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Henry War
5 mai 2024

Mon asentimentalisme n'est pas un simplisme

            Je précise que mon « asentimentalité » ne découle pas d’une volonté de tranquillisation et de simplification : bien des pohètes de fibre « romantique » préfèrent prendre la persistance de leur sensibilité pour signe de fraîcheur – ils prêtent à cette naïveté des vertus de pureté, et se dépeignent tendres avec une sorte de vantardise –, tandis qu’ils estiment que le rejet des émois consiste en un débarras facile, systématisme de confort, de tout ce qui peut causer contemplation ou souffrances, raison pour laquelle les gens tels que moi, des Contemporains typiques en vérité, auraient pris le parti d’élire une variété de cynisme en-dehors de toute considération et de toute douleur. Ce serait, en somme, un raccourci opportuniste : plutôt que de s’encombrer à distinguer les passions hautes et basses, nous les brocarderions en totalité, et affecterions ainsi des mines bravaches et dures, hardies et viriles, qui nous serviraient plutôt à éviter d’identifier les nuances, et à devenir des égoïstes modernes. Il faut, selon cette vision duelle, être bêtement abandonné ou aux sentiments ou à leur dénégation, mais le jugement subtil et sain dans aucun de ces cas ne se retrouverait, car de chaque côté figurerait un homme opiniâtre qui s’est obligé à résoudre un dilemme en le tranchant grossièrement ; or, « la vérité est entre les deux » (c’est la prétendue sagesse du populaire), et l’analyste raisonnable des passions affecterait plutôt l’examen en se contentant d’un parti péremptoire, aveugle et définitif, différence qui donnerait avantage au normal. Autrement dit, les asentimentaux comme moi feindraient un relativisme infaillible pour classer net et par quiétude, en lot et sommairement, ce qu’ils n’ont pas cherché à comprendre : nous serions insensibles par arrêt plutôt que par réflexion.

            Or, ce n’est pas du tout ainsi que cela s’est passé.

            Je n’ai pas renoncé aux sentiments pour m’épargner de les éprouver ou d’y réfléchir – comment ne pasressentir ? –, mais j’y ai renoncé parce qu’environ tous les sentiments que j’ai examinés sont faux et recopiés, ne consistent qu’en épanchements agréables à quelque degré décelable. Je ne nie pas qu’il existe un catégorisme qui préfère rejeter toute possibilité d’atteinte en adoptant une fermeture radicale, mais il faut convenir qu’un tel entêtement existe aussi chez le sentimental qui non seulement s’extasie pour des broutilles bien codifiées et reconnaissables, mais oublie de souffrir quand il le devrait et se purge de douleur et de beaucoup d’incommodités par l’impression intérieure et irréfléchie de « nobles » sensations et méditations qu’il provoque pour son heureuse conscience. J’ignore même, à vrai dire, en quoi l’objectivation des sentiments serait plus réconfortante que leur aliénation : se lamenter ou se béatiser est toujours se savoir raison, par conséquent c’est s’éviter bien des initiatives et des révocations. Mon attitude critique n’est pas le fruit d’un classement immédiat, il ne s’agit pas du moyen pratique de ne pas méditer ni ressentir, mais ce que je médite et ressens en profondeur sur les émois et leurs symboles converge à établir leur superficialité. Autrement dit, je n’ai pas un jour décidé une fois pour toutes d’un jugement ferme et unique, inexpugnable, sur la religion et l’amour ; j’ai seulement cessé de m’en laisser entraîner, et puis j’y ai entendu l’imposture, et enfin j’ai compris comment les autres ne faisaient que se bercer des imageries qu’ils reproduisaient sans les vivre et sans individualité, intégrité ni identité. C’est ainsi que j’ai fini par repérer un certain mécanisme de l’émotionnement qui, appliqué à grande échelle, occasionne une psychopathologie du postiche et de la facticité foncière : en gros, on ne sait même plus que par conditionnement on reproduit un sentiment, et l’on prend pour sentiment spontané une émanation de la tradition.

            Or, on l’a lu, j’aspire à un dépassement de ces épidermes.

            Tous ceux qui déplorent en quelque façon mon « insensibilité » ne contestent point mes analyses ; seulement, ils expriment le besoin de croire c’est-à-dire de ne pas voir ce qui est, et qu’ils appellent leur valeur. Ils me disent : « Je continue de m’accorder avec mes clichés, parce que vos duretés sont à la mode et que vous ne faites que ressembler, vous-aussi, à un courant dont vous dépendez », mais sincèrement j’ignore de quelle tendance ils parlent car je n’ai jamais lu un auteur dont je me prétende le disciple, et je ne crois pas écrire comme un autre. C’est justement leur simplisme de m’attribuer une école, parce que ne sachant penser en-dehors des usages ou exemples, c’est spontanément à leur imitation qu’ils m’en prêtent aussi. D’ailleurs, ils semblent toujours mal connaître ces maîtres qu’ils imputent, qu’ils supposent extrêmement morbides, comme s’il existait une sorte de gothisme littéraire ou intellectuel, une position de scabreux automatique et confortable, que je me serais appropriée. M’a-t-on vraiment lu pour oser de pareilles bêtises ? Je n’ai jamais proposé un système de négation universelle de toute sensation, et n’ai jamais par avance admis l’inanité de telle impression en particulier : je ne pars jamais du principe que tout ce qu’on croit est faux ; seulement, je l’ai constaté souvent après un sérieux examen, non sans surprise. Je ne me fais pas un édifice de réfutation par iconoclasme, je ne tiens pas à m’ériger pourfendeur de phénomènes supposés, je ne pose pas pour le perpétuel impertinent à grands chocs ; mais je pense toujours : comment n’êtes-vous pas sidérés, vous, par l’hypocrisie acquise de tout ce qu’on prétend sentir, et qui n’est jamais issu de soi ? Il y a beaucoup moins d’artifice à constater et convenir que toutes vos effusions sont des continuités et des obéissances, qu’à s’efforcer d’adhérer toujours au point de faire de la conformation à des imageries une habitude insensible et même quelque modalité d’existence ! Vous refusez même de regarder en face ce que je juge inessentiel, tout en affirmant la primauté essentielle de ce détournement de regard ! Parce que simplement je rapporte qu’il n’y a pas, on affirme que je m’accroche au prisme d’une école, cependant qu’on refuse d’observer là où il n’est rien et que tous les attributs du vide, que vous ne déniez pas, rencontrent le désir de l’existence d’une chose que je tends à démontrer ni utile ni bon !

            Je n’ai pas chaussé de lunettes-à-rendre-invisible en imitant je ne sais qui, et je n’aspire pas à ce qu’il n’y ait rien : ne voit-on pas combien je continue d’explorer vers quelque chose ? Mais j’exige explications et preuves, plutôt qu’intuitions et convictions : si c’est une « école », alors c’est une école de l’authentique. Je veux enfin tenir avec solidité : vous aimez, vous que tout soit flou et inconsistant, c’est votre façon de légitimation de ne point chercher. Il vous faut que tout soit acceptable et transmis, des leçons bien accessibles à apprendre par cœur ; ce n’est qu’à ce titre que vous dites qu’une chose vous correspond. Vous changez vos routines en morale – contemplez roses, ciels, humains ! – : c’est un moyen de s’émouvoir et de s’amouracher, et, ainsi, mais par intervalles programmés, selon que vous avez saisi le bon livre et n’êtes pas pour l’heure occupés aux affaires, de se satisfaire « d’être » en se croyant généreux et suprêmement sensible.

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