeurs coalisés aura toujours pour effet de travestir la valeur en quantités, et de diminuer la compétence du public. On dirait même aujourd’hui, tant le monde littéraire est bizarre à cause d’eux, qu’il existe deux livres, l’un destiné au grand public, l’autre aux subtils esthètes : en vérité, il faut le déclarer uniment, des deux il n’y a qu’un livre, l’autre n’en est pas, et y passer son temps ne revient point à lire­ – c’est justement dans le but de vous faire contester ceci et l’admettre comme un snobisme que se construit la propagande éditoriale, universaliste et mièvre, de « voyage intérieur » et de « bien-être ». J’affirme sans nul doute que tant que les éditeurs ne seront pas reconnus pour ce qu’ils sont, à savoir de perfides annihilateurs de ce qui existe de plus haut dans les textes et dans la pensée, que tant qu’on ne les renversera après un exact procès pour le malheur monstrueux qu’ils font subir depuis plus de cent ans aux Lettres et à l’Humanité – un gâchis de décennies entières de progrès intellectuels et artistiques qui ne seront pas facilement rattrapées (plus le temps passe en cette inanité, plus la stagnation semble au Contemporain une normalité… et déjà il ne sait plus lire) –, la littérature n’aura aucune chance de se distinguer ni l’art l’occasion de percer au sein de « livres » qui de toute l’ère hégémonique des éditeurs n’ont pas commencé à être des livres, ont cessé même d’y tendre à cause de la présence corruptrice et intéressée des éditeurs. Il ne faudra pas s’inquiéter si ce jour arrive lorsque la « crise » se produira : ce ne sera point, comme d’aucuns voudront le faire croire, qu’on aura perdu un précieux « ami des livres », on se sera simplement débarrassé d’un abus insoupçonné et d’un hypocrite suborneur. On remisera leur « culture », et on remettra l’Art au cœur des préoccupations de l’homme enfin ébroué de sa longue et pernicieuse sangsue.

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Commentaires
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Très intéressant. Je regardais il y a quelques jours la vidéo d'une éditrice qui défendait le caractère commercial de son entreprise. En commentaire, un anonyme remarquait ceci (je cite) : " Éditer n'est plus un acte culturel mais est devenu un acte commercial."<br /> <br /> L'éditrice en question répondait : "Bonjour, je crois que ça a toujours été les deux. Lisez -Les illusions perdues- de Balzac, et vous verrez à quoi ressemblaient les libraires-éditeurs du 19ème siècle. Ils n'étaient pas moins commerçants que les éditeurs actuels."<br /> <br /> Je n'ai pas pu m'empêcher de répliquer : "Dans les -Illusions perdues- Balzac, qui en fut toute sa vie la première victime, dénonce justement la commercialisation de la littérature. Il ne fait pas une ode à son époque. C'est parce que nous ne sommes toujours pas sortis de ce système malade que l'art littéraire poursuit sa décadence, et que le roman de Balzac nous paraît si actuel."<br /> <br /> <br /> <br /> PS : votre roman -La Fortune des Norsmith- est-il toujours à vendre ?
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