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Henry War
27 avril 2024

Associer son domicile aux vacances

            C’est notablement parce qu’aux jours de congés ils partent, qu’ils ne savent associer leur domicile aux vacances.

Un homme fait construire une maison pour y être à l’aise et s’en contenter au temps où son métier ne l’accaparera pas – bâtiment important, crédit conséquent. Sa femme, élevée dans la tradition, à la première occasion réclame d’en sortir : il n’a guère pas pu en jouir que le voilà déjà sur des routes à quérir des villégiatures moins confortables. Chacun en prend l’habitude. À la fin, il ne viendrait à l’esprit de personne que la quiétude puisse se rencontrer chez soi : il faut circuler, résider ailleurs, investir d’autres places. L’amalgame est né, installé : le foyer n’est pas l’endroit du repos reconstituant, c’est encore une sorte de lieu de travail, comme un bureau ou son rappel, qui ne permet pas d’échapper à des pensées déplaisantes, de s’évader, comme ils disent. Chez soi, décidément, on n’est pas, on ne peut pas être, en vacances.

La meilleure façon sans doute de ne point se faire à de pareils usages est d’y renoncer tôt. Alors, on verrait dans le confort domestique la justification d’une belle et spacieuse maison, au lieu d’en construire de si laides comme c’est devenu ordinaire parce qu’on ne l’admet qu’un lieu de résidence. On songerait, à l’approche des vacances : « Il me plaira bien de renouer avec ces murs et ce jardin que souvent je traverse sans y prendre le loisir de l’ennui, de sorte qu’aux heures de soleil j’élirai ce charmant carré de verdure qui m’appartient, et qu’aux temps de pluie je renouerai avec les meubles délassants qui font mon quotidien décor. »

Mais on doit voir que le Contemporain se lasse même de paresse et de divertissement. Je ne lui ressemble pas, car je n’ai presque jamais l’avantage, tant j’écris fréquemment et avec peine, de manquer d’une idée à accomplir en guise de travail : je ne peux ainsi tout à fait vivre la sorte d’exaspération gâtée qu’on tire d’une longue et ennuyeuse inactivité qui devient même une souffrance, et il me semble que toute ma vie pourrait se situer entre un repos au soleil et l’écriture des pensées que j’y aurais bientôt muries. Je n’ai jamais beaucoup rêvé à autre chose, je n’en ai pas eu le temps, je n’ai pu depuis longtemps épuiser deux jours de suite les bienfaits de ce farniente. Mon grand pavillon de lotissement en campagne, avec son extérieur à tondre, ne m’a jamais trouvé blasé ; j’ai toujours trop travaillé pour cesser d’y trouver un réconfort et pour que ce réconfort me lasse ; c’est pourquoi j’ai les plaisirs simples. Je suis un homme qui, parce qu’il œuvre beaucoup, ne trouve nul intérêt à varier ses délassements. Je n’ai jamais senti, ces dernières années, la sorte de découragement inquiet qui peut poindre à force de ne rien faire.

Mais même sans ce labeur, si j’y pense : j’aurais peut-être honte, après avoir construit sur une terre un édifice de cherté et de briques, de vouloir m’en dessaisir bientôt pour des lieux dérisoires, inconstants et ingrats. On passe chez nous toujours trop vite à autre chose : la course aux projets sempiternels et vains est un vice que, je crois, même un philosophe relativement désœuvré peut facilement concevoir. On doit garder un œil, y compris dans la jouissance, sur une certaine dignité de soi et sur la cohérence de ses aspirations, ou la vie est une évanescence et une fuite. Apprécier sa satisfaction qui dure, c’est garder le sens des réalités, et le caprice à vouloir partir est celui d’un esprit efféminé qui ignore son confort et se fuit : il me semble que j’y veillerais, même si j’étais en paix.

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