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Henry War
9 juillet 2023

Être malade détourne du tracas

J’ai parfois constaté que les personnes angoissées par la santé, quand elles ont un tracas, somatisent à l’excès jusqu’à se rendre physiquement malades. Or, avec un peu d’« inhumanité » saine comme moi, on peut raisonnablement s’interroger si ce n’est pas par opportunisme, car qu’advient-il alors sous l’effet de cette maladie ? Il advient que le tracas se trouve déplacé : la préoccupation se porte bientôt sur la mauvaise santé et se détourne du tracas, ne serait-ce que parce qu’on ne s’estime plus en capacité de gérer le tracas. Cette maladie est peut-être, à bien réfléchir, une façon plus ou moins inconsciente de se débarrasser tout ensemble d’un trouble et d’un devoir d’agir, en somme d’une difficulté : le problème de la situation initiale est en effet largement relégué derrière le problème de santé, au point que le malade peut prétendre sous ce prétexte et sans honte que le tracas originel n’a plus tant d’importance et qu’il lui faut résoudre la santé en priorité. Par ailleurs, un autre avantage se découvre en ceci que « l’arrêt maladie » est quelquefois une manière d’exprimer une vexation et de faire culpabiliser quelqu’un : on fait ainsi bien voir à l’auteur de la gêne que le médecin, ce prêtre auquel on attribue pour fonction « l’objectivité » (la mauvaise santé est toujours supposée un « fait scientifique », et jamais on ne remet en cause le diagnostic médical), est de son côté, façon d’établir l’adversaire dans le camp de la nuisance et donc du mal (à défaut de ce diagnostic, on pourrait pleurer publiquement ou se forcer à perdre du poids ou à manquer de sommeil).

Puis, la santé s’améliore ; après ce temps, l’urgence du tracas est souvent passée, et l’on on a pu s’y soustraire en se concentrant exclusivement sur la guérison : on se réveille alors plus ou moins de la maladie en s’apercevant que le problème est fini, avec le sentiment confortable qu’il s’est résolu tout seul ; en tous cas on n’a rien fait qu’être malade. On n’a point « œuvré » pour arranger l’affaire, on n’a guère peiné pour résoudre la situation de crise, on s’est contenté d’inspirer la compassion souvent pour que l’action d’autrui se substitue à la sienne, on s’est retiré du tracas, et l’on a tacitement délégué à un autre, pitoyable, le soin de trouver une solution au nom de la maladie qui rend trop faible pour s’y atteler en personne. Là, on se trouve au fond soulagé, ainsi perpétuellement et quoi qu’on clame, d’avoir trouvé ce système pratique pour ne jamais devoir s’efforcer de résoudre un problème, ce qui ne signifie pas encore que la maladie n’existe pas mais que sa sempiternelle et latente surrection est un gage de relative insouciance. Insouciance, la maladie ? Oui, et relative : c’est que ces psychosomatisations sont en général de faible gravité – migraines, dyspepsies, tension cardiaque, lombalgie, dérangement hormonal, douleurs localisées –, et tandis qu’elles ne réclament pour en sortir qu’un peu de médicaments et de repos, ce qui consiste bien en façon relativement agréable de s’abandonner à l’indolence (même l’enfant sait le bienfait à se laisser soigner), le tracas à l’origine, s’il avait fallu le traiter, eût nécessité de fermes résolutions et de braves remises en question individuelles, toutes sortes d’explications claires et d’actions hardies qui auraient été une manière active mais difficile de modifier sa structure mentale et de se confronter vraiment à la vie – tant d’engagements délicats – plutôt que mettre sa volonté en pause sous le soi-disant joug d’un mal qui, avantageusement, se produit toujours quand il y aurait enfin une chose à penser ou à faire. D’ailleurs, on constate, après son rétablissement, que le malade n’a pas porté remède à son tracas fondamental qui se reproduira probablement, que la teneur de ce tracas est conservée intacte et fut juste oubliée en ce que l’entourage a empêché le convalescent d’y porter son attention, de sorte que la mauvaise santé, chez ce Contemporain, est précisément l’indice du moment où il y avait pour une fois une évolution à opérer – mais c’est de nouveau une occasion manquée.

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