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Henry War
8 mai 2024

Observation sur une circonstance pour rêver

            Il faut avoir du temps pour rêver – je parle du sommeil –, un peu de temps de jour, mais peut-être pas du temps à l’excès : le travail accapareur abrutit l’esprit et les désirs dans une sorte de survie, mais son absence empêche leur développement par défaut d’événements vécus et de souvenirs à interpréter. Lorsque la nuit récupère d’occupations fatigantes, elle est propice à des synthèses inconscientes où les songes se déploient, mais si elle reconstitue à peine les forces physiques ou intellectuelles, alors elle manque de patiences adventices, des accessoires futiles où l’esprit risquerait de sortir plus fatigué, et, se contentant du principal de sa fonction, Hypnos refuse de laisser jouer Morphée. C’est le point, très rare au Contemporain, où le labeur devient véritablement aliénant, où une exaspération des facultés principales, limitées au besoin, inhibe les secondaires nécessitant de s’exprimer du superflu, et le réveil devient un moment stupide où la conscience ne s’est ouverte à rien, où l’animalité presque minérale de l’utile remplace les curiosités originales de l’univers intérieur, où tous les chatoiements dispensables de l’existence se sont comprimés dans des tâches dures, subalternes et viles : ce travail est une disparition de soi, phagocytant la créativité, l’inspiration et la pensée-pour-soi. J’aime tant me rappeler les images surprenantes que j’ai fabriquées, qu’un autre que moi paraît avoir faites pour me défier d’y réagir, et que j’interroge ensuite avec, toujours, un intérêt joyeux, une perplexité amusée, un gai savoir ! Mais le complet harassement est une misère de l’esprit, au même titre que le désœuvrement qui ne porte plus une expérience substantielle à métamorphoser et problématiser. Qu’on me laisse, épuisé, gagner mon lit, fier du travail sain et fécond, et que cependant jamais on ne me dispense de fatigue : c’est l’extrême milieu – non pas milieu commun, car les hommes ne s’en tiennent plus qu’à une surstimulation sans dépense – où je puis contempler les songes étranges et bouleversants d’une humanité qui n’est plus… pour y travailler, encore et encore.

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