Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
18 octobre 2019

Négatif-idéaliste

Je n’aurai peut-être pas de nouveau l’occasion de l’écrire, ni, du reste, le désir de le faire (cette précision m’étant assez superflue), alors soyez attentifs, je vous prie. Voilà : je regrette toujours, à mes écrits, de donner l’impression d’être quelqu’un de négatif. Je réprouve autant le pessimisme que l’optimisme, qui sont deux déformations également coupables de la vérité, deux écarts systématiques et en cela plus ou moins volontaires à la réalité.

Je m’en voudrais de déroger à mes meilleurs principes ; je ne m’intéresse qu’à relater des faits. Que ces faits soient sélectionnés parmi ceux qui posent problème, c’est ce dont on ne devrait pas tant s’étonner pour me faire le procès de ma mauvaise humeur, de mon regard noir, de mon jugement partial, du moins partialement focalisé vers l’insuffisance et le défaut.

J’aimerais chanter, je l’assure, danser et exulter. J’aimerais enthousiastement exprimer mon bonheur d’exister – mon bonheur qui est, d’ailleurs, du moins en quantité équivalente au malheur. Il m’arrive d’être content, je crois. Je suppose que le contentement est un état mental où l’on ne se sent pas de raison particulière de se plaindre : cela m’arrive. D’un autre côté, je dois avouer qu’en général je ne me sens pas non plus de raison particulière de me satisfaire. Je vis continûment une sorte d’entre-temps pathologique, plus ou moins. En somme, je dirais que ces concepts de joie et de tristesse me sont devenus assez étrangers et absurdes, à force de les analyser et de m’en méfier. Ni amour ni haine, ni bonheur ni malheur. Et ni optimisme ni pessimisme. Pas besoin. Inutile. Aucun intérêt.

Il est pourtant vrai que je parle de ce qui ne va pas. D’abord, c’est peut-être moins ennuyeux, à bien y réfléchir, que de parler de satisfaction et de plaisir, ce qui tourne toujours un peu en rond et n’implique que le souhait de conserver une situation. Une félicité exprimée est un égoïsme lassant : on se contemple, on ne partage pas tant qu’on se célèbre pour son propre heur ; j’aimerais bien savoir ce qu’un lecteur pourrait faire de ça. Moi, je ne saurais pas, voilà : j’évite d’imposer aux autres ce dont je ne saurais que faire.

D’autre part, je ne puis cacher que je reconnais en toutes réalités de ce monde quelque chose de foncièrement défectueux. C’est peut-être lié à ce nouveau régime de concession et de compromis où tout baigne, nos institutions comme la moindre de nos idées, immergées dans une eau saumâtre et tiède du divertissement. En tout domaine, j’ai l’impression plutôt pénible d’être l’un des derniers à réfléchir. Même quand je consulte un spécialiste qui en sait plus que moi, tôt ou tard, en général, il finit par me remarquer que, tout spécialiste qu’il est, il n’avait pas perçu les vices logiques que je lui représente relativement à son domaine de connaissance, à force de s’y accoutumer ou de s’en contenter.

Qu’on m’expose seulement une chose qui « aille » et dont la réalisation soit à peu près conforme au principe pur qui devait lui donner forme. Moi, je n’en vois pas : est-ce que je cherche mal ? Quand bien même ce serait le cas, je doute qu’on se plairait longtemps à lire la description du parfait – mais pourquoi pas, après tout ? Il y a des livres assez bons, très bons même, et je ne me retiens pas de détailler leurs qualités dans mes critiques. Et cependant, ces descriptions n’ont toujours qu’une seule utilité selon moi : affiner sans cesse les critères d’une œuvre réussie.

Atteindre à quelque idéal accessible.

