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Henry War
9 avril 2024

La confiance comme excuse et comme confort

Ce qu’on appelle communément « confiance » ne se formule qu’en regrets éplorés ou en aveuglements paresseux ; c’est toujours, en substance : « J’avais pourtant confiance en lui, en elle ! » ou : « Je ne m’efforce pas de sonder ses pensées : j’ai confiance. » Je prétends que toute confiance émane de la volonté de se donner un confort, qu’il s’agisse du beau rôle dans une situation où l’on se considère trompé ou du renoncement à instruire chez autrui des motifs et des questionnements – la position du Confiant est celle de quelqu’un qui ne doute jamais, qui ne rend jamais l’effort d’une interrogation. Cela ne signifie point qu’il ne sent pas réellement une confiance, mais que cette confiance est une transaction pour se soulager d’une culpabilité ou d’un travail : elle est toujours une excuse pour se sentir mieux, c’est une économie de soi ou un raccourci de la pensée. Avoir confiance permet d’éviter toute prospective réaliste en plaçant son esprit dans l’anticipation d’actions exclusivement favorables ; avoir eu confiance n’induit nullement de remettre en cause sa naïveté mais de se donner à soi-même une image avantageuse de victime – il est notable qu’on ne dit presque jamais qu’on a eu confiance en quelqu’un quand cette personne s’est comportée comme on l’avait supposé : on comprend ainsi que la conception de la confiance passée ne sert qu’à reporter la faute d’un « abuseur » (de confiance) contre une innocence presque sainte. On se dit « confiant » ; aussitôt on se sent bien : on appartient au bien.

La confiance véritable, tangible, objective, est celle qu’on éprouve pour la conséquence sûre de toutes actions dont l’épreuve n’est qu’une confirmation, une sorte d’évidence, comme la confiance en ce que le prochain pas touchera bien le sol ou celle qu’on accorde à nos sens pour déterminer la couleur et la forme des choses : cette confiance ferme et réelle ne nécessite pas d’oubli des attributs d’autrui ou d’oblitération de la réflexion, c’est un calcul de probabilité, assez automatisé et naturel, qui incite à penser et à croire – à savoir – que, dans la circonstance indiquée, tel événement ou phénomène va certainement se produire, dont l’occurrence n’est pas une surprise, dont la contradiction, au contraire, parce qu’on a confiance, serait une étonnante ou cuisante déconvenue.

Où la confiance véritable n’est pas du tout un pari risqué.

Sans doute n’est-ce pas la même confiance, arguera-t-on, parce qu’on change de registre quand on a confiance « en quelqu’un » plutôt que simplement pour des phénomènes : loin de révoquer ma théorie, cette distinction est la preuve qu’on fait un excès-pour-soi de l’usage de ce terme quand on l’utilise attaché à des émois. Il n’y a pas une confiance certaine des choses et une confiance instable des êtres, il n’existe pas d’une part la confiance qui signifie, appliquée aux objets, la certitude de leur permanence, et, d’autre part, la confiance qui signale, quant à des personnes, la grandeur d’âme à laquelle on s’excite par amour, ou alors ces deux acceptions sont tellement disparates qu’il ne faudrait jamais user de l’un ou de l’autre et prétendre porter un message clair. Ce n’est manifestement pas ou plus de confiance qu’il s’agit si on la dirige vers l’homme, c’est plutôt envie de croire, plaisir de ne pas s’interroger, valorisation conférée à soi pour se masquer l’inanité de son impensé, ou, rétrospectivement, c’est l’envie d’avoir été « généreux », de s’émouvoir d’une injustice faite à soi, de se camper une fausse « faute » dont on sait qu’elle passe premièrement pour une tendresse : « J’avais confiance » ! En ces cas, la confiance, c’est donner davantage que ce que rationnellement on mesure qu’il faudrait donner, c’est même une erreur programmée, l’attitude de qui tient à prédire sans délibérer ; or, il est si pénible de vérifier et d’argumenter, de fonder des raisons solides de penser qu’une chose va ou ne va pas se réaliser : il faudrait regarder aux conditions de survenue du fait, imaginer des règles extrapolables et serrées, envisager des hypothèses contrariantes et désagréables, faire la juste estimation de fréquences situationnelles et des mécanismes internes : quelle fatigue ! confiance est mieux ! Avoir confiance permet de se décharger de tous efforts « péjoratifs » – chez nous, est un pessimisme ce qui peut conduire à une conclusion négative – sans perdre en valeur : la confiance est réputée vertu et se substitue aux défauts de jugement – on pardonne au « simple d’esprit », c’est-à-dire qu’on décomplexe l’imbécile pour autant qu’il croit avec optimisme, que cet imbécile soit « léger ». La confiance offre à continuer de s’estimer sans réfléchir, même après avoir eu tort, car c’est supposé une « bonté », cet épanchement où l’on surestime les gens : on leur prête plus qu’on ne devrait, ergo on signale les « meilleures dispositions humaines » en ce qu’on considère l’homme davantage qu’il n’est – nos « bontés » se situent toujours en-dehors de la raison, il n’existe pas de bonté dans l’exacte mesure et le discernement. Qu’on voie avec quel mauvais œil on regarde celui qui ne fait pas confiance, c’est-à-dire celui qui ne fonde ses prévisions sur aucun égard principiel et excessif, sur rien d’autre que la logique ! La confiance fédère, comme le vice agréable qu’on aime à savoir vastement partagé : c’est un penchant veule, prétexte à toutes les méconsidérations, à toutes les négligences, à tous les abandons de facultés conscientes et perspicaces ; on délègue son jugement à une « effusion positive », et cela confère la « paix intérieure ». « Faire confiance » au sens plein et populaire, ce n’est pas, vu de quelque distance, faire preuve d’humanité d’âme, c’est seulement cesser d’augurer avec vraisemblance les réactions d’un être. On inverse ainsi des évanescences mentales en proverbes mélioratifs, et l’on s’attribue les qualités de celui qui, en vérité se désintéressant et se prélassant, préfère se représenter combien il est « ouvert » et « franc », combien il donne « tout son cœur » en faveur des gens.

