Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
1 avril 2023

L'Aleph, Jorge Borges, ou Induction de l'Indécidable littéraire

L'Aleph

Certains auteurs me paraissent encore indécidables, pour user d’un terme un peu barbare dont on qualifie des problèmes de mathématiques. La complication au moins un peu volontaire dont ils ont entouré leur œuvre me permet mal de savoir – du moins pas avant le genre d’analyse minutieuse à laquelle je vais me livrer – s’ils sont ou furent vraiment profonds, et la sonde que je place en leurs textes, comme des prélèvements, ne suffit même pas toujours à me prononcer, m’empêchant d’instruire un mérite et de répondre d’une hauteur, ne m’offrant pas assez de quoi en estimer l’altitude, selon un phénomène d’incertitude tenant à la fois d’un écrit fournissant trop peu de prises philologiques et de mon esprit refusant à admettre des vertus que je n’aurais d’abord prouvées et avérées (car il y a des puits qui, sans écho ni remugles, ne sont faits que de l’artificielle nuit qu’on a opportunément opacifiée sur leurs parois proches, et il en est d’autres effectivement si souterrains et lointains que le jour – ni moi – ne rencontre le fond : la distinction entre ces opposés est parfois si délicate et confondante !). On ne réalise toujours une mesure qu’en fonction des outils dont on dispose, et je ne prétends pas que le prisme de mon intelligence soit un miroir adapté aux chambres secrètes de tout écrivain : mon esprit n’est le révélateur que d’un certain nombre d’images. L’expérience dont je dispose en littérature et qui s’étend déjà au-delà des volontés ordinaires et des facultés communes – mais ce normal est si piètre que je ne me fais nulle fierté de le supplanter –, ainsi que les méthodes que j’ai acquises pour lire avec perspicacité et irréfragabilité, me rendent quand même dignes de prétendre à une variété plutôt large de genres et de styles, et cependant je me conserve, quoi qu’on ait dit de mon manque de modestie, la liberté honnête de me juger incompétent et de me retirer de verdict sur des textes qui, trop neutres ou trop courts, insipides ou inexplicables, ne me donnent, selon mes techniques pointues, presque aucune matière à juger. Ce n’est pas qu’à chaque fois je ne puisse en tirer des hypothèses, les mots transportant toujours quelques effets langagiers objectifs et examinables, mais ces conjectures se présentent alors comme une somme trop disparate et douteuse pour que j’en tire plus que des suppositions, et les règles de probabilité que j’applique à cette science de l’interprétation me dispensent d’émettre un avis tranché. « Je ne sais pas » est aussi, après tout, une réponse de spécialistes et peut-être celle qui les indiquent le mieux et les plus hauts, réponse qui vaut bien mieux que les « convictions » dont la plupart abusent pour affecter un péremptoire impressionnant qui n’est qu’un bluff, particulièrement sur des sujets d’importance où il s’agit, comme ici, de décider la grandeur ou la petitesse d’un écrivain c’est-à-dire de tout un homme.

Un grand écrivain est pour moi un dieu de l’esprit : il m’importe de ne pas le confondre avec un charlatan.

Les auteurs que je ne comprends pas sont peut-être des génies incompris qui dépassent mon intellection, ou peut-être dissimulent-ils leurs insuffisances : c’est malheureusement l’un ou l’autre, rien entre les deux. Il n’est guère concevable en effet qu’après maints textes que j’ai lus d’eux avec sagacité et application, je demeure égaré par un être, même marginal, qui serait sis quelque part entre le géant et le misérable. Bien des obtusions « humaines, trop humaines » me sont inaccessibles de bassesse et d’incuriosité, mais leur étroitesse les dénonce : c’est le cas par exemple des péroraisons religieuses dont je ne saurais apprécier la teneur savante que pour des témoignages de complaisance, ou bien des essais de philosophie théorique dont le dialecte fait l’impression de docteurs expliquant avec force doctrine comment le myocarde se situe à la dextre de la cage solaire (ce qui suffit quelquefois à faire oublier que le cœur est en fait à gauche de la poitrine !) – on a rédigé sur ces sujets quantité de textes ardus qui n’ont rien à invoquer de réel mais qui produisent au novice l’effet d’une sapience supérieure. A contrario, l’élévation de quelques auteurs m’est si impénétrable que je ne puis même démystifier leur logique et entendre leur pureté, bien que leur langage ne soit pas contourné ni véritablement fait pour détourner de compréhension, notamment parce que je continue de les juger depuis une finitude trop grande : ce fut assurément le cas de Ainsi parlait Zarathoustra lorsque j’allai à la rencontre de Nietzsche en commençant malencontreusement par l’œuvre où il faut plutôt finir, et encore, à l’époque déjà, je ne le jugeais pas mauvais et n’avais pas, comme pour les autres, le mépris sans réserve que leur petitesse enfin expliquée inspire légitimement.

Le dilemme se perpétue, périodiquement : faux-sages ou très-sages ? L’hésitation n’est pas bénigne ni indifférente si l’on tient compte de mon pouvoir de congratuler et de célébrer, de ma volonté de justice et de reconnaissance, de ma solitude qui m’oblige à une discipline et une rigueur, c’est-à-dire, en somme, de ma disposition à aimer – je suis un tel potentiel ! Je ne veux manquer une seule idole s’il y a lieu de la confirmer, je n’ai pas assez d’Admirés alentour pour rejeter par défaut des rares qui glissent dans ma vision et prendre le risque de les méjuger et abandonner d’un moindre soupçon – et j’en quête, avec quelle prudente rationalité ! Il m’est capital, moral, consubstantiel, de m’alimenter de la nourriture des meilleurs, celle qui entretient le métabolisme et perfectionne l’organisme : ce m’est un besoin d’aspirer à une compagnie, de m’élever à la table des colosses, extirpé à la force laborieuse de mes bras sans talent inné. À la différence de la plupart, je n’ai jamais cessé mes recherches, parce que le confort et la facilité m’angoissent au lieu de me rassurer : tant que je reste l’unique qui me juge, sans autre relation de sujétion, je crains de finir, sans m’en apercevoir, par me contenter. Il me faut une émulation dure, cruelle même, pour ne pas me résoudre au même : j’exige le juste fouet pour me raviver le sang. Je veux toujours évoluer ; mon regard, seul, peut faillir ; j’ai une phobie du penchant à l’inessentiel ; le superficiel, naissant de l’habitude, me fait redouter la déchéance. Je refuse ma communauté étroite et lâche, toutes tendances à se satisfaire, le débarras trop aisé des meilleurs qui importunent la tranquillité et le sempiternel circuit. Je ne veux pas ressembler au peuple où je suis. Par conséquent, je ne puis négliger un prophète.

Ils sont pourtant identifiables, ces embarrassants porteurs d’énigme : ils maîtrisent le langage et manipulent les concepts – les banales maladresses se confondent tôt ou tard, et je ne parle pas que d’orthographe ou de syntaxe –, s’expriment sans conteste avec minutie et quelque érudition sensible. On les distingue des cabotins ou des farauds, mais ils pourraient encore être des cuistres ; seulement, ils savent écrire, et cette capacité les enténèbre, oblige à examiner leur ombre, ensemble le regard plissé et la pupille dilatée – ils ne sont pas nuls, occupent un certain espace (mais le bouchent-ils, cet espace, ou bien le révèlent-ils ?). Ils écrivent comme parlent les devins d’expérience – mais les devins se singent aussi et le plus souvent communiquent au nom de dieux imaginaires. Ceux dont je parle lancent des mystères auxquels ils n’apportent pas de solutions, suivant un nombre restreint de thèmes délicats, parfois futiles et possiblement sans avantage, dont ils ont fait leur spécialité, en leur fascination hallucinée ou extralucide ; ils sont notablement emplis et obsédés de : spécularité, circularité, équivalences, correspondances, cycles, éternel retour, fatalité, recul extrême, relativité de tout, neutralisation de soi, inversion d’êtres, mysticisme, paganisme, spagyrisme, symbolisme, symétrie, alternité, labyrinthes, vertiges, absurde, illusion puis spécularité, exprimés en style de métonymies et synecdoques, comme dans les chasses-au-trésor où le concepteur a offusqué la clarté pour créer un obstacle. Parmi ceux que j’ai lus, je citerais : Barthes, Beckett, Bernanos, Conrad, Deleuze, Derrida, Eco, Faulkner, Foucault, Heidegger, Kafka, Kundera, Kraus, Mann, Meyrink, Pessoa, Proust, Ricœur, Whitman – et Borges. On pourrait en ajouter d’autres, comme Dick, Lovecraft, Melville et Poe, mais ce serait à condition d’estimer par principe que leur littérature est spirituelle, qu’ils ne se sont pas contentés de narrer des actions mises en une forme imaginative et agréable ou virtuose, mais que leurs récits recèlent des interprétations dont le décodage requiert une lecture figurée, un décryptage secret, un degré herméneutique au-delà de leur apparent explicite.

Je sais deux façons de reconnaître ces irrésolubles : ou en « suivant le guide » puisque c’est ce que Juan Asensio, critique naguère intéressant, aime désormais en majorité dans la littérature, multipliant à l’envi et par pose les commentaires alambiqués, abscons à lui-même – ce lui est devenu un critère de complaisance – où il n’admet aucune impasse livresque pour ce qu’elle est, à savoir une route inachevée, paresseusement et indignement laissée à l’abandon – et combien d’universitariens (c’est le nom que je leur prête car c’est une sorte de secte) auxquels il ressemble tant aujourd’hui sont allés sophistiquer des thèses sur des écrivains perpétuellement complus à évoquer et à négliger des pistes, donnant ainsi le sentiment, parce qu’ils regardèrent de très loin en direction d’un horizon vague et envisagé, qu’ils avaient déchiffré un au-delà où en définitive, quand on y arpente vraiment, on ne distingue jamais leur trace ? On anticipe leurs enthousiasmes (dorénavant, je sais aussi, dans ce que Juan Asensio n’a pas lu et commenté, ce qui lui donnerait matière à ergoter avec emphase admirative) à ce que leurs auteurs ont affecté plutôt qu’à ce qu’ils ont démontré, littérature d’expectative et de semblants interrompus où la majorité des commentaires résident dans le non-dit, dans ce que le texte ne suggère même pas, dans le désir critique d’hasarder une construction loin des probabilités d’une intention d’auteur, comble d’absurdité et d’échec pour le professionnel situant sa spécialité dans le langage ; ou, si l’on préfère user contre les références et les autorités son sens critique, on perçoit l’insuffisance du livre, quand on l’a terminé, en se fiant à l’impression gênante d’inachevé et de stérilité qu’on en conserve sans pourtant identifier la supercherie et accuser l’auteur d’être manifestement un escroc. On sent que l’ouvrage a donné à réfléchir, et certes par moments il a plongé dans une perplexité presque insaisissable, à la limite de l’intentionnel car on ignore par quelle transition un auteur eût pu vouloir produire la pensée précise qui vous a alors traversé l’esprit – le lien est inconsistant – , et à d’autres moments on devine qu’il aurait fallu qu’on fût mis en réflexion parce que quelque autre passage, par sa tonalité « détachée » et d’une sorte de sagesse typique, le suggérait également dont le message cette fois n’a pas pris, mais entre ces méditations reçues et passées on ne parvient pas à savoir au juste si sa pensée de lecteur a suivi le cheminement de l’auteur ou si par hasard on a parcouru le sien tout indépendamment, et l’on se demande en fin de compte si l’on n’a pas extrapolé une philosophie littéraire sur des suggestions fortuites et des incomplétudes calculées, c’est-à-dire si l’écrivain n’a pas surtout feint de mener quelque part sans jamais indiquer où, par le moyen de l’atmosphère de mysticisme que le bénéfice-du-doute incite à matérialiser en faveur de l’artiste. Ce dernier d’ailleurs, contre les questionnements, se fait un principe à ne jamais révéler ses pensées, façon de laisser les significations ouvertes, à ce qu’il prétend, et il ne répond point aux demandes de renseignements, ces précisions sont plutôt troubles que limpides, il préfère ces interprétations floues qui le valorisent, c’est essentiellement la méthode du faussaire de ne pas préciser ses critères : le détournement est fondamental au prestidigitateur. La transmission du message en sort toujours défaillante ; il faut, pour prétendre le comprendre, le renfort d’abstractions louches et de pseudo-docteurs ès Lettres qui refusent d’emblée, puisqu’ils l’ont élu sujet de thèse, de considérer que l’idole peut être d’or plaqué et qui s’acharnent à démontrer que leur moindre mot recèle des trésors inestimables de paraboles cachées – combien ne sont que les apôtres d’une divinité, ils en parlent véritablement comme le Chrétien de Jésus ! À travers ces livres, le parcours de l’auteur est si bizarrement abscons que c’est comme s’il n’y avait pas tant élaboré une carte et un itinéraire que jalonné l’œuvre des marques stéréotypées de savantes extrapolations. Une insistante érudition, aussi bien lexicale que conceptuelle, fait croire en la subtilité, mais aussi il s’agit toujours de références obscures qu’on ne saurait chaque fois vérifier, placées là comme volontairement contre même la culture générale, et le peu que vous en cherchez ne vous paraît guère à cet emplacement d’une nécessité incontestable, au point que vous vous interrogez s’il n’y a pas véritablement un système poseur dans cette sophistication, si ces citations complexes et peu profitables ne servent pas à établir d’autorité l’honorabilité intellectuelle de l’auteur et à atténuer par ruse la défiance du lecteur, sorte de garanties patentes d’un effort puisqu’elles ont nécessité des fouilles et de la mémoire – mais moins maintenant, avec Internet. C’est indéniablement compliqué, donc le lecteur naïf (et il n’y a plus que cela) suppose que c’est perspicace et pertinent – procédé d’artificielle fiabilité : arborer autant que possible, sans autre avantage que de parer, les insignes de l’intelligence et du travail (dans un registre similaire, on sait des auteurs qui livrent des interviews par écrit : le lecteur contemporain croit encore que c’est plein d’à-propos et de spirituelles improvisations !).

