Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
23 février 2023

Considérations supplémentaires sur l'accusation d'homicide involontaire

Dans mon article « Le retour de Salomon », je dégrossissais les idées nécessaires d’un droit plus juste qu’en nos législatures, droit fondamentalement réinstruit, en quelque rectitude salutaire qu’une ère devenue permissive néglige non par bonté ou culpabilité mais uniquement par défaut de réflexion dure et forte qu’elle est peut-être encore plus insoucieuse qu’incapable d’entreprendre. Je rappelais notamment que, suivant l’article 121-3 du Code pénal, « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » Je n’avais pas alors indiqué la suite de cet article, que je trouve pourtant éloquente surtout d’un point de vue philologique :

« Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. »

On voit ici combien les ajouts du législateur sont incohérents et flous, et d’une stupidité contradictoire, par opportunité où l’on se trouve perpétuellement de résoudre vite un problème circonstanciel auquel on n’avait pas songé en procédant à des ajouts inconsidérés, par manque de conséquence, de pensée approfondie et de ce fameux « Esprit des lois » qui n’incombe qu’à de vrais et braves auteurs conscients de l’importance performative du langage.

Il faut d’abord qu’on appelle « délit » l’action qu’on a volonté de commettre : réflexion essentielle, profonde, salubre, constituant un tout autonome, issue tangiblement d’un paradigme sur la notion bien considérée de légitimité et de responsabilité, c’est-à-dire une phrase de fond, une constitution, tant qu’elle n’est pas amendée.

Et puis on a estimé qu’il fallait l’amender, ce qu’on semble avoir fait vite et de manière inconsidérée, comme souvent, et probablement sous la pression de certaines affaires populaires, et c’est ce qui conduit à la deuxième phrase de l’article : elle confirme bien l’idée de « volonté » mais on sent que ce beau fondement bien clair commence à gêner, qu’on veut l’altérer avec une notion approximative de « mise en danger » pour offrir au juge de quoi « interpréter » la loi. Phrase stupide d’ailleurs, qui n’apporte qu’une confusion : j’aimerais qu’on m’expliquât à quoi elle est utile logiquement, cette phrase, ce qu’elle complète et quelle nuance elle apporte ? La « mise en danger délibérée », n’est-ce pas tout à fait, si je vous donne un coup de couteau, ce que je réalise ?

Mais cette phrase n’est en fait qu’une transition pour faire accepter la troisième, à savoir que quand je « manque à une obligation de prudence », y compris sans le vouloir, c’est quand même un délit. En seulement trois phrases, à la dernière on parvient à faire admettre exactement le contraire de la première. Et notez que tout ceci figure dans le même article du code pénalsans nulle dissimulation du paradoxe patent, et sans aucun risque d’emmêlement des codes et règlements ! C’est non seulement prodigieusement illogique, mais c’est aussi d’un illogisme extrêmement ostensible !

Oui, mais il y a marqué : « Lorsque la loi le prévoit » : la restriction est censée pourvoir à tout, on peut la faire figurer dans n’importe quel article de code pour signifier qu’on n’est pas sûr de ce qu’on écrit et qu’on n’a guère envisagé d’éventuelles circonstances qui pourraient y contrevenir, puisque cette circonstancielle ne veut rien dire et ne fait qu’établir la possibilité d’exceptions présentes ou ultérieures !

Quelle bonne et noble vertu que l’intention de rédiger des articles de droit sans avoir la moindre notion de l’esprit du droit ! Chez moi, le sénateur est un assureur ; et chez vous ?

En ces « confections », je ne m’étonne pas que l’idée d’homicide involontaire suscite, aujourd’hui encore, tant de controverse ! Elle est une aporie à elle seule, elle est ce à quoi la loi est chargée de parer, à savoir une injustice, car c’est le cas où il faut poursuivre un homme pour un meurtre sans qu’il y eût volonté de sa commission ! Cependant, on constate que le législateur si lâche s’est bien gardé d’utiliser le mot « meurtre » : ce n’est pas un « meurtre involontaire », non, c’est un homicide, c’est-à-dire, selon l’étymologie stricte, qu’on constate seulement qu’un homme est mort. Homicide n’est littéralement que l’action de tuer un être humain, avec ou sans responsabilité humaine. Rigoureusement, on peut dire qu’après un infarctus, il y a homicide.

J’avais mentionné dans mon article comme le dilemme peut se lever : en caractérisant un risque élevé ayant conduit à la mort comme homicide volontaire.

J’en veux à présent expliciter la conception selon la logique la plus irréfragable possible.

D’abord, un exemple très simple où il y aurait à délibérer et premièrement à songer à ce qu’on conçoit par l’idée de meurtre (et à plus forte raison d’assassinat) :

Un homme prend un pistolet. Il le brandit vers un autre. Presse la détente : la balle tue.

Que sait-on de cet homme ?

Qu’il a volontairement fait cela, oui. Mais que signifie « volonté » en la circonstance ? « Volonté » signifie surtout qu’il avait conscience par ces actes d’une somme de risques élevés susceptibles de conduire à la mort d’un autre homme, à savoir : que le pistolet risquait d’être en état de marche, qu’il risquait d’être chargé et la balle fonctionnelle, que dirigé vers quelqu’un il risquait de tuer, qu’en pressant la détente l’arme risquait de produire la détonation, que l’effet d’une balle dans un corps risquait de mener à la mort, etc. C’est ainsi la somme de ces risques sus et assumés qui, mis en œuvre l’un après l’autre, constituent le fait du meurtre.

Cependant, il faut bien noter – c’est important – que, dans cette situation sommaire, une des circonstances aurait pu en effet ne pas se réaliser, par exemple l’arme être hors d’usage, ou enrayée, ou connaître un dysfonctionnement imprévu, ou bien le coup partir et ne pas tuer, la balle rebondir par exemple sur un os sans grands dommages, ou la victime se débattre de sorte que le pistolet aurait dévié quand le coup était parti, etc.

Mais ce qui importe ici après le constat d’un préjudice – la mort – est l’intention de tuer, qu’on peut définir strictement comme la mise en œuvre délibérée d’un risque ou d’une somme de risques propres à aboutir à l’homicide.

Asimov, dans Les Robots, me donne l’exemple d’une masse qu’on laisse tomber sur un homme – il s’en sert pour illustrer le fait qu’après avoir fait tomber cette masse, un robot qui ne serait pas contraint de sauver l’homme pourrait très bien se dire, en la lâchant, qu’il est apte à le sauver, et l’instant suivant ne pas se sentir obligé de le faire. Je transformerai la conjoncture pour mieux l’appliquer à mon étude :

Un adulte, depuis son appartement, fait choir des briques à l’étage en dessous ; il le fait volontairement. Par malheur, un homme en reçoit une sur la tête, et meurt.

Notre « homicide » est-il volontaire ?

Un avocat plaidera que non : d’ailleurs, notre adulte ne connaissait pas son voisin du dessous, et il n’avait avec lui aucun litige. On ne peut pas démontrer dans ce cas que l’accusé a voulu tuer, ni alors ni moins encore par préméditation. C’est pourquoi un tribunal se prononcera exclusivement sur la charge d’« homicide involontaire », et l’affaire sera instruite en ce sens.

Mais là je proteste, et prétends que cette charge est absurde, quoique conforme au droit actuel qu’on doit à cause de cela réformer.

Notre homme n’a pas jeté la brique délibérément vers quelqu’un, c’est exact, mais avait-il une idée du risque élevé qu’il faisait encourir en laissant choir ainsi une masse aussi lourde ? Qu’il dise qu’il n’avait pas l’envie de tuer est une chose, mais, après tout, rien n’empêche mon tireur de tout à l’heure de se défendre de la même façon. Ici c’est : « Oui j’ai lâché des briques », là-bas c’était : « Oui j’ai pressé la détente ». Savait-on qu’une brique tombée depuis une hauteur pût mener à des accidents graves ? Savait-on qu’appuyer sur la détente d’un pistolet braqué sur quelqu’un pût mener à des accidents graves ? Le cas de figure n’est pas très différent.

Aujourd’hui on s’applique uniquement, pour instruire la volonté de tuer, à déterminer si le tueur avait, au préalable ou dans l’instant, l’intention d’ôter la vie : mais si notre tireur n’avait eu que l’intention de se servir d’un pistolet sur un corps humain ? Est-ce qu’on trouverait qu’il fût homicide involontaire ? Et s’il arguait qu’il ne croyait pas que la balle avait la puissance de tuer ? Requalifierait-on son crime en accident si, au moment de tirer, il s’était bandé les yeux ? Est-ce qu’on estimerait que c’est moins grave s’il arguait avoir visé la cuisse dans l’espoir que ça ne tuerait pas ? La volonté du crime n’est pas dans le dessein de tuer, elle se situe dans les moyens conscients dont on use en prenant un risque contre quelqu’un.

