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Henry War
24 août 2020

Erotisme

J’aime à susciter des émotions variées, puissantes, rares, difficiles, et comme je me fais perpétuellement un défi de les retranscrire, je songeais, depuis assez longtemps, à dépeindre l’émoi sexuel, l’une des plus vigoureuses et incoercibles manifestations de passions, ambiguë et complexe.

Et, à vrai dire, je n’en retrouve rien ou presque d’intéressant dans la littérature. C’est peut-être que j’ai mal cherché – il est vrai que j’ai bien d’autres livres à lire et que ma poursuite de tels textes ne saurait s’apparenter du tout à une quête –, cependant je suis ressorti déçu de tout ce que j’ai lu en la matière, même des « audacieux » Sade, Lawrence et Nabokov : le premier, dans ses maniaqueries volontairement perverses et excessives, échoue tout à fait à tracer les linéaments de l’excitation sexuelle normale ; le deuxième, d’une prose si maniérée et éthérée, atteint quelquefois à un ridicule, à une déconnexion si extraordinaire du tangible que c’en est plus comique que crédible ou excitant ; le dernier manque manifestement à documenter la question subversive qu’il semblait se proposer si bravement d’explorer, retombant par là-même en rodomont et en échoué.

En particulier, je prétends que, ces dernières années, l’émergence d’une littérature dite « érotique », et populaire, n’a fait que frustrer ou abêtir un vrai lectorat avide de profondeurs. J’ignore précisément par quel vice intellectuel de notre époque sont venus, chez l’adulte ordinaire, cet engouement et cette mode du « paprika », cette épice si appauvrie qu’elle en mérite à peine le nom ; il y a, au contenu de ce pseudo-« acoquinage » si sage, trop de sentiments ternes, d’approximations intérieures, de superficialités puériles, de lâches représentations – en somme, autant de relations qu’on regarde de loin sans les vivre et dont il faut remplacer tous les creux d’imprécision, d’incompétence et de couardise par des imaginations personnelles que le récit n’a même pas su suggérer : c’est pudibond et « bourgeois », du vernis à l’américaine pour épouses de pasteurs, et, plus inexcusable encore, ça me semble, au surplus, très insincère, comme si ces auteurs intéressés surtout commercialement, et plus souvent des auteurs femmes, n’avaient cherché qu’à complaire, selon leurs suppositions, aux attentes de leurs « fans », un public en cela méprisé, négligé et stéréotypé ; on l’a même, ce public – crime tout à fait impardonnable pour moi –, accoutumé à des dilutions et à des faux-semblants, au point que ces artifices sont tout ce qu’il en est venu à attendre et à apprécier. Or, on peut manifestement évoquer beaucoup de sexualité sans jamais exprimer un peu de ce dont il s’agit : on voit là des marionnettes, on remplace leur personnalité inexistante par la nôtre, et on crée ainsi des fantasmes universels fort éloignés de la matière du livre et qui tiennent plus du lecteur désœuvré que de la faculté artiste de l’auteur ; le moindre film porno, à mon avis, vaut mieux que cela parce qu’il montre vraiment, lui, même s’il ne représente qu’une réalité anatomique sans rendre compte, ou bien très mal ou rarement, des émotions sensuelles de ses « protagonistes ».

On prétend que ces livres recèlent au moins l’avantage de n’être pas vulgaires : c’est vrai sans aucun doute, car comme il n’y est pas même question de sexualité, on n’y prend aucun risque d’y figurer des réalités triviales et dérangeantes, ni bruit, ni toucher, ni odeur effective et rendue dans quelqu’une de leurs dimensions humaines. Ces « romance » symbolisent en cela la disparition du sentiment de l’intime en littérature, tout y est simplifications, évidences, d’un lissage policé, sans aspérité de style, avec de purs êtres de papier – des « types » automatiques et invraisemblables –, et, pire encore, tout ceci prétend à l’étincelle de la transgression, mais une transgression si bon marché, comme autrefois les SAS dont les hommes parcouraient les niaiseries subliminalement érotiques sans vergogne sur les plages des vacances, que c’en est à désespérer de seulement vouloir faire connaître la véritable valeur amorale des choses et des êtres ! La femme qui, à travers cela, y « apprendrait l’amour » serait d’une très déplorable et catastrophique virginité d’expérience et de caractère. Brrh ! une telle personne existe plus que certainement, mais il m’effraie qu’une seule puisse exister : c’est que, à ce qu’il me semble, c’est à peine humain d’être encore aussi vide passé un certain âge !

