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Henry War
22 avril 2019

La mort, ce voyage

Depuis que je suis adulte et en capacité de réfléchir par moi-même, il m’apparaît que la mort devrait être regardée différemment, et non pas de la façon médiocre et ordinaire : la mort ne doit pas faire peur, et je prétends qu’il n’y a nulle raison d’en être effrayé. L’inconnu ? Et depuis quand l’inconnu fait-il peur ? Il n’y a que des esprits incapables d’imagination pour se figurer qu’ils connaissent réellement le monde où ils vivent ! L’extinction, la fin de la vie, l’anéantissement peut-être ? La plupart des vivants ne sont déjà à peu près rien ni personne, de sorte qu’en vérité il ne leur reste pas grand-chose à perdre ! On peut, à la rigueur, redouter la souffrance, mais on doit convenir que la mort logiquement y mettra un terme, par conséquent elle serait plutôt – un soulagement !

La mort n’est pas triste pour celui qui meurt, elle l’est surtout pour celui qui reste ; c’est comme quand on part vers un ailleurs inconnu : la tristesse revient plutôt à celui qui suit d’un pas piteux le véhicule qui s’en va qu’à celui qui conduit et qui se prépare à affronter des embûches ; celui-ci a mieux à faire qu’à nourrir des regrets, il doit projeter son esprit vers l’avenir, il est actif, vigilant, il n’a guère de place en lui pour les simagrées de cet autre qui, au contraire, n’a rien à faire qu’entretenir le souvenir et le manque.

Par ailleurs, si on est celui qui reste, il n’y a pas lieu de penser que celui qui s’en est allé a tiré de sa mort le moindre mal – pourquoi alors le plaindre ? Et s’il ne s’agit que de déplorer une perte, je ne sache pas que la plupart des gens, à bien y penser, soient fort admirables et utiles, par conséquent je ne regrette presque jamais sincèrement la mort de quelqu’un.

Si on est celui qui part, on a bien le droit, il me semble, d’être égoïste alors : ce qu’on laisse derrière est déjà à moitié perdu de toute façon, à quoi bon y attarder longtemps sa pensée ? Pour cet homme farouche et résolu, la mort est un projet et un défi : cette posture implique de regarder devant !

La mort, vue comme un voyage, nécessite des apprêts et une volonté ferme. Il n’est pas temps d’atermoyer ; il faut la considérer bien nettement, et s’y déterminer comme un passage : à défaut de savoir à quoi se préparer, on doit, à mon avis, s’y résoudre avec conviction plutôt que s’en laisser surprendre, quel que soit son âge dès lors qu’on peut y penser raisonnablement. En cela, il me semble, on peut aussi réussir sa mort.

Tout ceci explique la façon dont j'exprime une conviction, un engagement, une résolution : il y a l’acteur de ce voyage, et rien ne lui gâchera les préparatifs et la traversée, ni souvenirs (il n’est plus temps), ni remords (il a vécu de façon à n’en avoir jamais).

Enfin, se pose aussi la question du voyage « programmé », autrement dit du suicide : j’ai infiniment de respect pour les braves qui s’y livrent, mais c’est à condition qu’ils n’agissent pas par regret ou pour fuir, mais par désir de l’explorateur – ce qui n’advient peut-être presque jamais. Celui qui met fin à sa vie et qui peut dire : « J’ai fait mon temps ici, je connais bien ce lieu, je l’ai exploré et je crois que je ne peux plus rien en apprendre de notable », celui-là qui veut, résolu et curieux, avancer courageusement vers un autre lieu qu’il ignore, mérite, à mon avis, une considération sans borne. Il n’est pas lâche, comme on dit bêtement, il n’abandonne pas la partie, mais il daigne en jouer – une nouvelle !… et peut-être en vérité n’y a-t-il pas d’autre jeu à jouer, et peut-être n’y a-t-il pas d’autre lieu à trouver : qu’importe ! c’est même plus fort, car cet homme, en toute conscience prend alors le risque d’aller vers rien, et il juge encore cette découverte du néant préférable à ne rien découvrir !

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Commentaires
A
S'anéantir avant que d'avoir exploré toutes les anfractuosités salopes de l'existence est certes audacieux mais témoigne de notre unique singularité (sa verte redondance) car si l'on pouvait se fuir vers d'autres saveurs de vie, d'autres tempéraments, d'autres audaces ou bien se couler aux indolences héritières, notre perte que par contumace écumerais toutes les places, la multitude jouirais de ses concupiscences.
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A
Saphira et Jocelyne étaient leur nom de vivantes, le baiser de cet éloignement.
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A
J'ai perdu deux compagnes et je ne suis toujours pas décédé, cela est injuste et j'admets que ma cruciale idée dépend des énormes beautés de l'hiver. J'accepte cette brutalité, car ces gels prennent sens.La violence de la nature nous apprend à compenser l'offense. Ceci est un mensonge, mes corbeaux et mes porcs créveront les abcès avant que je ne témoigne de mes chagrins.
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A
Je vais dire avant de lire. Car je m'en fous de nos expériences, sauf la mienne qui se détermine cruciale, je lirai ensuite et enjoindrai ma peine, éventuellement.
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V
Il y a quelque chose à perdre, dans la mort. C’est la vitalité de la vie. Quand on a envie encore de tout mordre, de tout apprendre et de tout croquer. <br /> <br /> Et qui d’ailleurs peut être certain de ne plus rien apprendre de notable? De ne plus rien découvrir ?
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