On voit bien que la notion de « volonté de tuer », et donc de meurtre, ne se limite pas à l’insondable de : « A-t-il entrepris ses actions dans l’objectif de supprimer un être humain ? » On peut bien en effet se cacher cette intention finale au moment de la perpétration d’un crime, et, par maintes actions délibérées, au fur-et-à-mesure et fragmentées (comme dans l’hypothèse d’Asimov), avoir voulu : d’abord exprimer sa colère, et puis voulu rendre un mal dont on crut avoir été la victime, et puis voulu répondre à la curiosité d’une réaction de terreur de la future victime, et puis voulu produire en elle une douleur, et puis, et puis… sans s’apercevoir au juste que sa volonté était de tuer – et peut-être même que la plupart des crimes ne se représentent au tueur que dans ce déroulement mental échelonné. Oui, mais quelle que soit la volonté de tuer, en tous cas le risque contre la vie d’autrui est évident, de sorte qu’on ne peut nier que la volonté qui a conduit à la mort était bel et bien d’imposer un danger à une personne qui en est décédée.

Je propose ainsi que la conception de l’homicide volontaire ne se situe pas dans la fin mais dans les moyens.

Qu’on comprenne bien : le meurtre se définit par essence comme la considération d’un risque ; tout le concept de la volonté criminelle tient en cette connaissance que, si l’on fait telle action, elle risque de causer la mort, en sorte que même dans le projet de l’assassin, ce qui lui est imputable n’est pas le fait d’avoir souhaité la mort de quelqu’un – ce qui nous arrive tous un jour ou l’autre – mais d’avoir mis en œuvre les risques destinés à nuire à quelqu’un. Il faut ainsi s’apercevoir qu’un meurtre n’est rien d’autre qu’une somme de risques pris contre la vie d’un autre – mais la mort, rappelons-le, aurait pu ne pas avoir lieu malgré cette préparation ou cette multiplicité de périls volontaires.

On comprend tout à coup de quelle manière plus éclairée il convient d’entendre toute l’instruction pour homicide volontaire, qu’il s’agisse d’un meurtre ou d’un assassinat (pour moi, comme je l’avais indiqué dans « Le retour de Salomon », les deux, quoique bien différents par l’intention, ne le sont nullement par le préjudice, et restent similaires en termes de gravité et de sauvegarde à prendre pour la société existante). Mais il faut naturellement beaucoup de courage et de conviction pour introduire cette révolution dans le Code pénal. C’est que personne ne se sait assez génial pour s’y risquer : on préfère y commettre de tout petits ajouts, et circonstanciés par maints « Lorsque la loi le prévoit » !

Cependant, dans la détermination du meurtre, il importe encore de considérer de façon bien individuelle la nature du risque ayant entraîné la mort.

Ce risque doit être non seulement délibéré mais surtout suffisamment direct pour ne pas multiplier les procès illégitimes : qui sait par exemple si vous, mon lecteur, n’êtes pas déjà, par un effet extrêmement éloigné des causes, responsable de la mort de quelqu’un ? c’est plausible, après tout. Si, désespéré par cet article, vous courez au suicide, je serais marri d’en être inquiété légalement, car ce n’est pas juste, il me semble : si j’ai bien conscience que l’article peut causer de l’inconfort ou de la peine, le lien direct ne saurait être établi, je crois, entre le fait de me lire et celui de mourir.

Non, il s’agit que la justice détermine loyalement si ce rapport du risque volontaire à la mort est suffisamment étroit.

Si l’homicide devait se juger presque uniquement sur la volonté de tuer, comme c’est le cas aujourd’hui chez nous, l’accusé aurait toujours intérêt à nier cette volonté qu’il est le seul à détenir – d’ailleurs il a entièrement le droit de mentir pour sa défense, il n’est soumis à aucun serment ; or, qui peut acquérir une certitude sur cette volonté, et qui peut entrer dans l’esprit de l’accusé ? Les possibilités d’erreur sont grandes, il faudrait acquitter tous les tueurs au bénéfice-du-doute ! Qui sait si le tueur n’avait pas en effet l’intention de seulement blesser ? il n’est pas médecin ! Qui sait s’il n’espérait pas vraiment que la balle déviât ? il n’est pas expert en balistique ! Qui sait s’il ignorait bel et bienqu’un pistolet de si petit calibre était en mesure d’ôter la vie ? il n’est pas armurier ! Qui sait même si, sans le savoir, il n’a pas agi suivant une émotion qui lui a fait reproduire d’instinct une scène de cinéma où il se voyait agir comme un acteur bien plutôt qu’il ne prenait part à l’action ressentie comme réelle : il voulait tuer non un homme mais un personnage ?! – il n’est pas psychopatologiste !

