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Henry War
2 décembre 2018

Expériences numériques

Vaincu, on le voit, défait, écrasé, piétiné de toutes parts par ce système multilatéralement infâme, j’ai voulu, par obstination bête ou par désœuvrement, ou plutôt non : par appétit de travail acharné et de découverte, poursuivre mon chemin (de croix) et tenter ma chance en des instances plus neutres où ma réussite ne dépendrait pas exclusivement de quelque comité insaisissable et aveuglément partial.

Entre autres choses, je trouvai là par hasard une association appelée « Comité de lecture » et dont le manifeste explicitait l’attachement à sélectionner et à promouvoir des manuscrits anonymes, en-dehors de toute influence géographique ou commerciale. J’envoyai donc mes Norsmith, dont je demeurais bien sûr. J’obtins :

 

Bonjour monsieur,

Votre texte n'a pas trouvé de lecteur au sein de notre petit groupe malgré un sujet potentiellement riche et une écriture maîtrisée. Bénévoles et submergés par les demandes, nous ne disposons que de peu de temps. Peut-être sa longueur (et le très lourd travail que cela implique) nous a-t-elle effrayés... 

Ne vous découragez pas et poursuivez dans l'écriture !

Bien cordialement 

Lecteur CDL

 

Puis quelqu’un m’indiqua qu’un concours national recherchait des romanciers à dessein de publication aux éditions France Loisirs : c’est le concours Nouvelles Plumes. L’organisation se targuait de n’inviter que des lecteurs amateurs pour estimer les textes des participants, gens simplement inscrits d’enthousiasme et engagés sur parole à noter et à évaluer plusieurs récits. Je jugeai sain ce principe, j’aurais du moins enfin accès à des avis, voilà qui pouvait me plaire ! J’envoyai donc de nouveau mes Norsmith, bien décidé à m’imposer grâce à cette œuvre. Le site proposait de suivre les notes et commentaires des lecteurs ; or, au bout de six mois, j’eus la mauvaise surprise de constater que mon texte avait été recalé sans avoir reçu un seul commentaire : j’en demandai les raisons par mail, et l’on me dit en substance que les lecteurs se présentaient spontanément sur les textes de leur choix et que, puisque personne ne s’était porté candidat à la lecture de mon roman, celui-ci avait été écarté sans avoir été lu. Le procédé me parut abusif, cette idée notamment d’être déclaré vaincu avant même d’avoir eu une chance de concourir… N’importe : j’avais encore perdu.

Beaucoup de concours numériques, associés à des éditeurs et promettant un contrat au(x) lauréat(s), se proposent ainsi de sélectionner de futures publications sur le fondement d’un engouement populaire : on n’exige plus du tout d’un texte qu’il soit artiste, qu’il rehausse l’image d’une maison ou qu’il révèle quelque tendance d’avenir, on se contente de sonder les lecteurs les plus « moyens » possibles pour anticiper ce qui aura largement du succès : en somme, on sonde le marché, on procède par échantillonnage statistique, et puis dès qu’on estime représentative une réussite virtuelle, on imprime et on vend. J’ignore bien, suivant un tel procédé, à quoi peut servir encore un comité de lecture et ce que peut vouloir signifier une « ligne éditoriale » : j’ai prétendu par ailleurs que cette dictature de l’argent est le plus propre moyen pour confisquer à une Nation l’essence de sa littérature classique et nationale, car ce qui fait immédiatement recette est rarement ce qui enorgueillit un peuple. Succomber à des effets de mode, ce n’est jamais valoriser du solide : qui lit encore des auteurs surréalistes ou du Nouveau Roman ? Pas étonnant qu’on soit déjà en peine de trouver de « grands » écrivains du temps de nos parents ; à présent, faute de candidats, Ormesson est à la Pléïade.

 

Ce qu’il y a à retenir de ces différentes expériences, c’est que j’avais épuisé en trois ans toutes les opportunités à ma disposition. Même les agences littéraires, qui n’ont après tout aucune raison de promouvoir des inconnus, m’avaient une à une froidement refusé leur soutien, et il ne me restait guère d’alternative si j’ambitionnais un jour de faire connaître mes textes.

J’entendis parler de Wattpad. Au printemps 2017, l’édition numérique gratuite me parut l’ultime expédient, autrement dit : offrir mes romans sans la moindre contrepartie. Qu’avais-je de mieux à faire que de m’y inscrire ?