Qu’advient-il graduellement et inévitablement de toutes ces bonnes consciences mises en société qui se flagornent de ces réflexes d’auto-flatteries émotionnants ?  

Il advient qu’on ne regarde plus à la profondeur et au sens qui blessent lorsque débute l’examen et la réflexion, que des idées superficielles et fallacieuses se sont emparées de la dure recherche de la vérité, que chacun voit un homme, une femme, y appose une pensée-caresse, immédiate et qui touche, parce que cette représentation accessible suffit à la satisfaction, et pour ne pas être en reste, pour ne pas se sentir redevable d’un plaisir, on fabrique des élans-retours, on a reçu une moindre sensation d’agrément alors on en donne réciproquement, on veut s’aduler ayant confiance, on se pousse aux bons sentiments, on se dispense cette petite chaleur douce, et ça n’a pas le moindre sens rassis, et en parler avec qui que ce soit d’un peu intelligent ferait l’impression d’une incommunicabilité monstrueuse, il ne faut surtout pas y réfléchir, c’est mal d’y réfléchir, confiance, confiance, confiance, et puis s’endormir après les écrans dans le repos du sommeil de chaque moment d’existence, confiance, confiance immuable, c’est-beau-la-confiance ! supplantée bientôt par s’occuper-se-divertir-fait-du-bien­, ce qui mène à santé-c’est-le-principal, et, entretemps, par sursauts de pure consolation, culture, lire-des-histoires-faciles-qui-allègent-la-conscience-de-son-vide. Ils ont ainsi toutes sortes de mots-suggestions pour adoucir l’haleine comme des parfums, qui les rassurent, qui les enferrent dans leur satisfaction sans un dépassement : confiance, et aussi fierté qui est d’une même nature, ils disent fierté aussi alors qu’ils n’ont rien fait de ce dont ils sont fiers, ils sont fiers pour des personnes qui n’ont rien fait de haut, fiers jusque de leurs routines et de leurs divertissements, et ils ont légèreté et nation et progrès et bien d’autres mots encore qui greffent leur conscience et se substituent à leur individualité, et la vie pour eux s’achèvera au jour du jugement dernier, après la ronde des dictons passés en conduite : « Oui, mais j’ai eu confiance ! plaideront-ils pas même pitoyables — Confiance ? Qu’est-ce donc, la confiance ? — Mais… mais on ne m’avait pas dit, ô Dieu, que je devais, avant de m’y conformer, y réfléchir ! »

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