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Henry War
22 septembre 2023

Vice intrinsèque de notre Constitution

Le problème de notre Constitution telle qu’elle est pensée et rédigée est qu’elle n’incite pas le citoyen à s’élever, qu’elle ne lui donne pas d’essor, qu’aucun de ses articles ne contribue même indirectement à la pensée qu’une personne doit être d’abord une identité et un individu, qu’elle le conforte ainsi plutôt à la défausse de ses vertus propres, et qu’en somme on n’y trouve ni argument concret, ni exercice obligatoire, ni entretien de grandeur, par lequel le citoyen serait tenu ou même tenté de maintenir sa force contre n’importe quelle espèce de dictature à laquelle il se livrerait du fait de sa défaillance. Notre Constitution, qui, en pratique, n’impose au citoyen ni à s’engager pour la défense de sa propre grandeur, ni à valoriser le mérite des actions, ni à s’efforcer au travail excellent, ni seulement à bien élire ses représentants, se contente de garantir des droits qu’à terme le peuple ne sollicite plus et dont il ne se sert que pour asseoir ses caprices, comme de bêtes jurisprudences, mais elle ne saurait, en sa forme actuelle, assurer la hauteur de ce peuple à travers celle du particulier, ni le sauvegarder de la décrépitude issue de sa tendance à la grégarité, au confort, au divertissement, à la lâcheté, à la paresse, à l’imbécillité…

Une Constitution bien faite devrait veiller à induire à la lettre le mécanisme individuel d’un certain perfectionnement dont profite toute la société, de sorte que légalement elle confère un avantage à ceux qui agissent dans le sens de la vertu promue. Une bonne Constitution, active dans ses usages démocratiques c’est-à-dire qui imprègne le citoyen de manière qu’il aspire à se conformer à son esprit, commencerait par établir soigneusement les repères moraux qui font les principes de sa réalisation et qui conditionnent l’atteinte des résultats qu’elle envisage ; après seulement, elle pourvoirait à indiquer les moyens essentiels de l’incitation à devenir meilleur dans le sens plus ou moins précis qu’elle a fixé. C’est une simple cohérence qu’elle entretienne en l’individu par des applications réelles les vertus qu’en exergue elle se propose de plébisciter pour instituer la force d’un État neuf, au seuil de sa création ou de son renouvellement.

Or, dira-t-on que notre Constitution est le moindrement capable de défendre la grandeur humaine ? Mais elle est à peine capable de défendre la démocratie et les libertés civiles, comme on l’a constaté à l’occasion d’une paranoïa sur une maladie pas même très mortelle, où il fut question d’interdire déplacements et droit de vote ! Tout ce qui, dans cette Constitution, pousse au confort et exacerbe le désir personnel d’acquérir sans mérite et de conserver des avantages, en vérité conseille la dictature ou pousse à ses moyens d’oppression, et voilà pourquoi il n’est pas difficile de lui interpréter tous les prétextes qu’on veut au nom de la sécurité ou de la santé, parce que, à la lettre, il s’agit d’écrit d’une généralité qui n’a pas songé à poser des fondements moraux solides et vaillants. Il ne s’est agi que de vouloir « le bien » du peuple, sans conception claire de ce en quoi il consiste, de ce en quoi confine ce bien en un individu, sous l’égide seule d’une devise qui vaut à peu près un mauvais dicton, en laquelle on ne croit pas ou plutôt dont on n’entend les termes que comme symboles dénués d’autre importance, de sorte qu’on permet et même propose ce qui nuit à la puissance d’une personne, à son intelligence, à son initiative, à son progrès. À y regarder de près, c’est tout juste si la Constitution ne clame pas expressément que chaque citoyen dispose en son foyer d’une télévision pour l’abrutir, qu’il s’empêche de travailler et de penser aussi longtemps qu’il le peut, et qu’il s’abstienne de se mêler de politique sauf pour des détails relatifs à son bien-être et à sa vacuité mentale ; sans exagération, elle peut ainsi se résumer à une proposition principielle : « Contre le souci ! » Or, la pensée que chacun dans un pays doit se satisfaire de sa position et de son état, aspirer surtout à se sentir mieux, et se dégager de la peine des réflexions qui l’élèvent hors de la sphère commune, voilà qui n’est pas propre, au contraire, à offrir à une nation la garantie qu’elle ne sombre pas tôt ou tard dans une atrophie de ses forces au point de redevenir une terre primitive et de se plier au joug du premier tyran venu, celui notamment des promesses de davantage de plaisir et de quiétude. Notre Constitution ne fut pas écrite par des sages assemblés et patients, mais par des politiciens pressés et parfois cupides, gens qui n’avaient pas compris que la vigueur d’une démocratie ne réside pas tant dans la multiplicité des droits auxquels elle s’engage par écrit que dans la rigueur des mentalités du citoyen à laquelle elle prédispose : on s’est par elle contenté d’établir la forme perpétuelle d’un régime au lieu de garantir la perpétuation de la forme d’un esprit. C’en est au point qu’on peut fort imaginer en majorité un citoyen totalitaire ou monarchique au sein de nos institutions constitutionnelles : il n’y a pas contradiction, la Constitution ne s’oppose pas à une mentalité qui lui soit opposée puisqu’elle ne définit point, même en filigrane, celle à laquelle elle aspire. Et je crois que c’est à peu près où nous sommes rendus : le fanatisme prédominant des excuses du confort vaut contre tous semblants de vertus mâles que la Constitution évoque douceâtrement. On a déjà tué des citoyens dans notre démocratie pour épargner que d’autres se sentissent inquiétés par un virus bénin.

Nos mœurs se sont emparées d’une faiblesse non seulement permise mais favorisée par la Constitution : en plaçant plus ou moins implicitement le bonheur du citoyen au fondement de sa société, elle a plus ou moins indirectement indexé le caractère de chacun à cet abandon censé déterminer les priorités d’un peuple qui, dès lors, ne tend logiquement qu’à prétendre à sa réalisation égoïste ; en effet, il ne veut jamais être privé de ce que sa société permet, et refuse notamment d’en être privé contre les autres qui en bénéficient. Notre législation repose presque exclusivement, pour toute valeur, sur l’égalité et la délégation des pouvoirs : le citoyen est invité particulièrement à ne se charger de rien comme les autres ; dès lors, pourquoi s’abstiendrait-il de répondre par degrés à la définition commune d’un irresponsable ? Il est aisé de comprendre que le ver de sa turpitude était présent dans le fruit fondateur de son État, parce que cet État, au moment de sa profession de foi, n’avait pas su voir ou prévoir que la forme institutionnelle qu’il créait pour le peuple se départait presque absolument d’une injonction de valeurs d’une nature individuelle, et qu’elle s’éloignait de tout ce qui se conçoit sainement en matière de philosophie, à savoir le bénéfice d’une sorte d’exemple particulier ; c’était toujours l’État qui avait tel devoir garanti, et il suffisait au citoyen de vérifier l’effectivité de ces garanties dont le défaut devenait opposable en droit – toute déficience ne pouvait dès lors venir que de la législation ou de son application, pas des individus dont on n’avait pas songé à réclamer quelque chose au-delà des dix Commandements. Mais c’est nettement que cette attitude de réclamation continuelle réalise un esprit de profit et de chicane, processif, renonçant à devoir quoi que ce soit à autrui comme à soi-même : car le bonheur, la sécurité et la santé ne figurent-ils pas à la base et au sommet de la démocratie telle qu’elle s’est déclarée et instituée ? Ces bienfaits, la Constitution les garantit, mais par quelle proclamation essentielle garantit-elle le devoir du citoyen de se perfectionner dans ses facultés ? Où induit-elle-même tacitement que le citoyen failli est celui qui s’amenuise et se ridiculise au délassement incessant du confort ? Par quelle mesure y compris symbolique tâche-t-elle d’instaurer un égrégore de grandeur ? Où voit-on qu’elle annonce une coercition ou une limitation contre le rétrécissement progressif et exponentiel – asymptotique car tendant au zéro – de la volonté individuelle telle que nous la connaissons déplorablement depuis des décennies, ne serait-ce, à défaut de châtiment légal, que l’expression d’un mépris collectif ? Non, elle permet plutôt cette déchéance des mœurs dans la facilité, et même elle l’utilise et la favorise.

Notre Constitution n’a fait les choses que grossièrement, probablement dans l’urgence, selon une vision tout impersonnelle, sans égard ni soin pour le développement de l’individu, sans direction qui puisse servir de repère à quelque jugement légitime ou légal sur la grandeur d’un humain. On y lit de rares principes d’éthique si secondaires et universels qu’on ne saurait les considérer que comme de pures formalités pour donner un air d’ambition à un texte ampoulé, et lorsqu’on découvre par exemple le terme « travail », ce n’est toujours que pour désigner une profession, jamais pour vanter un effort, et quant au mot de « mérite », on y sent à peu près une moquerie, on rencontre combien il n’est pas fait pour donner lieu à des applications concrètes, à des lois, à des règlements ou à des usages, il n’est défini que par le proverbe et le dictionnaire. C’est ainsi que pour la valeur de l’être, pour son dépassement et sa gloire, il vaut parfois mieux une dictature sans Constitution : on a connu bien des nazis scrupuleux, méthodiques, rationnels et même créatifs, parce que le régime du IIIe Reich déterminait avec insistance une certaine morale de l’effort et récompensait beaucoup ; on ne connaît guère chez nous de citoyen, ni de ministre, d’une volonté plus que relative, parce que nos législatures ne font que promouvoir le plaisir au détriment des valeurs du mérite. Il y avait encore de l’art sous le régime soviétique des déportations et des goulags ; or, il fait plus de cent ans qu’ici l’art se résume à des gribouillages surestimés, à la vanité de Sartre et de Camus, à des essais rapides et accessibles, à trois prix nationaux littéraires, en somme à ce qu’on appelle aujourd’hui « culture ». Mais le citoyen de la République ne reçoit pas le désir ou l’intérêt, dans la forme même de son édifice social, de produire ses vertus, il est même devenu incapable de définir ce qu’il faut entendre par ce mot : il croit par exemple que la vertu est la promotion de l’égalité factuelle, ou de la tolérance même pour la déficience, ou de l’innocuité de toute pensée ou de tout propos. Bientôt si ce n’est déjà le cas, la vertu suprême consistera pour lui en tout ce qui rend aux gens de la tranquillité.

La Constitution a manqué, dès sa formulation, à sa mission la plus haute et nécessaire – nécessaire même, comme on le constate maintenant, à ne pas en renverser l’esprit –, à savoir : inciter la personne humaine à une élévation en indiquant des buts, au moins de façon générale et conceptuelle. Elle n’a consisté chez nous qu’en une somme d’articles de procédure, mais sans instruire la représentation d’un citoyen valeureux, ce qui n’était sans doute pas une si difficile gageure. Ainsi aujourd’hui le citoyen s’est-il plus que jamais offert à toutes les bêtises, à tous les jeux, à toutes les plaintes, il s’y adonne avec joie, il se vautre dans ce qu’il estime un apanage démocratique car il ne dispose pas d’un instituteur ferme pour le guider et lui faire honte comme y parviendrait peut-être une Constitution noble. Tous ses textes disent : « Ne vous inquiétez pas surtout. », et il s’y conforme parfaitement. Même, tous ses textes semblent lui dire : « La valeur suprême d’un citoyen, c’est son insouciance. », et il a goût, selon ces termes, à s’enfoncer dans l’attitude d’un extrêmement bon citoyen.

 

Post-scriptum :

Si toute Constitution expose les valeurs de l’État nouvellement créé qui la proclame, il existe au moins deux manières bien distinctes et même assez contraires de la concevoir et de la rédiger, qui correspondent à des mentalités différentes qui, du fait de la direction que prendront les lois particulières en suivant son esprit général, tendront de plus en plus à marquer le caractère du peuple.

La première se présente comme une simple offre de services et indique au citoyen ce que l’État lui permet s’ildécide d’y avoir recours. Une telle Constitution n’a qu’à rappeler et invoquer l’histoire de troubles communs pour fédérer un peuple et n’a pas besoin d’induire plus que l’esprit d’un devoir réciproque et purement principiel du citoyen et de son gouvernement. On rencontre ce modèle chez les Américains dont la Constitution procède d’une déclaration fameuse admettant la possibilité pour chacun de se révolter contre un gouvernement tyrannique, donc d’inspecter sans cesse la nature de son gouvernement, et notamment de posséder des armes et de former des milices. Un tel texte ne saurait donner à l’État une prérogative très nette sur l’individu, et même rappelle que l’individu est libre de consentir à la puissance de l’État ; tout au plus, il assure au citoyen le droit à la recherche du bonheur, qu’il le trouve ou non. C’est le propre d’une Constitution libérale de produire des hommes comme Henry Thoreau qui souligne qu’en théorie l’individu a le droit d’ignorer l’État – et si ce n’est que théorique, c’est néanmoins explicite. Et en pratique, un Américain ne réclame presque rien de son gouvernement, il garde une assez grande autonomie et compte surtout sur lui-même, quoique dans un pays régi par une telle Constitution presque tout se monnaie hormis ce qui relève de la plus étroite sauvegarde et qui se rappelle à l’individu sous la forme d’une parole d’honneur. Seulement, le citoyen y est plus libre, et, la Constitution ne servant qu’à établir des règles de principe pour organiser la société, il exprime sa liberté en limitant la force de son gouvernement, et c’est par sa farouche indépendance qu’il entend faire respecter essentiellement sa citoyenneté.

Le second se présente comme une garantie de confort et indique au citoyen ce que le droit permet d’obtenir de l’État, et de façon opposable et processive. Une telle Constitution manque souvent d’une force cohésive tirée de l’histoire, alors elle y supplée par des promesses d’avantages pour ceux qui lui obéiraient : elle induit les devoirs du bon citoyen en contrepartie desquels il bénéficiera de faveurs de l’État – le citoyen y est subordonné au gouvernement, mais il doit entendre que c’est non seulement pour son bien mais pour son grand profit. On trouve ce modèle chez les Français dont la Constitution procède de multiples changements de régimes dont il fallut favoriser chaque fois les transitions plus ou moins difficiles par la dispense de maints services et gratuités, comme les écoles, l’hôpital, les congés payés et les minima sociaux. Mais l’État entend tacitement que ses règles soient respectées, c’est pourquoi il les multiplie : c’est sa façon non de permettre la recherche du bonheur mais dont il prétend le garantir. C’est le propre d’une telle Constitution parlementaire et conditionnelle de produire des hommes comme Jean-Paul Sartre qui, tout en arguant que l’individu est libre, le subordonne entièrement à la morale sociale et que représente le gouvernement. En pratique, un Français exige beaucoup de son gouvernement, dépend de lui pour presque tout, même s’il paye pour peu de choses car il les a déjà payées par l’intermédiaire de l’impôt. Seulement, le citoyen y est moins libre, et la Constitution sert comme contrat pour lui rappeler que, comme elle prend largement en charge son existence, il n’a pas à se plaindre et doit de s’en remettre tout entier et avec reconnaissance à son pouvoir ; sa liberté, dès lors, s’exerce surtout pour réclamer son « dû », et c’est ainsi tout passivement qu’il entend faire valoir sa citoyenneté.

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