Alors, une sorte d’effarement circonspect vous saisit, sitôt l’œuvre achevée : est-ce que ces sauts ponctuels dans l’érudition et la cogitation marquent vraiment la profondeur implicite ? On l’ignore, d’autant que ces méditations ne débouchent guère sur de grandes révolutions. Il ne s’agit pas de bouleversements au terme d’un ouvrage où les idées méthodiquement exposées, par leur caractère d’irréfragabilité, forcent la conception, renversent la vision de pans de réalité, mais plutôt de petits casse-têtes comme on en trouve dans les éditions de fin d’année sous la forme ou non d’almanachs, où l’on est supposé se creuser l’esprit d’une façon ponctuelle et qui relève de la dimension circonscrite d’une partie d’échecs arrêtée qu’on est censé reprendre et gagner en tant de coups. Une sorte de heurt, dont vous présumez un peu vite qu’il constituera un apport – il est peu vraisemblable, n’est-ce pas ? qu’un auteur instruit puisse jouer sans motif avec l’intellection de ses lecteurs –, interpelle et bientôt arrête sans inviter nulle part : on n’entre point. C’est un battant fermé qu’on n’imagine pas qu’un être malicieux, parce qu’il semble sûr, ait pu poser contre un mur. On tire, on s’efforce, on veut franchir l’obstacle, arracher la planche, et l’on suppose alors que ses facultés sont insuffisantes : l’auteur n’aurait pas tenté la traîtrise d’un panneau collé sur une pierre – c’est hors de jeu ! Une pareille sensation est patente chez Borges, parce qu’en l’occurrence il s’agit d’un recueil de nouvelles dont nulle ne communique l’impression d’une efficacité littéraire ni d’une pensée parfaite : le lecteur est embrouillé entre les deux, l’art manque d’idée, l’idée manque de superbe, on se trouve piégé dans l’indécision, comme entre deux eaux également saumâtres. Comme récits, ces intrigues souffrent d’un défaut de contenu et ne reposent que sur un concept vague, court et presque sans chute, quoique écrite avec soin ; comme essais narratifs, ces méditations sont curieuses mais ne débouchent pas sur de nets progrès, au point que par sympathie on s’efforce d’y mêler des pensées adventices, les complétant de ce qu’on suppose n’avoir pas compris, ce qui forme par négatifs la construction qu’on a tirée de l’œuvre, de sorte qu’à la fin presque toute la substance mentale se concentre en ce qu’on a fabriqué. En somme, on ne peut dire à aucun moment : « Voilà ce que Borges profond a voulu dire » ; pas davantage on ne peut dire : « Voilà la beauté que Borges a voulu dépeindre. » Ce n’est ni manifestement beau ou profond, on dispose seulement de « pistes » de beauté et de profondeur sans les avoir explorées. En ces « indices » auxquels on se rattache, il faut admettre que le récit a tourné court et que la réflexion fut piètre : Borges est de ces auteurs qu’on aime à vanter comme « participatifs », au sens où l’on dit d’eux qu’ils font « travailler » ceux qui les lisent, mais il serait à vérifier si leur avantage ne réside pas tout entier dans l’esprit du lecteur et si leur propre esprit n’est pas uniquement compris dans une supposition au point de n’avoir rien à transmettre, tirant profit de la présomption favorable selon laquelle comme on suppose des vertus, par conséquent on pardonne. C’est bien en effet ce pardon d’avance qui fait croire en un « progrès mutuel », en un « accompagnement », mais où pointe-t-on que l’auteur a aidé ? Une expérience serait de prêter à un lecteur l’œuvre d’un auteur auquel, sans bien le connaître, il accorde a priori sa confiance – un Hugo, par exemple. Puis, lui donner à commenter, en lieu de Hugo, un extrait incompréhensible, pas illisible, surtout très abstrait. Le lecteur conclurait, je pense, que le passage est éloquent, et pourtant objectivement insensé ; on finirait sans doute par arguer que l’exercice ne plaide en défaveur ni du lecteur dupé, ni du texte trompeur, que les deux en sortent transfigurés. C’est ainsi qu’on forge le mythe de l’auteur qui construit le sens « conjointement avec son lecteur », ce qui, bien entendu, induit de ne jamais indiquer quelle interprétation est la bonne. On se fie à lui, par conséquent il est sage. Il a écrit ce qu’il doit avoir trouvé, c’est donc qu’il y a quelque chose à chercher. Le credo marque le pas du cogito.

Or, il me semble repérer une technique systématique à Borges – récurrence ou routine – qui éclaire une facilité voire une romperie l’invalidant comme écrivain de qualité et le penchant du côté des faux-monnayeurs conscients de la littérature.

Il est à peu près incontestable que Borges fut à la recherche continuelle non de l’idée-juste mais d’idées-paradoxes – possiblement, son existence créative n’est fondée que là-dessus : constituer des concepts contradictoires selon une certaine hiérarchie de complications. Il s’est dit, par exemple, pour constituer ce recueil : « Et si l’autre était soi ? », « Et si je suis équivalait à je serai ? », « Et si je suis pouvait changer j’étais ? », « Et si le seul était le multiple ? », « Et si avant d’être, j’avais été ? », « Et si la puissance était le refus d’agir ? », etc. On reconnaît là les préoccupations futiles et fastidieuses d’une École particulière de pensée qui s’est attachée à disserter de sujets tortueux et relatifs au temps, à l’être, à l’espace et au néant, c’est-à-dire, avec opportunisme, à ce qu’il y a de plus intangible et infalsifiable – on peut y comprendre en gros les adulateurs et disciples d’Heidegger et de cette sorte d’esprits de mode à la fois appliqués et inapplicables par lesquels on définit le « vrai sérieux », le « docte » et « l’important ». Je crois qu’à feuilleter la « philosophie » d’une assez longue époque, on discernerait sans mal l’espèce de paradigme où s’est fondé l’essentiel du « lustre » de siècles de végétation mondaine, comme un foyer pour ainsi dire génétique, un repère conditionnel, un mètre-étalon passé en intuition, de ce que la société savante admit comme des considérations dignes et nobles et ce qu’elle rejeta pour prosaïque et sentimental. Après cela, on n’aurait plus d’étonnement à constater comme de telles énigmes ont pu fasciner des critiques avides de se porter au centre d’un édifice intellectuel si caractérisé : c’était – c’est encore certainement – un appel irrésistible pour celui qui veut se porter précurseur d’une question oiseuse qui fera des émules (les philosophes commencent par écrire des thèses respectueuses avant de prétendre à l’indépendance). Une conscience d’un vide-à-saisir attisée par beaucoup de recherches place Borges sur telle question parce qu’il y devine le soin impressionnant plutôt que la préoccupation utile, bientôt il s’empresse d’y quêter des références, anciennes et exotiques, comme ces écrivains qui, jouant à placer par intervalles des mots précieux dans leurs textes, rédigent en gardant secrètement un dictionnaire thématique à portée. Le voilà lancé et engagé : l’idée encore pauvre oblige pour étourdir à des superpositions de paradoxes, des métaparadoxes ou, si l’on préfère, des paradoxes sur des paradoxes ; il devine que, comme chez les « grands penseurs historiques » – Aristote, Spinoza, Kant – ce n’est qu’au-delà d’une stratification insuivible et presque arbitraire qu’on discerne censément le « génie », l’astuce consistant à empiler ces tables d’une manière si labyrinthique que le cerveau humain, comme après quelque accumulation de compléments du nom, ne parvient plus à revenir à son raisonnement initial. On est égaré, donc on croit qu’on est loin : mirage de la perte qui refuse de se dire confondu dans une poche mal cousue ! Le format de la nouvelle fera particulièrement l’affaire, parce que l’idée est aussi brève qu’infertile, et l’auteur le sait, raison pour laquelle il faudra non la développer (ce serait impossible, ne consistant qu’en un mur), mais l’agrémenter : je crois que Borges n’a guère d’imagination comme beaucoup d’auteurs de sa veine – Bernanos par exemple me semble à la limite du handicap s’agissant d’inventer –, qu’il accuse fort cette lacune, et que, lorsqu’il est forcé de s’appliquer au-delà de sa méthode habituelle à sophistiquer, il ne fait que compenser comme il peut. Souvent, incapable de terminer ses récits et d’y choisir une chute, il propose des fins alternatives et présentées comme hypothèses complémentaires, manière d’abondance dont le lecteur bien disposé le félicitera, et qui ne sont que des corollaires logiques de théorèmes menés à un certain degré de conséquence – mais l’artiste, lui, est supposé décider, quand Borges dépiste plutôt son lecteur, comme pour proposer des dénouements au marché du plus satisfait – il fait son fidèle, son pratique, son chaland, il répond à une commande, et on lui réclame une multiplicitéL’Aleph est plutôt la somme de présentations sans débouché d’équations mathématiques qu’une œuvre littéraire ferme et de bon aloi. On s’y laisse prendre parce que la forme même du langage des sciences impressionne toujours celui qui, après tout, n’est qu’un lecteur et n’a pas coutume de déjouer ces originalités abstruses et superflues. En décalant le registre, on obtient l’indulgence : le lecteur, qui ne connaît déjà pas grand-chose en littérature, se mêle encore moins de juger d’autres domaines.