Cette expérience ne fut pas mauvaise – une des premières à m’avoir apporté au moins quelque chose. Wattpad – pour ceux qui l’ignorent – est une plateforme en ligne où l’on peut aussi bien déposer des récits qu’en lire. Son interface est plutôt pratique et belle comparé à la concurrence, et, comme il s’agit surtout d’un réseau social, le lecteur peut commenter tel texte et annoter les paragraphes de façon que l’auteur lui réponde, s’il veut. L’ensemble se présente comme un lieu où les écrivains, grâce aux critiques et aux remarques, peuvent s’améliorer.

Inutile de préciser qu’en général l’auteur espère qu’un succès retentissant sur la toile entraînera l’intérêt de quelque éditeur – ou de plusieurs –, comme c’est notoirement arrivé pour peu d’entre eux (mais plutôt aux États-Unis qu’en France, il faut bien le reconnaître). En somme, le rêve d’un super-buzz poursuit de pareils sites comme une litanie murmurée dans un sommeil profond ; et cela s’exhale et se sent, de part en part.

Or, autant le dire, les textes proposés sur Wattpad sont, dans l’immense majorité des cas, des récits désespérants de nullité racoleuse : contenant même souvent des fautes jusqu’au titre, ils ne rendent pas le moins du monde, et à aucun sens, l’impression même lointaine de productions artistiques, à de rares exceptions près qu’il faut longtemps chercher. On y obtient un succès considérable à parler de sexualité bâclée ou de femmes voilées qui découvrent le divin amour dans la religion, et l’on est bien forcé de supposer que le public moyen de telles plateformes consiste en de jeunes adultes sans grande culture et peut-être, en bonne partie, en des musulmanes d’Afrique du Nord condamnées à s’ennuyer à la maison toute la journée en attendant le retour de leur mari strictement conservateur.

On y découvre qu’un Rantbook est un livre d’humeurs où l’on exprime mal les idées les plus éculées et consensuelles comme s’il s’agissait de fulgurances révolutionnaires, qu’un Thug est un mauvais garçon de fantasme invraisemblable où les femmes projettent toute leur soif puérile de rédemption et de cul, et l’on s’aperçoit assez vite que l’essentiel des commentaires se situe dans l’espace intellectuel charmant du « Super ! G tro kiffé ! ». Le plus souvent, même vos abonnés semblent des fantômes : ils espèrent surtout, en vous « suivant », que vous leur rendrez ce suivi, ce qui améliorera leur classement et leur visibilité au sein du site (j’ai reçu de l’un d’eux, entre autres exemples, une chaleureuse félicitation pour mon livre d’astronomie en l’espèce de mes Anomalies de l’Espace et du Temps. J’ai répondu aimablement que j’étais content de cet enthousiasme, mais qu’il s’agissait apparemment d’un recueil de nouvelles de fiction – ce qui a priori ne fait aucun doute –, et la personne me retourna un « ,,c'est quand même bien !!!! » qui me laisse encore, comme on l’imagine, tout émoustillé.). À ce jour, 151 personnes sont abonnées à mon compte, et peut-être une vingtaine seulement ont quelquefois commenté mes récits : il est assez plausible, en fait, que le restant soit constitué uniquement de profiteurs spectraux – je l’ignore au juste. Toujours est-il qu’il ne fait aucun doute que le nombre d’abonnements à votre profil dépend essentiellement du nombre de vos suivis, et chaque fois que j’envoie un message sur cette liste pour réclamer quelque réaction, je n’obtiens une réponse que de trois ou quatre abonnés.

Wattpad, pour ainsi dire, me fit bon accueil : je fus presque immédiatement plébiscité par une lectrice qui proclama mon nom à ses nombreux abonnés.  Ainsi, mes Norsmtih obtinrent vite une petite audience, puis d’autres de mes textes après lui, au point qu’aujourd’hui l’ensemble de mes essais et récits ont totalisé 30 000 vues – ce qui inclut, il faut bien le préciser, mes propres vues.

Bien des commentaires pertinents aussi, et quelques amitiés nouées avec des lecteurs et des auteurs soigneux et intelligents, mais rares. L’avantage de Wattpad, si on a le temps, c’est de permettre de dénicher, par profils interposés, des écrivains auxquels sont abonnés d’autres écrivains que vous jugez admirables ou d’un certain talent – ceci n’est rendu possible, bien entendu, qu’à condition que l’écrivain en question ne rende pas systématiquement les « honneurs » qu’on lui fait en s’abonnant en retour à n’importe quel sot, ce qui n’est pas fréquent – ; de sorte que par similitudes de goûts et par affinités littéraires vous faites assez fluidement d’assez bonnes découvertes, parfois même des découvertes d’amateurs qui valent infiniment mieux, et d’une façon plus que flagrante, que la grande majorité des professionnels publiés aujourd’hui et exposés sur des étals marchands.