J’écrirai peut-être un jour un roman vaste et troublant de l’exploration sexuelle, où le défi de l’ineffable rencontrerait en moi le goût de l’intimité et de la recherche d’une absoluité morale. Mais pour cela, je m’y prendrais d’une toute autre manière que ces racoleuses et frêles pimbêches : je me servirais premièrement de ce qu’il y a de plus empirique et pratique dans le désir et le plaisir, et après seulement j’y fonderais une intrigue, de sorte qu’à la différence de leurs ouvrages tout n’y serait pas théorique, et abstrait, et futile, et dérisoire. Je n’y introduirais certainement pas un mauvais garçon déséquilibré en mal chronique de rédemption ni une demi-pudique inactive et multiconsentante – autant de profils qui, on en conviendra au moins à défaut du reste, ne tirent guère avantage de leur probabilité pour induire un sentiment d’honnête réalisme –, et il me faudra pousser l’effort de style jusqu’à transposer, dans une langue lascive, tantôt vulgaire et tantôt précieuse, pleine de chaudes concrétudes et de sous-entendus éloquents et grisants, l’affolement de la tension d’expectative et la jouissance explicite des contacts à travers toutes leurs variétés. Ce serait, alors, une œuvre de la sensualité, au lieu de n’être qu’une exposition plate, convenue et aux vertus tout imaginaires – je voudrais, en somme, qu’on sentît physiquement l’émoi plutôt même que de se l’imaginer. Le mélange de représentations tangibles et de suggestions affolantes voudrait servir toutes les réalités, physiques et psychologiques, de la sexualité… mais, certes, ce seraient peut-être encore seulement des réalités masculines que j’y induis, plutôt que féminines – je ne sais : il est si difficile, en la matière, de se représenter avec un autre sexe que le sien ; c’est presque tout à fait, à vrai dire, comme tâcher de s’imaginer un sens supplémentaire ! Les lectrices se prononceraient, si elles le voulaient et l’osaient bien, sur la manière plus ou moins forte avec laquelle ce texte trouverait une incarnation en elle, produisant notamment (ou non) cet enivrement particulier, cette légère oblitération de l’esprit qui caractérise, quel que soit le genre, le premier seuil du désir. Mais je ne nie pas nos différences : chez elles, je crois savoir que l’assomption de l’épanouissement sexuel est un phénomène plus récent et plus complexe que chez l’homme, et qu’il s’y mêle, outre les conséquences psychologiques d’une physiologie fort distincte, une histoire sociale du rapport à la domination où perdurent certains atavismes marquants. La pensée féminine, qui détermine inévitablement les caractéristiques de sa relation au corps, rencontre probablement davantage que celle de l’homme les sentiments de rivalité, d’inhibition, de crainte, de calcul et d’introspection de toutes sortes, au point que, par exemple, il n’est à peu près qu’une femme pour ressentir de l’excitation liée non à tel acte de la sexualité mais à ce qu’elle se « regarde » en train de le commettre et s’allégorise ce que cela suppose de sa liberté, de sa force, de sa féminité, ou de sa capacité aux transgressions ; tandis que les hommes, eux, n’ont pas tant de ces plaisirs « de tête » : leur corps prédomine, presque tout leur est sensations immédiates.

Il y aurait encore beaucoup à dire – à faire hurler de scandale, sans doute – sur les fines et multiples disparités inavouées qui, quant à l’appréhension des rapports physiques, opposent hommes et femmes, mais ce qui est déjà écrit suffira probablement à une littérature abondante, en commentaires, de dénis et d’insultes : c’est que notre siècle ne permet pas qu’un sexe puisse avoir raison quant à la description de l’autre sexe, et les femmes en particulier, qui d’abord ne se reconnaissent pas toujours ce qu’elles sont, en général n’acceptent pas non plus facilement qu’on les expose, quand une si grande part de leurs défenses se situent justement dans leurs dissimulations et leur habileté à ne pas être démasquées. On peut comprendre une femme, oui, mais la révéler est toujours pour elle une trahison : plutôt réfuter l’indéniable, et c’est tout son rapport à la vérité qui, petit à petit, peut s’altérer à ce jeu… Mais…

Mais voyez, j’allais encore faire dans la polémique, et… à quoi bon, en l’occurrence ? J’écrirai peut-être encore un autre ouvrage qu’on qualifiera de tapageur et d’injuste où j’oserai décrire toute la femme pour la libérer – car celles qui ne nieront point seront forcées, ainsi extériorisées d’évidence, de s’épanouir en admettant ce qu’elles sont et en se transfigurant alors, mais je sais déjà qu’on le jugera tout formé de frustrations et de mauvaise foi, de ressentiments honteux et de colères rentrées, et on me fera, à moi, le procès de misogynie (moi qui suis, par-delà, si ouvertement misanthrope, moi qui déteste tant les hommes !), de ce sexisme éclairé dont on a fait un délit, de cette imbécile accusation d’« incitation à la haine » qu’on croit pouvoir porter même aux plus grands adorateurs des femmes et des hommes possibles, comprenant tout de travers comme d’habitude, résistant à admettre les vérités les plus éclatantes au-delà des piètres consensus de foule, et refusant, décidément et par doucereuse routine, à se trouver édifier pour tout ce qui touche aux plus nécessaires et importantes choses de la vie.

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