Quand même, j’apprécie spécialement chez Borges la vertu intrinsèque à son défaut de l’incomplétude, la qualité qu’il y aurait à ses intrigues si elles ne se fondaient pas sur le vice du manque, je veux parler de sa faculté à l’évocation, explications ou anecdotes, sans poursuivre ses développements au dernier terme. Ce peut sembler contradictoire de le louer à présent pour ce dont je l’ai blâmé : mon compliment est plus fin qu’à congratuler ses ellipses frustrantes et mécaniques. J’explore actuellement, en la planification de mes récits, l’élaboration de contenus qui finalement ne seront que mentionnés dans le texte final, conférant à l’intrigue, ce me semble, une profondeur d’arrière-plan, une sensation, mais plus authentique et sincèrement induite, de toile-de-fond, de présence antérieure, de préexistence de la fiction : j’aime la manière de ne pas éblouir la moindre idée fictionnelle à profusion d’un éclairage vantard, et je vois de l’intérêt à garder pour soi, en ne les évoquant qu’avec parcimonie, des suggestions, en un texte imaginaire, afin de conforter le lecteur dans l’impression, mais ici confortable, d’un univers déjà établi où il s’introduit insidieusement sans guide systématique – cela contribue à sa captation, je trouve, car il se sent entouré de toutes parts d’une histoire débutée avant lui et où il est intrus et doit se fondre logiquement (tels les noms de personnages quand ils semblent signifier une généalogie, ou telle une conversation qu’il interrompt et dont les répliques inachevées, ayant un sens dans l’esprit du créateur, ne pourront jamais entièrement être comprises de lui). Mais je m’arrange pour que mes récits n’aient pas besoin de ce mystère insondable, je souhaite que ce procédé soit un outil de « naturel » et non une opacité d’artifice, et c’est uniquement ce qu’on devine de ce fond, non ce qu’il faut entièrement élaborer de presque rien tant l’auteur en communique peu, qui y réalise le plaisir d’un monde composé et complet, la saveur d’être amené là au milieu d’un univers qu’on emprunte au lieu de visiter. Il ne s’agit surtout pas de multiplier des références oiseuses, mais de les taire tant que possibles, et de référer parfois à des événements qui, au lieu d’être seulement là pour l’évocation, sont largement construits dans l’imagination de l’auteur sans qu’il eût trouvé l’intérêt de les exposer ou de les développer, simplement pour assurer à l’ensemble une homogénéité de ton, une sorte de paradigme général, un contexte solide. Ainsi réalisé, ce me devient comme une humilité des facultés créatrices, parce que je masque ce que je sais et que mon lecteur ne veut pas savoir : un récit parfaitement vraisemblable, de couleur purement réaliste, serait celui où l’auteur s’effacerait derrière les incompréhensions secondaires de n’importe quel environnement présenté comme pragmatique et comportant les germes de ce qui s’y est passé avant l’ouverture du livre. En effet, un monde normal se rapporte à celui qui y existe comme une majorité de phénomènes inexpliqués et facultatifs sur lesquels, bien qu’ils aient chacun leur explication, il ne s’interroge jamais. L’homme vit couramment au cœur d’une somme inimaginable de significations et de conséquences qui l’abîment et le dépassent, qui se présentent à lui comme des effets insolubles et pas même mystérieux, sans qu’aucun cicerone ne soit tenté de les lui raconter. C’est cette haute vraisemblance de l’inexpliqué qui m’intéresse en particulier.

Mais Borges, lui, se sert de cette illusion de profondeur pour mentir : c’est qu’en réalité, ces ébauches qu’il évoque, il ne les a pas manifestement dessinés, il n’a pas une pensée de leur développement, il a posé le pas sur le seuil des chemins qui y mènent sans s’y aventurer, et le lecteur se retrouve au milieu d’esquisses qui ne font pas à elles toutes une figuration crédible, décor intellectuel de papier. Menteur, dirais-je aussi de lui, symptôme du Surfait, s’agissant de ses références : par exemple, je suis presque certain qu’il a lu Lovecraft dont il se sert et profite abondamment, et Lovecraft est l’un des seuls qu’il ne cite pas, il préfère encore mentionner des écrivains imaginaires ! Maintes fois j’ai constaté comme le refus d’indiquer des sources signale une mentalité qui se cache derrière des références qui ne lui ont qu’à peine servi. Caractéristique révélatrice, psychologiquement, de l’imposteur, dont il faut entendre la cohérence : quand on hésite à déclarer ses mentors et qu’on en produit d’autres à la place, on a beaucoup d’astuces et de ressorts honteux à celer, on se réserve la possibilité de plagiats ultérieurs – quand un homme ne sait même plus ce qu’il doit se dissimuler, c’est signe d’un menteur invétéré et à la mauvaise conscience. Un artisan ne tait ses fournisseurs que si, parmi force malhonnêtetés, il ne parvient à distinguer celles qu’il a droit d’avouer. Je crois que Borges en est là de ses travestissements, trop innombrables pour les pouvoir trier : il confesse le plus controuvé parce que par définition on ne pourra pas vérifier ce qu’il a inventé, mais il cèle le vrai dont on pourrait lui demander des gages parce qu’il craint qu’une moindre parcelle de lumière trahisse un élément capital : son travail même en devient une fiction, il s’égaille dans ses propres mensonges ; il n’a pas ou n’a plus la franchise des transparences, il se méfie de tout, ne se sent en sécurité que dans la plus aveuglante mystification. Quand l’eau d’une pierre n’est pas assez pure, on y projette des lumières synthétiques, et cela déforme la vision de qui veut l’estimer. Probablement, Borges fut foncièrement un être de mauvaise foi.

« Mais, me demandera-t-on, comment pourriez-vous savoir cela, et le savoir vraiment plutôt que seulement le supposer ? Après tout, vous n’êtes point dans l’esprit de Borges, vous en êtes plus éloigné qu’un spécialiste de son œuvre, vous qui n’en avez lu que ce recueil, vous ignorez ce dont il peut se couvrir ! N’est-ce pas que vous lui présumez des intentions, ce dont vous vous êtes toujours refusé, vous étant engagé à ne regarder qu’au livre, c’est-à-dire qu’aux mots ? Philologue, ce n’est tout de même pas magicien ! » Objection juste a priori : je continue d’accepter qu’en dépit de mes analyses tant de fois confirmées y compris par des prédictions claires on révoque encore l’exactitude de mes commentaires. Je refuse d’être une autorité par défaut, n’ai aucun goût pour l’idolâtrie, et je préfère être raillé parmi des sceptiques que célébré parmi des crédules. D’ailleurs, n’ai-je pas commencé en exprimant un doute sur Borges plutôt qu’une condamnation ? Serait-ce qu’en écrivant je me serais persuadé de son imposture ? Notez bien pourtant que presque tout cet article, en dépit de sa tonalité accusatrice, n’est formulé qu’en termes de probabilités, comme je le fais minutieusement toujours, et que je ne le condamne pas, bien que je le critique durement, tandis que la sentence me fut si évidente pour d’autres que j’ai justement éreintés – lire toujours attentivement mes modalisations qui font partie de la nuance même de la réalité que je poursuis avec exactitude. Mais j’ai pu aller au bout de ceci, notamment du dernier récit du recueil, la nouvelle intitulée « L’Aleph », pour comprendre que Borges, au fond de lui-même et en vérité, n’était certainement pas dupe de son système d’écriture, système artificieux qu’il préféra entretenir par facilité et valorisation personnelle, tout en le déjugeant, au lieu de le réformer pour s’en dégager et prendre une hauteur plus périlleuse à lui-même.

Et comment je l’ai découvert, je vais l’indiquer. Et je dois expliquer d’abord la trame de cette nouvelle. On en comprendra la structure, le factice ainsi que la révélation critique contre Borges : une preuve implacable s’ensuit. La philologie est une science objective, et inexorable. On n’a jamais pitié d’un théorème qu’on démontre ou qu’on brise. Une telle besogne se départit de sentimentalité. Je rapporte ce que j’ai vu. N’importe vici : j’estime que je vaincs aussi quand je célèbre justement.

À l’origine de ce récit, se tient une de ces idées de paradoxe d’une nature que j’ai assez indiquées, la voici : Et s’il existait un point de l’espace où l’on puisse contempler simultanément tous les points de l’univers ? Ce point, c’est l’Aleph, dont Borges cherche déjà les références qu’il inclura à la suite dans son récit, miroirs magiques de la littérature, fontaines anciennes et médiévales, légendes antiques, etc. d’ailleurs tous artefacts en rapport assez lâche avec son sujet (Lovecraft était plus franc, moins fallacieux, dans l’usage de ses citations, il n’en utilisait à peu près qu’une, évidemment fictive et de plus en plus notoirement, en l’espèce du Necronomicon de l’arabe fou Abdul Alhazred), ce qui servira à compléter un morceau d’intrigue et à induire là sa respectabilité savante – ces citations feront aussi supposer que l’idée constitue bel et bien un historique « sujet de réflexion », s’inscrivant dans un patrimoine déjà profus. Mais à ce stade, Borges devine qu’il doit y adjoindre des éléments d’intrigue – c’est piètre encore, même si l’on inclut le « morceau » où le narrateur verra dans l’Aleph la luxuriance merveilleuse de l’univers contenu en un seul point (prévoir d’abondantes énumérations en un heureux style de démence) –, et c’est où Borges pèche le plus : il ne sait pas où commencer son intrigue qu’il lance un peu vite avec la mort d’une Beatriz Viterbo dont il ne se sert jamais, sauf pour avorter un énième et ultime paradoxe peu convaincant, lui permettant d’introduire celui qui utilise l’Aleph présent dans sa cave pour dresser une peinture excessivement détaillée et impatientante, de la moindre réalité du monde. Cet homme, un poète nommé Carlos Argentino Daneri, est présenté comme un insupportable pédant que le narrateur, nommé Borges (en un procédé récurrent du recueil), ne manque jamais de critiquer comme le pire des êtres amphigouriques et ridicules. Et, comme après que ce narrateur a contemplé l’Aleph, il faut finir le récit et que l’auteur ne dispose pas d’une idée mais, comme toujours, a plusieurs propositions pour plaire, il ajoute à ce paradoxe spatial un paradoxe superfétatoire et absurde, à savoir que cet Aleph serait possiblement, malgré ses propriétés avérées, un faux Aleph – chute arbitraire dont le but est de fabriquer une de ces perplexités stériles dont j’ai déjà parlé.

Or, ce qui m’intéresse pour mon analyse sur Borges, c’est, dans le portrait de Daneri si décrié, si absolument infâme, tout ce que Borges a placé de lui et qu’il ne peut avoir abandonné au hasard, ces ajouts étant dans l’intrigue particulièrement vains. Et je voudrais commencer par citer quatre extraits :

« En quatre vers, trois allusions érudites qui embrassent trente siècles de dense littérature : la première à L’Odyssée, la seconde à Les Travaux et les Jours. La troisième à la bagatelle immortelle que nous ont value les loisirs de la plume du Savoyard… je comprends une fois de plus que l’art moderne requiert le baume du rire, le scherzo. Décidément, Goldoni a la parole ! » (page196)

« Pour la Cabale, cette lettre signifie le En Soph, la divinité illimitée et pure ; on a dit aussi qu’elle a la forme d’un homme qui montre le ciel et la terre, afin d’indiquer que le monde inférieur est le miroir et la carte du supérieur ; pour la Mengenlebre, c’est le symbole des nombres transfinis dans lesquels le tout n’est pas plus grand que l’une des parties. » (page 212)

« Le vers tout entier, par ailleurs, offre énormément d’intérêt. Le deuxième hémistiche engage avec le lecteur un dialogue très animé ; il devance sa vive curiosité, place une question sur ses lèvres et y répond… à l’instant. Et que me dis-tu de cette trouvaille : « blanc céleste » ? Cette expression pittoresque suggère le ciel qui est un facteur très important du paysage australien. Sans cette évocation, les teintes de l’esquisse seraient trop sombres. Et le lecteur serait tenté de fermer le volume, car son âme serait, au plus profond d’elle-même, la proie d’une incurable et noire mélancolie. » (page 199)

« Une seule fois dans ma vie j’ai eu l’occasion d’examiner les quinze mille alexandrins du Polyolbion, cette épopée topographique dans laquelle Michael Drayton enregistra la faune, la flore, l’hydrographie, l’histoire militaire et monastique d’Angleterre. » (page 197)

Tous ces passages sont, je crois, d’une tonalité identique, et je les trouve assez unis. S’ils proviennent du personnage Borges ou de Daneri, c’est ce qu’il importe de savoir, car comme Daneri est le personnage repoussoir, l’identification du locuteur permet de reconnaître celui du style déplaisant qu’il ne faut pas imiter. C’est déjà, Borges et Daneri étant poètes, une sorte de manifeste littéraire en négatif qui se dessine dans la façon qu’ils ont de se distinguer. Or, ces extraits sont-ils de Borges le sage critique, ou de Daneri l’intolérable sot ? Consttiuent-ils des exemples ou des contre-exemples ?

Eh bien ! on ne le croirait peut-être pas, mais ces citations, si difficiles et alambiquées, si semblables en leur surcomposition, sont alternativement issues des personnages de Daneri et de Borges – les premier et troisième de Daneri, les deuxième et quatrième du style indéniable de l’auteur – ; or, je crois définitivement que pour un philologue la différence est inappréciable. Les commentaires de Daneri sont certes ampoulés et ressemblent à de l’universitarien comique et vétilleux, mais je ne trouve pas que les explications de Borges valent mieux, c’est au point qu’on s’étonne qu’il juge celles de son rival avec tant d’ironie et d’hostilité, lui qui ergote tout également en docteur, comme s’il était piqué dans son orgueil, froissé dans son amour-propre, comme s’il se reconnaissait en ce ridicule qui atermoie et se vante. Or, on doit s’interroger si l’auteur Borges pouvait ignorer, en écrivant ces passages non seulement équivalents mais très proches dans le récit, qu’ils sont critiquement d’une semblable nature, et, quelles différences il aurait pu leur trouver. Je ne crois pas que la confusion des locuteurs telle que je l’ai établie par jeu soit beaucoup réfutable après analyse : peut-être Daneri contemple-t-il son poème avec une verve trop narcissique, mais est-ce que Borges, à sa manière d’indiquer ses références érudites, paraît vraiment plus modeste ? Et l’auteur Borges place-t-il un style distinct – syntaxe et lexique – dans l’expression de Daneri et de son personnage éponyme ? Ce n’est pas d’évidence : même registre soutenu, même méthode énumérative, même ordonnancement de la démonstration… Daneri est d’un tour plus oral, mais il parle, lui, ce sont des propos rapportés, tandis que Borges dresse à l’écrit un bilan de ses réflexions. Il faut donc bien s’en tenir, je crois, à la première impression étonnante : au lieu d’accuser des disparités, les deux personnages se confondent, du moins leurs esprits n’ont pas été rédigés dans l’intention d’un contraste, malgré l’adversité qui les oppose, en sorte que si l’un doit être blâmable, l’autre automatiquement l’est également. Je ne pense pas qu’en façonnant ainsi deux discours de la même tonalité, surtout si c’était à dessein d’en tourner un en dérision, l’écrivain eût pu négliger que le second fût d’une forme semblable ; un auteur qui veut montrer les déficiences d’un personnage le distingue de celui dont il se sert pour s’incarner ; c’est même davantage une question de principe que de fierté, en ceci qu’il s’agit d’une occasion caractérisée et attendue pour tout écrivain de montrer ce qu’il estime et déjuge dans les manies d’autres écrivains – tout professionnel qui met en scène des confrères tend automatiquement à démontrer ce qu’il plébiscite et ce qu’il désapprouve. Or, ici, les deux se mélangent, les mentalités ne sont que légères variétés d’un même type, on ne distingue guère de critères d’opposition tranchés ni même suggérés. D’ailleurs, cette relativité curieuse, jaune, sardonique peut-être, sert dans la nouvelle une réflexion qui s’applique aussi bien à Daneri, à Borges narrateur ou à Borges auteur, et se résume aux interprétations avec lesquelles il faut les lire pour leur trouver du talent : « L’application, la résignation et le hasard avaient collaboré à leur rédaction ; les vertus que Daneri leur attribuait étaient postérieures. Je compris que le travail du poète n’était pas dans la poésie ; il était dans l’invention de motifs pour rendre la poésie admirable. » (page 196) Comme les trois se rejoignent dans cet excès, n’est-ce pas l’aveu du procédé littéraire systématique de Borges lui-même, à savoir : écrire de façon soigneusement ambivalente pour que les critiques surestiment son œuvre ? c’était bien mon impression initiale, et je fus étonné de la trouver confirmée de sa main comme une coïncidence ou plutôt comme un confirmateur. Mais encore, si l’on doute de cet amalgame entre l’auteur et Daneri, pourquoi le texte dit-il que ce dernier « occupe je ne sais quelle fonction subalterne dans une bibliothèque médiocre des quartiers du Sud » (page 193), tandis que ce métier fut, de 1838 à 1949, également celui de l’auteur : quel intérêt Borges voit-il à indiquer ce détail vague et d’ailleurs inutile, et suppose-t-on qu’il aurait oublié qu’il avait été bibliothécaire ? En outre, Daneri critique avec dureté le voyage, et l’auteur, qui se sait alors condamné à la cécité, n’avait pas encore, semble-t-il, pour projet les voyages nombreux qui, plus de vingt-cinq ans après ce récit, surprendront ses contemporains : leurs positions pourraient fort correspondre aussi sur ce point. De surcroît, Daneri « injuria amèrement les critiques, puis, plus bienveillant, il les compara aux gens “qui ne disposent pas de métaux précieux ni de presses à vapeur, de laminoirs et d’acide sulfurique pour le monnayage de trésors, mais qui peuvent indiquer aux autres le lieu où se situe un trésor”. » (page 200) : or, c’est ce qui peut convenir avec perspicacité à la position d’un Borges lui-même critique littéraire. Au surplus, Daneri ose critiquer « la manie des prologues » (page 200), ce qui entre assez en contradiction avec le fait que son propre poème majeur est un « Chant augural, ou tout simplement Chant-prologue » (page 200) : mais Borges a sans aucun doute lui-même la manie des notes de bas de page et des post-scriptum, si je ne me fie qu’à leur nombre dans ce recueil. Je ne puis m’empêcher, à force d’indices, d’admettre une duplicité de Borges, un mélange, une astuce, Borges dont le personnage éponyme est également un peu menteur et vantard : « Je précisais, pour plus de vraisemblance, que je ne parlerais pas le lundi suivant à Alvaro, mais le jeudi : au cours du petit dîner qui couronne d’habitude toutes les réunions du club des Écrivains (ces dîners n’existent pas, mais il est irréfutable que les réunions ont lieu le jeudi, fait que Carlos Argentino Daneri pouvait vérifier dans les journaux et qui donnait à la phrase une allure de vérité). » (page 201) ; or, c’est pour moi d’un certain augure s’agissant de transposer ce caractère au féru de salons littéraires que fut l’auteur. Et il me semble à la fin que le parallèle, et, je le dis, la correspondance nette entre Borges et Daneri, leur fusion même (bien que je n’aie pas le temps de vérifier si Borges, comme Daneri, avait de grandes mains délicates ni s’il fut amateur de Charles Fort), est suffisamment crédible et complète pour aller jusqu’à la description applicable à l’auteur lui-même, confirmant depuis longtemps mon propre sentiment critique à son endroit, l’intuition minutieusement garnie de son enflure, l’analyse d’un procédé d’esbroufe : « Il est autoritaire, mais aussi inefficace […] Son activité mentale est continue, passionnée, et complètement insignifiante. Il abonde en analogies inutilisables et en scrupules oiseux. » (page 193) La phrase dernière paraît lever une équivoque, car c’est tout juste ce que j’avais cru deviner des techniques de Borges. Et dans la nouvelle, par quel recueil le personnage Borges escompte-t-il se faire connaître comme poète et révéler au monde toute l’étendue de sa profondeur ? Quel nom donne-t-il au livre de sa révélation ? Un ouvrage intitulé : « Les Cartes du tricheur » ! (page 211) – mais le tricheur, c’est bien lui, Borges !

La question capitale qui se pose à ce stade est évidemment : pourquoi Borges aurait-il ici indiqué son usurpation avec une telle franchise ? Pourquoi étaler la vérité de ses mécanismes ridicules et de son triomphe indu, et risquer la trahison de lui-même en s’identifiant si nettement à Daneri ? On peut juger une telle dénonciation invraisemblable – à ceci près que personne à part moi ne l’a probablement remarquée, qu’elle n’a pas le caractère d’un vrai dévoilement. La simple autodérision, inessentielle, n’eût pas poussé le personnage Borges à condamner Daneri avec tant d’insistance et si peu de relativité : c’est que le personnage Borges, en effet, le jalouse à la haine, et justifie amèrement ses critiques, et le considère en ennemi ; il ne paraît pas juste une création de l’auteur mais un véritable alter ego, le narrateur général et commode de tous ses récits – il est plus pratique, quand on est auteur, d’entrer en un récit par le truchement d’un personnage qui vous ressemble – ; il ne met pas Daneri à distance amusée avec cette indulgence un peu drôle propre à la critique de soi : pourquoi ces similitudes et ce représentant ? Peut-être, j’y ai songé, l’auteur avait-il seulement besoin d’un personnage pour son intrigue, attendu qu’il fallait que quelqu’un présentât à son protagoniste l’Aleph qui le subjuguerait ; or, si comme je le soupçonne l’auteur est peu compétent à créer des caractères plausibles – toutes ses créatures sont presque anti-personnelles et théoriques, des entités ou des figures plutôt que des êtres, sises en un fantastique assez dénué de réalisme psychologique, ou bien elles ne consistent qu’en un énième Borges présenté en témoin de l’extraordinaire –, il se peut qu’il ait prolongé son usage, dédoublant son modèle-soi et répétant encore par facilité une version de lui-même, mais une pareille hypothèse n’explique pas pourquoi l’auteur, qui eût pu facilement se passer d’allusions à son travail, s’y est cependant livré – car je ne crois décidément pas que l’auteur ait pu ignorer, alors même qu’il recopiait en raillant la verbosité de son personnage, qu’il existât une différence majeure avec ses propres pédanteries, celles de Borges, personnage ou auteur, les ressemblances étant déjà patentes pour un lecteur amateur, par ailleurs rien ne l’eût obligé à attribuer à Daneri ses expériences personnelles comme employé de bibliothèque ou critique littéraire. Alors quoi ? Quel intérêt à cette révélation qui ne semble que pouvoir contribuer à une mauvaise réputation ? Pourquoi prendre un tel risque de se démasquer ? C’est étrange ; on n’y devine pas le besoin et l’intérêt. J’ai quelque idée là-dessus. La voilà :

Je crois que Borges était joueur et aimait se moquer – c’est une probabilité, je ne connais pas son caractère et n’ai que feuilleté sur lui, au terme du premier jet de ma critique, sa notice Wikipédia. Il n’avait, je suppose, pas de scrupule à le faire, comme les peintres aberrants des cubes, car il savait que toute son œuvre était du registre du canular, que c’était sans jamais être découvert qu’il s’était amusé à piéger malicieusement et si longtemps ses contemporains. Tout le caractère d’énigme mystique de sa littérature le prouve assez : son objet, c’était le labyrinthe pour méduser, technique dont il sut user pour surélever son mérite et exposer sa gloire. Borges était un plaisant conscient de ses tours juvéniles, et encore plus conscient de ne jamais se laisser attraper, car il lui suffisait, comme tant d’autres, de ne jamais indiquer quelle interprétation il fallait faire de ses récits : on n’imagine pas l’espèce de malhonnêteté ordinaire et goguenarde qu’on peut trouver dans la mystification, il faut avoir pris l’habitude de faire des tours et de voir comme les gens sont enclins à s’ébahir, pour se moquer in petto. Il n’existe pas un truqueur qui ne méprise quelque peu son public. D’ailleurs, avait-il tort, et est-ce que quelqu’un à part moi, dans « L’Aleph », a repéré son aveu ? – le public, là-aussi, s’est fourvoyé volontiers. Et Borges savait qu’il s’était couvert et ménagé des échappatoires : le titre « Les Cartes du tricheur » ne peut-il par référer au « raccourci » de Daneri qui se contentait de recopier le monde sans jamais se déplacer de chez lui rien qu’en se servant de l’Aleph ? Aussi, Borges ne pouvait ignorer que les critiques ne démantèlent jamais les œuvres qu’ils examinent : ils ne font qu’y ajouter des strates, même qui n’y sont pas, sur le fond d’une respectabilité renommée ; il suffit alors de ne pas les démentir, mais ils n’en retirent point. En 1945, Borges était déjà célèbre et n’avait rien à redouter de sa plaisanterie : il aurait fallu que tel de ses célébrants se dédît et s’avouât trompé ; il n’eût suffi à l’auteur que de nier. De là l’audace, le rire décomplexé, la bravade, l’insulte à la face des universitaires et des commentateurs, le faux appât : montrer qui il était dans un texte où ses astuces et malhonnêtetés étaient révélées, et comme son art parut par amplifications le travail d’un génie. C’est environ l’histoire de Kundera, qu’on a pris excessivement au sérieux. Or, qu’avait-il à perdre ? Il n’avait qu’à se connaître et se recopier, c’était drôle comme une de ces plaisanteries privées qu’on ne partage qu’avec soi. Comment apercevoir, l’autre personnage se nommant Borges, que le premier, son adversaire qu’il méprise, est également Borges ? Voilà qui est anodin et sans risque, une blague, vraiment, de quoi décidément perdre le critique – seul un écrivain philologue eût pu déjouer cette petite amorce, mais il n’y en avait déjà plus ou bien ils se soutenaient entre eux ! Suivre ensuite avec dérision les exégètes abusés sans prendre part, comme le pompier pyromane observant ses collègues au travail qui ne peuvent le soupçonner. Tellement comique ! Et encore, ne pas en faire une clé, un péril ou un symbole – ma découverte, parce qu’elle est ici longuement exposée pour la justifier, peut sembler une vaste trouvaille, mais pour l’auteur ce n’est qu’un énième clin-d’œil aisément réfutable et auquel nul ne prêtera attention. Une manière notamment, face à un public si inconséquent, de délaisser tout scrupule.