Tout ceci est possible, et complexe, et inextricable, mais une chose est certaine, et c’est que cet homme a multiplié des actions de nature à prendre délibérément un risque contre la vie de quelqu’un. Il ne suffit plus dès lors que de vérifier la réalité de ces actions, et de vérifier que l’accusé connaissait le risque, et de vérifier si ce risque est étroitement lié à la mort.

En somme, trois conditions sont suffisantes pour qu’un accusé soit coupable (ceci est valable, je pense, pour n’importe quel délit ou crime) :

- Le rapport suffisamment direct entre une action et un préjudice.

- L’identification sûre de l’accusé comme auteur de l’action de préjudice.

- La connaissance du risque élevé de préjudice par l’auteur de cette action.

Même un vol peut se résoudre ainsi ; admettons ceci : un homme entre chez moi en mon absence tandis que la baie vitrée sur la rue était ouverte. Il prend la télévision. Arrêté, il prétend que le vol n’est pas avéré, qu’il n’ambitionnait pas au début de sa promenade de repartir avec un objet de plus, qu’il supposait, à voir la maison grande ouverte, qu’elle n’était plus habitée, que d’ailleurs il n’y a pas eu effraction, et c’est encore sans parler de la tentation qu’a représenté pour lui un délit rendu facile, notamment s’il a évolué dans un milieu défavorisé où le vol est d’usage, s’il était présentement pauvre, s’il avait des dettes, ou s’il avait été lui-même victime de cambriolage, etc. Dans notre système, sa plaidoirie serait parfaitement recevable et aurait certaines chances d’aboutir, car de nombreux signes par lesquels on caractérise exclusivement le délit de vol ne sont ici pas effectifs, et parce que la recherche de circonstances atténuantes est une manie procédurière dont on peut excuser n’importe quelle infraction : et ainsi, le voleur peut l’emporter (on a même connu aux États-Unis des cas où le voleur portait plainte pour s’être blessé pendant son vol du fait d’une négligence dangereuse des propriétaires alors absents, par exemple une lame de couteau restée sur le carrelage). Mon procédé d’instruction est plus clair et, à ce que je prétends, plus sain et plus juste, et loin d’être tyrannique ou expéditif : au lieu de s’interroger si quelque ensemble de conditions sont conjointement réalisées pour qualifier la malintention et juger le vol, il suffirait de vérifier : d’abord, si le préjudice du vol résulte bien directement d’une action humaine ; ensuite, si l’objet emporté le fut bien par l’accusé ; et enfin, si l’accusé avait conscience qu’en s’emparant de cet objet il prenait un risque important contre quelqu’un d’autre.

Cela suffit, je crois, à qualifier et à punir le vol, à qualifier et à punir n’importe quel vol.

Et au surplus, comment dirait-on, si ces trois conditions sont remplies et qu’il y a eu un mort, que la mort ne résulte pas d’une volonté ? Notre lâcheur de briques par exemple, si l’on y regarde bien, est donc probablement meurtrier, à moins d’être par exemple attardé ou dément.

Mais encore : un homme sous stupéfiants prend le volant, il est normalement intelligent et la cour sait qu’au moment d’entrer dans la voiture il n’ignorait pas le grand risque pour autrui (admettons qu’on ait prouvé en l’occurrence que cette drogue n’empêche pas de se souvenir de l’infraction et de ses raisons). Par sa faute, il percute un véhicule : s’ensuit la mort d’un homme. Comment jugera-t-on l’homicide selon notre système réformé ? En procédant avec méthode de façon à répondre à trois questions essentielles : Le rapport de cette conduite sous l’emprise de stupéfiants et la mort est-il établi ? L’accusé est-il celui qui conduisait le véhicule ? L’accusé a-t-il pris délibérément les risques ayant entraîné un décès ? Sitôt, voilà bien la volonté établie, donc le meurtre.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité