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Henry War
27 juin 2019

Hydratez-vous !

Je tiens les messages actuels de prévention contre la canicule un symptôme caractéristique de la faiblesse morale de notre société mièvre. J’ignore combien il coûte de les fabriquer et diffuser, mais on les trouve sur tous les supports, et puisqu’ils sont censés arranger quelque Ministère, on est fondés à croire que, s’ils sont offerts par les chaînes de télévision et de radio, ils donnent alors lieu à des contreparties dont on ne connaît pas la teneur mais qui, par-devers nous, ressembleront fort tôt ou tard à quelque essence plus ou moins dissimulée de corruption.

Il faut que je m’explique.

La chaleur, même forte, je crois, n’est pas un phénomène récent – je ne m’étendrai pas, rassurez-vous, sur l’argument rebattu, mais juste peut-être, stipulant qu’on s’inquiète toujours excessivement quand il fait un peu chaud ou légèrement froid dans notre pays, ni sur le constat que nos citoyens et infrastructures sont difficilement capables de s’adapter à des conditions de température relativement rares (j’écris « relativement » en ce que tous les étés connaissent un épisode de canicule et tous les hivers des circonstances neigeuses – mais il faudrait qu’un gouvernement dépense de l’argent pour s’en souvenir, c’est-à-dire pour en tenir compte l’année suivante, raison pour laquelle on préfère en rester à une sorte de fatalité noyée d’amnésie en réalité très opportune). De tous temps, quand il fait chaud, on se rafraîchit et on boit ; et je ne crois pas mon espèce assez dénaturée, assez vile et dégénérée, pour avoir oublié que l’eau « soulage de la soif ». Ouvrir ses fenêtres quand il fait frais, et fermer ses volets quand la température devient plus élevée à l’extérieur que dedans : ceci relève-t-il d’une telle sapience qu’il soit nécessaire de le rappeler, même à des enfants idiots ? J’ai beau promener mon esprit sur des comparaisons d’un même ordre, j’en arrive toujours à cette allégorie scabreuse d’un institut public qui vous conseillerait de ne pas décharger comme un fou sur la selle en période de constipation au prétexte que cela peut favoriser les risques d’anévrisme du cerveau : faut-il le souligner encore ? Que les plages soient un lieu de danger à certaines heures où la chaleur est torride, que les protections solaires ont quelque intérêt pour éviter la combustion spontanée et la desquamation partielle ou totale de votre enveloppe corporelle, et qu’il présente un risque à s’aventurer sans transition dans une eau froide quand vous avez été exposé à une température élevée… le répéter, n’est-ce pas se moquer du monde ? Mais savez-vous que, pareillement, si vous cessez de respirer pendant plusieurs minutes, vous encourrez un danger de suffocation ? Par ailleurs, les cheminées brûlent, savez-vous ? soyez assez prudents pour ne point vous y aller jeter. Et aussi, gardez-vous bien d’enfoncer une lame dans quelque partie de votre anatomie que ce soit, même pour jouer, attendu que cela cause souvent des saignements qui sont quelquefois mortels… Et caetera.

Je ne sache pas qu’un seul téléspectateur, qu’un seul auditeur puisse raisonnablement se dire, après avoir écouté de tels messages : « Tiens, c’est vrai ! je n’ai pas bu hier, on fait bien de me le dire ! je crois que j’aurais encore oublié aujourd’hui ! » Existe-t-il vraiment de ces gens qui, au moment de ces clips « d’information », se précipitent plus ou moins sur un verre d’eau en songeant que ce rappel les a peut-être sauvés du malaise ? J’en doute, mais ma femme, qui présume apparemment plus que moi de la bêtise de nos contemporains, n’est pas d’accord avec moi et suppose qu’il y a des individus négligents qui se souviennent tout à coup qu’il fait trois jours que leurs parents nonagénaires n’ont curieusement pas donné de nouvelles. C’est possible après tout, mais c’est à désespérer alors du genre humain, et j’aurais à dire que si de telles personnes décèdent de leur vacuité, il n’en coûtera pas une grande perte pour la société dans son ensemble.

On l’a compris, je suis un peu nazi au fond de moi, et je ne me soucie de la vie humaine qu’en fonction de sa valeur individuelle. Quelqu’un qui meurt sur une plage d’été étendu en plein soleil de canicule, brûlé, déshydraté et hydrocuté par la marée montante, ne m’inspire – je ne regrette qu’à peine de l’écrire – aucune pitié ni aucune sympathie : que cette carcasse soit enlevée de là, et qu’on n’en parle plus ! il y a bien assez de chômeurs pour penser que le métier de cet individu servira à quelqu’un d’autre. – Mais au fait, je suis pris d’un doute bien tardif : ai-je vraiment le droit de déclarer que je suis « un peu nazi » ?