Car se figure-t-on ce que la culpabilité d’un succès qu’on sait foncièrement indu produit en l’esprit d’un auteur ? un trouble qu’on n’imagine pas, vague mais persistant, qu’on pourrait appeler complexe de l’imposteur, qui ne se résout pas facilement et ne saurait se confesser après tant de mensonges engageants comme des chaînes. Or, voici Borges qui a encore l’opportunité d’indiquer qu’il fut amplifié, de prendre en légèreté des lecteurs laissés dupés à ses manigances, et, comme il n’est pas sérieux et croit savoir ce qu’il vaut, il lance ses indices, et, ce faisant, se remet avec moins de vergognes à ses petits tripotages, à ses artifices captieux, aux rets qu’on ignore et adule pourtant avec naïveté, parce qu’à présent non seulement il continue de se savoir ce « système Borges » qui captive sans profondeur, fait parler tant de poseurs et prolonge sa pensée en l’extrapolant à un degré de confusion et de délire (c’est l’expérience que tout auteur fait un jour lorsqu’il est confronté à un admirateur qui lui explique ce qu’il n’a pas écrit : faut-il le détromper, tandis que son rêve est si étayé et donne à son inspirateur tant de valeur ?), mais il l’a écrit, l’a avoué même, certes indirectement comme on affect l’ironie sur soi pour ne pas avoir à mentir, mais on ne peut plus lui reprocher de l’avoir tout à fait caché, il s’est confondu, accusé lui-même, exhibé, a publié sa recette, il est Daneri horripilant qui va pourtant connaître un énorme succès : que veut-on de plus si l’on ne prend même pas sa confession au sérieux ? Peut-il se permettre de convoquer une conférence de presse tout exprès pour se repentir ? Ainsi est-ce avec soulagement qu’il reprend ses facéties : après tout, elles lui rapportent et ne sont pas déplaisantes ; on l’écoute avec la considération qu’on voue à un sage – comme c’est flatteur ! Borges était enfant, le savait, mais il passait pour un enfant prodige : quelle raison eût-il eu de se saboter totalement ? Il avait obtenu l’intérêt des adultes par ses mystifications, alors il en vint tout naturellement à mépriser ces adultes qu’il avait révérés et dont il avait appris par imitation à se faire respecter. Il continua ainsi à goguenardiser, et, sans doute, comme tant d’autres, finit par se prendre au sérieux, par se considérer, par se draper, à un âge où l’on pense à la postérité pour tout se pardonner et se forger une stature, comme une cape, au moyen des lambeaux de rideaux dont on s’est servi pour instruire un numéro. Il feignit son génie et puis il y crut, pour ne pas s’attribuer une vie de gâchis. Même un clown réclame à la fin la fierté.

Et c’est pourquoi il ne faut jamais commencer une carrière d’artiste avec une insincérité intérieure, avec un opportunisme duel, avec un sarcasme dissimulé, fût-ce dans l’intention de percer et de gagner ensuite suffisamment d’argent à dessein de réaliser mieux, car on ne voit plus jamais après cela qu’un véritable artiste parvienne à sortir du cycle négligent de la recette populaire et du procédé-de-fabrication. La notoriété installe en soi ses critères, on veut tôt ou tard avoir été loué pour la meilleure part de soi-même, et si au début on se gausse du triomphe immérité, on finit par y consentir, par s’y appuyer, par s’en attribuer le mérite, sans compter qu’il devient trop difficile de s’écarter du succès établi pour prétendre à un succès plus juste : il faudrait travailler, développer l’effort et l’ambition sans repère extérieur, et c’est presque une désespérance non seulement quand on y a perdu l’habitude à force de succomber à peu de frais aux penchants les plus accessibles, mais lorsque la conséquence du labeur – argent et critique – ne fera nulle différence, et même certainement sera d’un profit moindre, sauf pour sa propre conscience. Un artiste est un être qui souffre d’être si consciencieux : qu’est-ce qui, après plus d’un siècle de marché hypocrite et piètre, nous rendra enfin l’artiste ? Je l’ignore : mais Borges, à ce que je crois avoir démontré, ne compta pas non plus pour l’un d’eux.

 

À suivre : Crénom Baudelaire ! Teulé.

 

« Parmi les corollaires de la doctrine selon laquelle il n’existe aucune chose qui ne soit pas compensée par une autre, il en est un de très peu d’importance théorique, mais qui nous conduisit, à la fin ou au début du Xe siècle, à nous disperser sur la surface du globe. Il tient en quelques mots : Il existe un fleuve dont les eaux donnent l’immortalité ; il doit donc y avoir quelque part un autre fleuve dont les eaux l’effacent. Le nombre des fleuves n’est pas infini ; un voyageur immortel qui parcourt le monde, un jour aura bu à tous. Nous nous proposions de découvrir ce fleuve.

La mort (ou son allusion) rend les hommes précieux et pathétiques. Ils émeuvent par leur condition de fantômes ; chaque acte qu’ils accomplissent peut être le dernier ; aucun visage qui ne soit à l’instant de se dissiper comme un visage de songe. Tout, chez les mortels, a la valeur de l’irrécupérable et de l’aléatoire. Chez les Immortels, en revanche, chaque acte (et chaque pensée) est l’écho de ceux qui l’anticipèrent dans le passé ou le fidèle présage de ceux qui, dans l’avenir, le répéteront jusqu’au vertige. Rien qui n’apparaisse pas perdu entre d’infatigables miroirs. Rien ne peut arriver une seule fois, rien n’est précieusement précaire. L’élégiaque, le grave, le cérémoniel ne comptent pas pour les Immortels. Homère et moi, nous nous sommes séparés aux portes de Tanger ; je crois que nous ne nous sommes pas dit adieu. » (pages 31-32)

