Deux penchants à l'éloge faux

« L’extrait me ressemble : sans rien m’apprendre, sans me surpasser, sans que je sois tenté de l’admirer, il me confirme, me résume, me soulage ; il est écrit dans la forme populaire dont j’ai l’habitude, riche en proverbes connus, portant les marques du fameux « bon sens » qui ne blesse personne, toujours sis entre deux opinions ; j’y ai accès, j’y suis à l’aise, j’en maîtrise les codes, comme au milieu d’une compagnie dont je sais les valeurs et dont aucune réaction ne peut m’être défavorable ; je m’y sens un confort, je veux l’approuver, je suis rassuré à l’idée qu’un autre pense comme moi, je m’y confis comme dans un groupe dont il faut, puisque c’est un semblable, que chaque membre soit une variété de sage honnête et simple ; c’est pourquoi je le plébiscite, le recommande à tous, l’incitant à multiplier à ma place les témoignages de ce que je suis, pour me reproduire moi-même par procuration, et me trouver ainsi ailleurs en ma demeure. Je félicite son auteur, en termes vagues et chaleureux. »

« L’extrait m’est obscur : sans rien m’apprendre, il est écrit dans une forme inaccessible, alchimique, hermétique, langue mystique en laquelle j’ai appris à reconnaître la vérité, dont je préfère vénérer l’oracle, où je prête la clairvoyance et le sacré, au pied de quoi je me prosterne ; ce qui est au-delà de ma compréhension, s’il porte certaines marques, je l’estime supérieur, le promeus sans l’expliquer, énigme insoluble, m’avouant insuffisant, particulièrement si l’idole est célèbre et défunte parce qu’alors son aura brille qui ne peut plus s’humilier ; en vantant ce qui porte les insignes de la hauteur, je me l’approprie et feins de savoir ce dont il s’agit, d’être entré en confidence, d’être prêtre à mon tour ; je me sens entré dans le secret d’un cénacle, me transfigure en curieux, profond, prosélyte, adulateur des devins, d’universalité rayonnante, si extrêmement ouvert et épanoui, paraissant accepter un univers de relativisme qui me dépasse, dont je côtoierais l’éther, et où il s’agit de prêter des significations en symboles, à des rythmes opaques, inversables, négligeables mais persuasifs. Je félicite son auteur, en termes vagues et chaleureux. »