Ainsi reçus-je et distribuai-je quelques bons conseils : cela prend un temps considérable et n’en vaut pas toujours la peine – bien des auteurs se courroucent de vos commentaires même argumentés –, mais c’est parfois agréable et réconfortant, pour un pauvre hère comme moi, de se savoir entouré par quelques âmes au milieu de tant de machines automatiques et écervelées. Plaire est pour moi une vertu aussi bien qu’admirer ceux qui le méritent, et cela rassure un peu de se sentir approché de véritables êtres humains et qui pâtissent peut-être, eux-aussi plus ou moins de leur solitude sans se croire obligé d’adhérer à des foules idiotes et vaines.

Pourtant les concours sur Wattpad ne valent pas mieux qu’ailleurs – bien que j’en aie gagné (quand faudra-t-il donc que j’arrête de me justifier ainsi pour qu’on cesse de penser que je ne m’exprime peut-être que par amertume ?!) –, et il serait terriblement décevant d’espérer de grosses influences lorsque vous écrivez avec minutie : c’est en vérité tout à fait une niche que celle des écrivains travailleurs et méticuleux, on doit en avoir bien conscience ; ils sont peu lus, le lecteur moyen les jugeant casse-têtes et raseurs. Et pourtant, si on y réfléchit, même en admettant qu’il s’agit là d’une case toute particulière, aucun éditeur à ma connaissance ne les propose, de sorte qu’on est en droit de penser qu’à eux tous les lecteurs avides d’un peu d’art et d’effort constitueraient tout de même une jolie foule à la fin ! Mais niet : les éditeurs préfèrent assurer de la racole ordinaire et largement représentée d’autres parts ; c’est qu’ils craignent plus l’originalité que la concurrence, même si, dans chaque cas, ils risquent aussi bien l’échec et la ruine !

Ainsi, tout considéré, Wattpad m’offrit l’opportunité de quelques belles rencontres et de débats denses, ainsi que l’occasion de comprendre par l’expérience le niveau d’attention général de mes contemporains plutôt que par la théorie (mais les deux se sont globalement trouvés en adéquation) ; pour autant, il faut admettre que Wattpad ne rapporte rien financièrement et coûte du temps (et ce temps vaut toujours bien, après tout, quelque argent !) : car j’ai vérifié, presque tous les auteurs qui s’y disent publiés ou « sous contrat d’édition » ne figurent que dans des catalogues numériques où ils vendent sans doute très peu et sont à peu près exploités comme des nègres (le mot s’entend de toutes les façons). Par ailleurs, même les textes les plus lus, ceux dont les auteurs ont œuvré avec un racolage des plus intensifs pour obtenir un maximum de votes, atteignant grâce à ce travail à plein temps plusieurs millions de vues d’imbéciles, ne sont généralement pas contactés par des éditeurs qui estiment sans doute, et ce n’est pas illogique, qu’ils ont déjà rencontré toute leur audience gratuitement sur Internet et que, par conséquent, leur édition n’a plus guère à rapporter compte tenu de la durée de vie de – disons – « certains » livres.

Et donc, de ce seul point de vue professionnel et financier, Wattpad – bien que j’y sois toujours – est encore une impasse.

Ainsi, plus qu’une solution, après ça...

(Mais calmez-vous donc : vous voyez des projets de suicide partout !)

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Commentaires
C
Oui, les interactions proposées sur ce site d'écriture sont attrayantes... Et il y existe tout de même sur Wattpad une communauté d'auteurs intéressante : de rares plumes aguerries certes, mais aussi quelques jeunes plumes qui ne demandent qu'à s'aiguiser, maître War... ;-)
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H
Mes excuses, j'ai tardé à vous répondre ; je n'avais pas vu l'onglet "commentaires en attente de validation" que j'ignorais. Vous me faites bien plaisir !
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H
Oui, c'est bien juste.
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V
En tous cas ce fut un progrès déjà : passé de seul avec tes textes à Wattpad, tu as pu être lu et commenté, et apprécié.
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