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Non, ne vous méprenez pas, surtout après votre clarification, je n'en ai que peu douté, un chouïa 'têt bien, mais sinon indubitablement je sais l'usurpation, elle ne me dérange pas tant; mais le sapiens à poil se réattribue les violences du monde. Il redevient intelligent, il advient à lui, réalise, votre réponse d'une diligence exemplaire démontre bien que le sujet vous tripatouille autant que moi. J'avais un pote bassiste qui ne venait plus en répet', il me disait "vous analysez trop, il faut une synthèse", et puis il s'est pendu. Cet excellent bassiste, nous les paresseux intelligent, qui aimons Céline et Borgès, pas plus réacs que les consommateurs moyens, avec des libidos folles et même sans dents à mordre tous les seins, les hanches, je vous passe les détails je goinfre tout le bétail. Il y a beaucoup d'éléments de la littérature "officielle" que j'ai carotté, non pour déplaire, mais bien pour comprendre les au-delà de ma condition. Et alors, dingue subtile magie, j'ai retrouvé des propositions de vastes univers, totalement libérés des gangues arbitrales npn nécessaires et puis donc j'ai admis ce qui devait me conditionner pour en faire un partenaire de combat. Et voilà que c'est la poésie qui s'offrait à l'intérimaire faible, non qualifié du secteur bâtiment et évenementiel à quat'balles. Les mystères qui ne débouchent sur rien, proposent s'il est possible d'insinuer le témoignage audacieux des courages de tous nos amis, les quelques guerriers, les folies dont nous avons disposé pour rire, crier, pleurer, comme quelconque lectrice de Gala. Et puis après tout c'est le combat quotidien qui étreint les partenaires indulgent et pudique accompagné du sérieux incontournables des victoires ou des échecs. Mais avec toutes ces offres de contextes ont, sans le savoir, mis à nu, à l'os, les orgueils, les vanités des cultes hérités des "temps modernes"; j'ai honte, mais j'avoue, mais bien, pour moi, Hugo (le Boss) et tous les rebelles culturels jusqu'à John Rawls me paraissent presque ringards. Mais bien moins que leurs successeurs. D'où mon extrême tolérance quant à ces dérives, le "drifting", la godille en eau douce, la cape et le ris pris nécessaires quand les ciels noirs se conjuguent aux eaux troubles. En immortel.
Répondre
H
Je n'entends pas beaucoup, comme vous savez, de vos commentaires, mais vous faites peut-être un malentendu : je suis sensible à la sensibilité aussi bien qu'à l'esprit, mais, aussi sensiblement et intellectuellement, je me targue parfois de dénoncer les faux-sentiments ou les faux-esprits : Borges et Meschonnic en sont - des usurpateurs. Je dis seulement que je ne me laisse pas tromper, et les dénonce tels.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne me soucie pas de mon "rôle" dans l'histoire de l'humanité : vous savez bien que je ne "politise" pas. Je montre seulement que le Contemporain est ce bourgeois que vous paraissez dénoncer, qu'il est sans cette "soif" que vous mentionnez, que la "raison moderne" que vous évoquez est à peu près le contraire d'un esprit ; par ailleurs, j'estime impossible de le corriger. C'est juste ma propreté, à moi, de rapporter la vérité. Si j'ai l'air hautain ou grincheux, c'est ce dont je ne me soucie même pas, dont l'effet sur mon lecteur ne m'est d'aucun intérêt.
Répondre
A
C'est pour quoi je l'aime bien ce méchant poème, à vous foutre autant les acquis que les mésalliances . Je vous aime beaucoup, mais ça ne va pas être facile avec moi, je vais tutoyer par habitude de s'adresser aux principes en éludant Dieu que vous êtes, que nous sommes, ou plus certainement non, c'est un terme. Ni les mille princes dont votre autorité voudrait discerner, mais alors quels mystères, les bienfaits des glaciers au congélateur, du bilan carbone à la famine, des petites cailles à la grosse bête, l'אָלֶף. Et je vous autorise donc absolument toute coupe, toute censure car l'axe de vos propos doit toujours rester à vous appartenir. Allons donc à la cisaille. Finissons-on en avec cette violente procédure depuis les florentins. Il le savait bien Georges Louis. Quelles avancées les travailleurs de l'intelligence proposent-ils ? Rien. Serait-il question d'absoudre le rêve ? Oui. Encore un métier au service de nos courbures, de plus en plus vers le sol, oh, mais bientôt planté; le nez dans l'machin qui dandine à t'asphyxier. Allons donc à dériver, hors saison, déraison hissée, petit vent. Comme divertissement cet affect n'est plus un réconfort, c'est devenu l'appui nécéssaire pour justifier les patiences de ceux qui se méconnaissent et souffrent en proportions. Sérieusement il faut admettre que Marc Levy est l'absolue réalisation de ce qui est attendu par notre peuple, notre peuple brave. Et alors, ce n'est pas bien ? Mais ils bossent les gens, ils enchainent, ils s'enchainent. Donnez leur foi. Cronstadt. Bien que nous sachions qu'ils ne furent la réelle force révolutionnaire, ils construisent les murs, ils sont l'appui. Nos beaufs, nos médiocres, je n'en suis pas le moindre. Soyez la tête, mais là aussi il y aura mérite exigé, reconnaissance, évaluation magazine sous la comptabilité des textiles et uniformes des serviteurs évalués, la langueur physiocrate, tellement, so XIII ème siècle. Et les quelques siècles en retard je m'en fous quand on me demande Coltrane quand j'entends Zaz,(ma discrétion avoue le contraire) . La société bourgeoise n'a plus rien à proposer, elle n'a plus rien à inventer, elle brevète la plainte si elle ne veut pas mourir. La culture lui a servi de prétexte à l'intelligence, l'hypothèse du progrès, seul le meurtre ne peut être obsolète car il acte ses jalousies. Cela devient sérieux de prendre en considération pourquoi l'on fait croire au peuple que ses diplômes le renforcent alors qu'ils ne sont que les outils de décisions supérieures. La division militaire, antique toujours fait office. Les assertions paradoxales ont donc positionné les acteurs et les soumis. La reproduction du propos encourage l'inclusivité, sinon tu es libre de vivre authentiquement ta punition. Le progrès bourgeois n'est que ce moment, mais tous ces individus d'une classe unanime, tiens donc en collusion, ils n'acceptent jamais la transformation ou la mort, donc ils nomment cela progrès ou évolution. Pour perdure; avec nous, les complices. Ce poème, ces odeurs de traque, d'ambition puis édifier, défaillir pour un parfum, son duel. Mais ce ne sont que les mutations nécessaires à leur propre entretien. Actons donc. Ce théâtre, ces oeuvres, narrent au contour, les arrière-bans. Il y a tellement de rancoeur et d'indiscipline que toutes les institutions ploient et voudraient faire accroire une adhésion dont les principes furent érodés par ceux-là même qui les ont rendu artificiels (j'suis marri). Pour contrer la barbarie il faudra d'autres axes, d'autres courages et admettre que le rêve, ses évocations puissent être les armes réelles d'une humanité en chair, hurlant ses besoins, ses doutes, ses putains de caprices de justes tripes exigées. Vaciller les défiances originelles. Vos armes discursives, à vous oui, mais ne sont pas implicitement les oeuvres d'un labeur qui nous accompagne, nous reconduit et fonde l'essentiel du monde tangible. Ce fut déjà tellement difficile de braquer les armes de l'adversaire, ces trucs réacs imbéciles devenus les trucs gauchos abrutis, avec l'urgence des types conscients, il nous fallait conscience des oeuvres et ce grand labyrinthe prétextuel nous l'avons parcouru avec des jambes de courage, avec la bagarre au matin de David, eh bien aucun argument ne remplira nos organes de désirs autre que l'appétit, la soif sauvage, celle que je lis en vous, mais avec cette décompression qui se voudrait tangible, qui l'est mais alentour ces indifférences pour lesquelles nous battons tous les feux, seriez-vous avec, contre ou indifférent? L'oeuvre est identique à ces travers. La raison du monde dit moderne, contemporain ou je-ne-sais, cette pudeur ne demande pas dépucelage, mais approche, mais presqu'aucun ne travaille l'apprivoisement. Il y a des lettres bibliques, des alchimies et les connaissances durant cette oeuvre, c'est bien la vanité que vous dénonciez, celle qui nous dénonce nous aussi. Laissez-vous à rêver Borgès ou Meschonnic, ce qui est indispensable étant bien la position au-delà de cet affaiblissement qui ne serait ponctuel s'il n'était encouragé par des duplicités torves, voire institutionnalisées. Les p'tits crânes en tête, qui à la queue ?
Répondre
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité