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Henry War
14 avril 2019

Illisible

J’intimide, je sais bien. Je ne suis pas méchant pourtant, et ceux qui me connaissent savent bien combien je suis d’un abord facile, mais il faut en convenir : mes textes ne ressemblent pas à quoi j’ai l’air « dans la vie », j’ai une plume acérée, j’écris d’une façon qui paraît élitiste à la plupart, et mon peu de lecteurs craint de me faire des commentaires au point que j’ai l’impression, ici et ailleurs, de parler pour la lande et sans le moindre aucun écho.

Mon moi écrivain, ce Henry War qui se sert véritablement du fond de sa pensée, est un individu apparemment asocial et qui fait probablement craindre quelque extrémisme embarrassant. Mais rien ne sert de poursuivre à cette personne, à ce « il » d’illusion » : je suis Henry War, foncièrement et bien davantage que cet autre plus normal qui s’efforce de ne pas offusquer au quotidien. Et puis, dans l’ordinaire, on n’a pas toujours quelque chose à dire à quoi on a beaucoup réfléchi ; or, comme je n’aime discuter que de ce que je sais… Écrire, en revanche, c’est présenter des idées formées avec soin, préparées avec intelligence, comme dans tout art exposé il devrait y avoir de l’apprêt et des efforts patents.

Mais la plupart des gens, il me semble, sont si effrayés par cette nouveauté – quelque écrit composé, quelque « post » qui ne soit pas que du pur divertissement – qu’ils considèrent avec une sorte d’inquiétude cet auteur qui paraît se prendre au sérieux, qui propose des textes durs et intempestifs, et qui, en somme, manifeste si peu l’intention de se mettre à la portée du lecteur standard qu’il semble n’écrire que pour lui-même.

Le lecteur d’aujourd’hui veut trouver des textes qui lui ressemblent, c’est-à-dire qui font état du fruit de ses maigres réflexions habituelles : il aspire à peu près à des textes où la pensée est embryonnaire, sans aucun trouble, et faite pour accompagner sa plus ou moins relative paresse mentale.

Mais Monsieur-Dame, comment ne voyez-vous pas que ces textes-ci, précisément, sont ceux qui vous méprisent le plus !

De pareils auteurs ne se mettent pas « généreusement à votre portée », ils condescendent pour vendre, vous considèrent comme des imbéciles (que vous êtes en vérité, que vous finissez par devenir avec de telles réflexions, avec de pareilles adhésions !), et, vous flattant dans votre volonté ignominieuse de ne guère faire que des efforts d’apparat, ils vous conduisent à réévaluer la sagesse vers l’agréable et l’accessible à défaut de toute persévérance d’esprit. Ils savent bien, ces auteurs, à qui ils s’adressent, leurs ouvrages démontrent bien le peu de cas qu’ils font de leurs lecteurs par les simplifications racoleuses et le manque flagrant de démonstrations qu’ils proposent, mais vous les jugez amicalement parce qu’ils confirment vos insuffisances et vos vices, comme si le meilleur service qu’on pouvait vous rendre était d’agréer vos faiblesses.

Et lorsqu’un auteur comme moi en revanche veut vous montrer d’autres chemins inédits et inexplorés, quand avec une écriture noble et des idées nouvelles je vous intime, avec tout le profond respect d’un être qui ne s’adresse pas à des pauvres crétins moutonniers sur la plaine désolée, à réfléchir et à contempler de l’art et de la pensée véritables – et sans pour autant, je le jure, que je fasse de ces attributs une volonté d’épate : je rends le meilleur de moi-même pour édifier et pour plaire, écrivant ni plus ni moins comme j’aime lire –, me voici conspué de silences, écrasé d’inaudibles murmures, un gigantesque point d’interrogation de perplexité pèse sur ma littérature, et l’on me juge, qui sait, vaniteux, poseur, expéditif, troublant ? Cet animal-ci n’inspire aucune sympathie ni aucune reconnaissance ; c’est une créature, croit-on, qui donne à observer un monde que personne ne cherche à atteindre.

Je ne sais ce que vous voulez, ou plutôt je ne le sais que trop ! Il vous faut du pain adapté à vos papilles stylées aux mêmes ragoûts, du pain piètre et industriel, du pain d’amusement qui ne vous offre pas à entendre tout le mauvais goût du pain ordinaire, du pain complaisant qui vous conforte dans la perception que le pain dont vous avez l’habitude est bien du pain, du pain qui vous rappelle que manger du pain même si c’est du faux pain est en soi une bonne chose, du pain que vous pourriez, à vrai dire, confectionner vous-même sans aucune difficulté mais avec juste du temps.

Mon credo, à moi, le voici : si vous pouvez faire du pain aussi bien que votre boulanger sans nulle compétence particulière, alors votre boulanger ne vaut rien comme boulanger et le pain qu’on vous sert et que vous prenez est une façon de se moquer de votre gastronomie. Ce mot de « gastronomie » doit s’entendre comme une éthique personnelle, je veux dire : si vous tirez plaisir à la mauvaise qualité ou si même vous ne vous en apercevez plus, alors votre appétit et vos choix alimentaires sont piètres, et, en l’occurrence, vous êtes piètre vous-même, attendu que l’intérêt pour la culture et pour la construction intellectuelle constitue l’essentiel, à mon sens, de ce qui façonne et définit un être humain.