N’importe : je m’en tiendrai, par optimisme et jusqu’à preuve du contraire, à affirmer que ces campagnes d’information sont ridicules, inutiles et dégradantes pour ceux à qui elles s’adressent. Pourquoi les organiser et les financer alors, demandera-t-on ? Pourquoi risquer l’argent de la nation pour de pareilles futilités ? Mais : pour ne pas être accusé, comme il y a plusieurs années, de n’avoir pas prévenu les gens et d’avoir été estimé en cela responsable de quelque chose : il vaut mieux infantiliser ses citoyens et montrer avec assez de hauteur qu’on les considère comme des imbéciles plutôt que d’endurer la réprobation et les procès de ne pas leur avoir dit qu’une piscine peut noyer celui qui ne sait pas nager – on agit pareillement pour expliquer comme il convient de se laver les mains en périodes de contagion, mais c’est l’État qui, en pareille occasion, se « lave les mains » de tout ce qu’on pourra ensuite dire de lui ! « Vous êtes informés, nous dit-on, vous ne pourrez pas prétendre que nous n’avons pas fait notre travail ! »… et quel travail ! Il est vraiment nécessaire de payer des ministres et des hauts fonctionnaires au prix qu’on sait (non : qu’on ne sait pas !) pour arborer des informations que le moindre enfant sait déjà ! Et à présent, on vous indique semblablement sur des bouteilles de désherbant que c’est mieux de ne pas en boire au goulot, et l’on vous précise sur votre paquet de cigarettes qu’il y a quelque incommodité pour le moins à faire entrer de la fumée dans vos poumons, et l’on vous indique sur la notice de votre four que si vous pouviez vous abstenir d’y faire sécher votre animal de compagnie etc.

Le pire là-dedans consiste peut-être en cette atmosphère de précaution lénifiante dont on entoure tous ces dispositifs : on fait cela « pour vous », on a « souci de votre santé », on « s’inquiète de votre bien-être », les amis – mon cul : on prévient une plainte collective, on se prémunit contre une accusation de négligence et de vice de forme ! le tout, dans un climat de fausse sollicitude assez exécrable dont tous les médias sont complices ! Car enfin, je le répète, le psychologue le plus piètre devine que ces campagnes sont vaines, que personne ne va soudain s’apercevoir qu’il faut s’hydrater quand il fait chaud, au même titre que le furent les campagnes incitant au port de la ceinture de sécurité (c’est seulement la contrainte des contraventions qui a permis de diminuer le nombre de « déparebrisés ») ; mais un vent d’attitudes, de paraître, de moraline règne sur toutes ces politiques ; on veut seulement se donner bonne conscience et rappeler qu’on est « du côté de la vie », sans songer si les vies ainsi potentiellement épargnées auraient du mérite à perdurer – et dans le même temps cette prétention à la santé n’empêchera pas d’obliger les français à travailler plus longtemps : on voit toute l’hypocrisie évidente ! Parce que plusieurs milliers de vieillards sont morts en 2003 un peu avant le temps que leur organisme avait prévu, on met en branle des dépenses excessives et tout un appareil de communication, comme si au fond nos urgences n’étaient pas encore plus débordées qu’à cette époque faute de moyens, et comme si nos Ehpad traitaient aujourd’hui leurs pensionnaires bien différemment et mieux qu’ils ne le faisaient alors ! On ne change rien avec des vœux pieux, on parvient seulement à comprimer le présent au nom du passé et à instaurer un régime d’irresponsables qu’on bafoue – mais un ministre se sent dédouané : il a fait son dû, à ce qu’il prétendra et à ce qu’il paraît.

Pourtant, son devoir n’est pas, à ce que je crois, moi, de se garder de toute plainte à venir pour feindre qu’il n’a rien à se reprocher ; ce n’est pas ainsi qu’on fait, qu’on agit. Il fait chaud, des imbéciles meurent ou bien, plus tristement, des gens qui n’ont pas de quoi se défendre de la canicule : est-ce bien l’objet d’une digne politique que d’informer comme on doit « se rafraîchir » et « éviter la consommation d’alcool », et ne faudrait-il pas plutôt rendre les citoyens plus instruits ou moins misérables ? A-t-on eu une riche idée de reporter le brevet des collèges, et ne croit-on pas qu’on pourrait enfin rendre nos établissements scolaires isolés et présentables, depuis le temps qu’on en parle ? J’enrage assez, je l’avoue, de ce suave sirop qui nous inonde et qu’on ne veut pas toujours voir par crainte légitime de se sentir méprisé : je ne le vois que trop, moi, et ce goût prétendu et affiché de tous (et pas seulement de nos élus) pour quelque gros « respect universel » s’accorde mal, à ce que je trouve, avec le déni patent qu’on fait de notre individualité et de notre faculté de penser. Le jour où « j’aimerai » tant mes parents que je leur enjoindrai avec « bienveillance » de se laver les mains, de s’hydrater ou au contraire de mettre des vêtements chauds, je crois que cela ressemblera tant à s’y méprendre à de la condescendance et du dégoût que c’en sera, c’est-à-dire en vérité que mon sentiment se situera à quelque extrémité située exactement à l’opposé de l’amour, de cet amour fervent qui prend soin seulement, et avec passion alors, de – ce qu’il admire.

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