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Henry War
5 juillet 2023

Le Contemporain est un certain Allemand de Paul Valéry

« Nous croyons que chaque méthode d’État se fait les hommes qu’elle mérite, et nous n’envions pas le type d’homme que le système prussien a imposé à l’Allemagne, qui s’efforce de l’imposer à toute l’Europe. » (in« Économie de guerre de l’esprit ») : parole hardie de Paul Valéry en 1939, qui s’inquiète du type spirituel qu’a développé le nazisme, au commencement de la guerre. Ce penseur ne cesse de déplorer l’affaiblissement des ressources de l’intelligence et de l’art, lui qui aimait premièrement à vivre dans la solitude anonyme et sans influence. Qui oserait prétendre aujourd’hui qu’il avait tort de fustiger l’incarnation du citoyen de la dictature, que, cependant, il percevait latent dans la figure même de son compatriote ? « Les moyens de possession et de jouissance, l’incohérence imposée par la fréquence et la facilité des impressions, la vulgarisation immédiate et l’application aux productions, aux évaluations et à la consommation des fruits de l’esprit, de méthodes industrielles, finissent par altérer les vertus intellectuelles les plus élevées et les plus importantes : l’attention la puissance méditative et critique. » (in « Notre destin et les lettres ») – c’est ici de son contemporain français qu’il parle. Ou encore : « Jamais le système général de l’existence n’a pesé si fortement sur les hommes, les réduisant […] à l’état de produits d’une certaine organisation qui tend à les rendre aussi semblables que possibles jusque dans leurs goûts et dans leurs divertissements. Nous sommes des esclaves d’un fonctionnement dont les gênes ne cessent de croître. » (in « Au sujet de la dictature ») : Valéry remarque une tendance humaine, française puisque assumée par « nous » ; or, cette tendance, à quoi paraît-elle confiner, sinon d’une manière étrange et embarrassante, à un certain « type d’homme » que l’auteur dénonce dans la première citation ? Il faut poursuivre, et chercher à approfondir enfin : quel est donc ce type d’homme issu du « système prussien » et qui tendait à « s’imposer à toute l’Europe » ? – un trouble, un malaise, quelque pressentiment d’horreur nous saisit, et nous n’osons entendre les implications d’une sorte de « confusion » qui nous émeut… Il faut, pour lever l’inquiétude, prolonger la citation initiale :

« Contre cet excès mortel d’une discipline dont le but idéal est la passivité généralisée, nos forces se sont dressées. » Oui, il y a bien de la « discipline » dans le nazisme, mais pour la « passivité généralisée », ne sommes-nous pas fort à plaindre et à déplorer ?... Continuer, quérir des rassurements : « En regard d’une moitié de l’Europe terriblement appauvrie quant à la culture, sous-alimentée à l’extrême en fait de nourriture spirituelle, longuement privée de libre philosophie, de science pure, de littérature et d’art désintéressés,… » – le trouble se prolonge : de qui Valéry parle-t-il ici ? De la France ? De l’Allemagne ? La suite : – « … songez à ce que pourra représenter notre Europe de l’Ouest, France et Angleterre. » – Ah ! c’était donc bien l’Allemagne, cette moitié sans culture ! En sommes-nous tant soulagés ? car enfin, le doute, le vertigineux doute, à présent… L’analogie où nous avons été confondus un moment…

Songez-y à présent, à plein, droit dans les yeux, avec toute la distance et la franchise que ce doute a immiscé en vous : ce nazi autrefois combattu fièrement, ce type d’homme passif, appauvri de culture, privé de libre philosophie… altéré dans ses vertus intellectuelles, esclave d’une certaine organisation… Allons, Messieurs, mais… nous sommes ce nazi ! Il faut se rendre à l’évidence : nous n’avons pas triomphé de lui, nous n’avons pas mis un terme à son existence, nous ne l’avons pas anéanti ; le nazi a continué à se développer parce qu’il avait déjà ses germes dans notre société comme l’expliquait si clairement Valéry dans ses textes antérieurs, le nazi avait simplement de l’avance sur notre temps et sur nos mœurs, et il s’est bel et bien généralisé : car rien de plus comparable à un nazi de 1939 étonnant, révoltant pour Valéry et peut-être pour Valéry seul, qu’un citoyen contemporain, quelques circonstances de doctrine et de parti mises à part.

Alors, quelles « forces » se « dresseront » contre lui ? Nous voici, là, étrangement placés – du mauvais côté…

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