Quant à moi, Henry War, je ne vous prends pas de haut, jamais ! Jamais je n’use de ce qui vous fait plaisir et de toutes les facilités à la mode pour vous humilier au fond en feignant de vous accompagner en surface – et pourtant, je le pourrais, oh oui ! je le pourrais, car vos tendances ne sont guère indécelables ! Vous avez trop entendu, je crois, ces discours policés de pseudos écrivains qui prétendent vous respecter et qui ne font que s’enrichir à vos dépens par leurs simagrées flagorneuses : ces personnes-ci ne sont ni vos amis ni des écrivains, ils sont ce qu’il y a de pire pour vous et pour l’humanité entière ; ils ne révèlent rien en vous si ce n’est vos conforts et vos coutumes, ils ne vous élèvent jamais au-delà de vous-mêmes ; ce ne sont que des – prêcheurs de convertis.

Songez-y : dans dix ans, le monde aura oublié ce que vous avez lu aujourd’hui.

Songez-y : à travers ce que vous avez lu, dans dix ans le monde vous aura oublié.

Moi, je veux vous montrer un peu cela, ce que c’est que de lire – chose perdue, négligée, abandonnée par la plupart –, alors ne vous taisez plus ! interrogez-moi si vous voulez ! Je n’ai pas d’idées péremptoires ni aucun désir de me valoriser – je me moque des popularités, au juste, j’abomine les mondanités – : ne le voyez-vous pas ? Mais ne vous défiez pas que je vous sois premièrement illisible pour ce que c’est vous qui avez désappris de savoir lire. Et depuis quand une phrase que vous pourriez avoir écrite vous enseigne-t-elle quelque chose ? Je n’écris, moi, que ce que vous n’auriez sans doute jamais produit, mais c’est afin que désormais vous puissiez en faire autant ! Je vous donne, moi le seul et peut-être le dernier, et vous me dédaignez parce que ce don ne ressemble pas à celui que vous avez l’habitude de recevoir, parce qu’il vous offre une nourriture nouvelle et substantielle, roborative et riche, et pure ! Vous êtes accoutumé au gris : quel est donc cet éclat blanc et neuf qu’on vous propose ? – et vous vous défiez !

Il n’y a rien, je le promets, qui soit écrit ici et dans mes livres et dont le dessein soit de chercher à vous en imposer. Je n’ai rien à gagner par votre entremise, hormis la satisfaction d’une humanité pensante et éclairée ; je ne me juge pas du tout un prophète ou un guide, mais je m’effare : comment l’individu humain en est-il venu à déchoir de lui-même jusqu’à ne plus aimer les livres au profit exclusif du papier-cul ? Sortez donc de vos chiottes, et commencez par apprendre à estimer de loin la qualité du papier – considérez que tout ce qui est déjà à votre mesure ne vous convient pas : il faut de l’au-delà compréhensible (certes), pas davantage. Ce qui est fait pour votre anus n’est pas fait pour votre esprit.

Pas pédant, pas savant, pas élitiste, je vous propose un peu de cet au-delà, quelque chose d’appliqué, de construit, de précis, et j’envoie après ça mes messages à la lande où j’espère enfin des hommes, et non des moutons.

Mais pourquoi ? oh ! pourquoi, dans cette lande, personne ne répond donc… un langage articulé ?!

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Commentaires
P
Alors si je peux croire, ça va. Et soyons clairs, quand je te dis que je sais que tu as besoin d'être aimé, je ne parle pas à ta place je te parle de moi, de ce que je pense, de ce que je suis fait. Et j'ai forcément raison puisque c'est ce que je pense. Je veux bien enlever 50/50 et remplacer par 100/100. Deux vérités.<br /> <br /> <br /> <br /> Non, je n'ai encore rien lu Henry. Te rends-tu compte du nombre impressionnant de fois où tu parles d'argent ? Moi, je te parle de donner.
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P
Mais Henry ton sentiment vaut autant que le mien. Pourquoi est-ce que ce serait moi qui me tromperait ? On est à 50/50. Tu as raison, j'ai raison. Tu peux dire que tu es en désaccord pas que je me trompe. Enfin, tu peux aussi dire que je me trompe, cela n'entame pas ce que je crois.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Quand est-ce que ça commence ? Eh bien, quand est-ce que tu écris sur ce blog ?
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P
Henry, bonjour.<br /> <br /> <br /> <br /> Naguère, quand les blogs fleurissaient, nombre d'ados terminaient leurs posts par un "Maint'nant vas-y, lâche tes comms ! »<br /> <br /> <br /> <br /> J'entends que tu as besoin d'être aimé. On a tous besoin d'être aimés. Même si on ne le sait pas, ou qu'on ne le veut pas, ou qu'on professe le contraire.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Cependant, Henry, j'ai une question :<br /> <br /> <br /> <br /> — Quand est-ce que ça commence ?
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V
D’un abord facile? Tu es un vrai connard! <br /> <br /> <br /> <br /> Blague à part... ce texte effrayera d’autant Plus! A mon avis...
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