C’est l’imperfection, je crois, qui pousse à la communication – pour moi, je n’ai pas d’autre façon de penser, d’autre raison d’être. Même quand je plaisante ou badine, j’essaie toujours de réaliser le maximum de l’effet escompté – je trouve un prétexte de performance en tout – c’est peut-être une maladie, il paraît que je suis aberrant. Je ne connais pas l’abandon, et de moins en moins le transport, c’est vrai : au lieu de me blâmer pour ça, on pourrait songer à m’en plaindre, non ?

Je lutte pour l’idéal, non par héroïsme ni par orgueil : je ne sais pas d’autre manière d’être homme, c’est tout. On est condamnés à ne faire que ce qui nous rend dignes à nous-mêmes. C’est ma limite, autrement dit, mon défaut de fabrication, de ne pas réussir à me contenter. « Négatif ! Idéaliste ! » : deux reproches qu’on m’adresse souvent ; je devrais me réformer, accepter les choses, ne pas me donner tant de mal inutile. Si j’étais seulement un peintre de mauvais augure, si j’avais quelque complaisance morbide à souligner la corruption, exclusivement occupé au pus et aux noirceurs, certes, « négatif » m’irait bien. Mais pour ne pas en rester là, je propose des idées, moi, des solutions, du moins une forme d’état d’esprit général qui permettrait d’assainir, sinon d’expliquer. « Idéaliste ! me rétorque-t-on alors. Vous voulez un monde parfait, un monde impossible ! » Peut-être, c’est sans doute vrai si on juge aussitôt que c’est hors de portée : chacun seul connaît sa capacité, je suppose. Pourtant, je me représente naïvement en l’homme des facultés semblables aux miennes – c’est peut-être mon erreur d’appréciation en tout, le vice d’un reste trop candide et irréaliste de bénéfice du doute. Je ne crois pas avoir jamais demandé qu’on change de nature, me prenant pour exemple de ce qu’on peut faire et vouloir. Toujours, même, je situe l’homme un peu en-dessous de moi pour ne pas exiger de lui ce que j’ai souvent du mal à accomplir.

« Négatif », c’est le blâme contre le désespéré ; « Idéaliste », celui contre – l’inespéré, pour ainsi dire. Ni l’un ni l’autre ne me convient, je trouve, ne me sied ; je vois de l’injustice dans ces accusations, et surtout une façon de se débarrasser paresseusement des problèmes, ou bien en les atténuant, ou bien en ne leur reconnaissant d’emblée aucun remède. La responsabilité de l’individu, c’est se confronter à la réalité. Moi, je ne fuis pas, il me semble ; mes sanglots et mes cris portent toujours l’espérance concrète d’une lutte et d’un succès, d’une amélioration tout au moins. Celui qui, comme moi, se bat, quelle que soit la bataille qu’il livre contre ce qu’il dénonce et quelle que soit l’échelle de ce combat, injecte en la société une partie de sa volonté, de son ambition, de sa puissance singulière, si infime soit-elle, inoculant son antidote contre le fatalisme et la dérision universels. On peut amener des esprits, par sympathie de raison, à penser juste – c’est mon pari : tout n’est pas cyniquement relatif ainsi que la vision moderne des choses nous le représente pour nous déresponsabiliser : il y a du vrai et du bon pour nous, un vrai et un bon indéniables, absolus et qu’on peut démontrer.

Alors : « Négatif » ? Non, je ne crois pas, messieurs. Mais voyez-vous-même si votre regard sur le monde n’est pas coupable d’une négativité plus profonde, plus insidieuse et plus cruelle pour l’homme que mes assez inoffensives critiques, je veux parler de cette acceptation collective du mal par laquelle vous voudriez décrier et nier automatiquement et sans réfléchir tous ceux qui s’efforcent d’un constat et qui projettent, sans excès pourtant de prétention, à dire la réalité et à lui rendre du sens.

Nous sommes, messieurs, le mouvement réel : donnez-nous si vous voulez tous les noms et qualificatifs dénigrants qu’il vous plaira. Vos sarcasmes n’iront pas jusqu’à vous aider à répondre à cette question simple de savoir, vous, pour qui et par quoi vous existez.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité