14 septembre 2022
Nous sommes personnages de roman
J’ai déjà parlé de la scission de l’humanité, d’une division des mentalités qui continue de se réaliser en deux modes d’existence, de l’incompatibilité foncière et inéluctable qui est née et ne cesse de s’étendre entre une tendance confortée au divertissement et une inclination résolue à l’effort, deux conceptions devenues « styles de vie » antagonistes et inconciliables. Ces deux esprits, disais-je alors, ne peuvent plus communiquer pour se comprendre, car ils ne correspondent plus, ils n’ont quasiment plus... [Lire la suite]
11 septembre 2022
De la tendresse pour la monarchie britannique
Je crois que ce qui fait surtout prendre en bonne part la monarchie britannique, c’est que son pouvoir y est occupé par des vieux : les personnes âgées qu’on ne connaît pas suscitent chez nous une espèce de compassion, pour ne pas dire de pitié. Y disparaissent à leur bénéfice toutes les postures hautaines et ampoulées, fautes et inactions, qu’on ne pardonne pas chez de jeunes aristocrates parce qu’elles signalent évidemment un mépris, tandis qu’on attribue à la distance des anciens une amabilité qu’on estime une prérogative de... [Lire la suite]
09 septembre 2022
Retour aux sentiments
On ne m’a peut-être pas compris – non : certainement ne m’a-t-on pas compris, et m’a-t-on plutôt oublié sitôt lu, et ne m’a-t-on même pas lu, et qu’importe puisqu’il s’agit d’un « on » oratoire, tout de style, par lequel je me justifie, moi à moi-même. Ce que je veux m’expliquer à présent, c’est que je n’ai pas résolu de ne plus jamais ressentir, que je n’ai point décidé et par principe de m’abstenir d’adhérer aux sentiments humains, de m’en défier obstinémentavec ou... [Lire la suite]
06 septembre 2022
Critiquer un esprit
Le propre d’un esprit sain, c’est son unité et sa cohérence, ce qu’on appelle, pas en vain, la psycho-logi(qu)e. Je n’ai jamais rencontré que la pensée d’un homme fût fort raisonnable sur un sujet et très absurde sur un autre, hormis qu’on qualifie de « déraisonnable » en général non ce qui procède d’une erreur de jugement mais ce qu’on estime relever d’une faute morale, deux domaines pourtant presque sans rapport ou, du moins, dont on n’établit jamais explicitement le lien pour fonder proprement une réfutation exacte. C’est... [Lire la suite]
04 septembre 2022
Le temps de Juan Asensio est passé
Juan Asensio – avec son site Stalker – valait vraiment comme critique littéraire il y a encore quelques années, et il était alors bon même en dépit de son mauvais tempérament. J’avais commenté un recueil de lui, et j’en avais fait surtout l’éloge à l’exception de certains détails qui étaient chez lui comme des ponctualités de tics superflus et même plus pédants qu’érudits.
Mais Juan Asensio n’est plus : il est devenu vieillard et ombre comme critique, quel que soit son âge réel. Il n’est pas mort, il est épuisé. Ce... [Lire la suite]
01 septembre 2022
Honte de mes diplômes
Mon diplôme n’a servi à rien : presque toute université est le réceptacle d’oisifs qui veulent « profiter » de leur jeune âge sous prétexte d’une formation – je reçois continuellement de ces témoignages : « La faculté m’a appris à être libre. J’ai pu m’épanouir grâce à elle », en quoi consiste l’aveu, tout travail étant par définition une occupation de forces, qu’on n’y fait à peu près rien que quérir du temps disponible en-dehors du travail, ce que je ne contesterais pas moi-même. Une fac de Lettres... [Lire la suite]
31 août 2022
Arts pour généralistes
L’effet probablement le plus préjudiciable qu’a exercé la société du divertissement sur les arts, c’est qu’en mettant les œuvres à la portée de tous, elle a supprimé chez le consommateur la volonté de recherche qui était à l’origine de tout vrai développement artistique.
Je suis l’un des seuls à admettre que je ne m’intéresse pas à la musique ; pourtant, chaque fois que j’en entends parler, je m’aperçois que j’en sais presque autant que n’importe qui, parce que chacun se contente d’en écouter la part la plus accessible, de sorte... [Lire la suite]
26 août 2022
L'examen de l'émoi
Il m’arrive quelquefois de trouver quelque chose d’inexplicablement touchant, poignant, pathétique, à certains visages de femmes, notamment à leurs sourires sincères, en la particulière conformation de bouche qui paraît faite pour exprimer du contentement, et dont l’éclat enjoué, délicat et ravissant, cependant fragile et incalculé, semble promettre à qui vivrait avec elles une consolation et une légèreté perpétuelles. Bien des hommes comme moi, je crois, aspirent en idée, en idéal, en autre vie, à exister en compagnie de femmes... [Lire la suite]
24 août 2022
Le sage e(s)t la victime
D’où vient que notre siècle considère la souffrance un gage de vérité ? À présent, celui qui pleure, c’est celui qui a raison ; pour emporter un débat, il faut s’exposer comme victime. Les arguments ont déserté le camp des victorieux, la persuasion acclamée du pathos a remplacé le ridicule des passionnés sans détachement qu’on estimait hors du jeu, trop « impliqués » pour tenir une parole objective et vraie. De nos jours, l’homme qui convainc fait couler ses larmes, use des vibrations de ses cordes vocales... [Lire la suite]
22 août 2022
La lecture comme sélection et comme mépris
J’ai constaté que la lecture consiste chez moi en un processus particulièrement cruel d’élimination : je sélectionne dans un livre, avec un mépris impitoyable, tout ce qui n’est pas d’une vérité éloquente ou d’une beauté inédite, phrase après phrase, en procédant à un repérage et à un calcul extrêmement minutieux, et je remise le reste dans un oubli intransigeant de ce qui ne méritait pas d’être écrit. Je fais ainsi activement le tri de l’inutile et du banal, du terne et du lâche, et j’en constitue une synthèse par... [Lire la suite]