Paradoxe des grévistes contre la réforme des retraites

Je préviens : on ne va pas apprécier aujourd’hui ce que je m’apprête à écrire, et je vais contrarier bien des susceptibilités. N’importe : ai-je déjà écrit un mot pour me faire des amitiés ?

Voilà :

N’est-il pas tout de même étrange que des millions de gens ayant voté pour M. Macron dont le programme comme candidat portait nettement la marque de cette réforme des retraites, se plaignent et fassent grève à présent, tandis qu’ils n’ont pas seulement gémi lorsqu’on leur a imposé de rester enfermés chez eux et de présenter un laisser-passer à tous prétextes, mesure que le Président n’avait jamais annoncée et pour laquelle il eût été impossible de l’élire ? 

Si j’extrapolais rien qu’un peu, je dirais que la contradiction est révélatrice de la manière dont le Français perçoit la responsabilité et l’éthique : il manifeste pour des réformes sues mais pour lesquelles il sait que traditionnellement il ne sera pas seul à faire grève, et lorsqu’il dispose d’un motif moral et légitime inhabituel, il s’inquiète, faute d’exemples autour de lui, de n’avoir pas l’appui de la foule.

Vraiment, je croirais qu’on n’a pas tout à fait tort d’opprimer ce peuple : il se comporte comme un troupeau stupide, réagissant par thèmes et par grégarité. Même, moins d’un an après son suffrage, il ne sait déjà plus pour quoi il a voté ; il prétend qu’il a voté contre un autre, mais il a l’air de découvrir en définitive qu’il ignorait que celui pour qui il a voté promouvait des idées moins bonnes que l’autre pour qui il n’a pas voté. Il s’est affolé au moment où il fallait réfléchir et placer son bulletin dans l’urne, et il s’affole encore à l’heure où le candidat qu’il a élu débute les réformes qu’il avait dites.

Je veux pourtant bien que le Français fasse grève, et j’y suis favorable, à la différence de beaucoup, à toute heure et pour n’importe quelle cause. Seulement, verra-t-on un jour qu’il revendique avec cohérence et pour des raisonsnobles ?

Je n’irai pas, là, une fois de plus, manifester contre tant d’imbéciles aporétiques – c’est bien souvent que dans ma profession je fus seul à manifester parce que les motifs n’étaient pas « coutumiers ». Surtout, je ne veux pas me trouver en présence de gens qui vitupèrent contre ce qu’ils ont soutenu : ce serait, je crois, de quoi me donner autant envie de jeter des pierres sur les manifestants que sur le gouvernement. Pour moi, il n’y a qu’à attendre le prochain scrutin, et puis constater la manière dont les Français voteront à nouveau la même chose.