Sale réflexe au Niger

Le premier réflexe des Français suite à l’attentat récent du Niger a été de vérifier si les assassinés ne s’étaient pas un peu « aventurés » en-dehors des zones autorisées, en substance s’ils ne l’avaient pas « un peu cherché », s’ils n’avaient pas en quelque sorte « mérité » ce qui leur était arrivé – parce qu’on aime toujours à se dire que soi-même, à la place des autres, on n’aurait pas été si bête. Alors quand on a découvert qu’ils se situaient en zone orange, on a commencé à dénoncer leur imprudence, et puis certains plus curieux ont voulu voir une carte desdites zones de sécurité du Niger, et ils ont constaté que c’est tout le pays qui est classé soit en zone orange soit en zone rouge, rien en vert – alors on a relativisé un peu, on a oublié son élan d’indignation initial. Quelque chose, il est vrai, trouble par sa complexité bizarre – et il est habituel que l’incompréhension fasse oublier – : c’est l’absurdité de ce système de signalétique français.

En France, on adore multiplier les codes couleurs – c’est une sorte de passion nationale. On pourrait penser qu’ou bien un territoire est dangereux et il est interdit de s’y rendre, ou bien il est vert et on l’autorise, mais non, chez nous il faut une couleur intermédiaire qui veut dire : « C’est autorisé mais restez sur vos gardes ! ». On sent bien que « rester sur ses gardes », en de telles circonstances, signifie se munir d’une petite milice armée de kalashnikovs au cas où, mais chacun sait que c’est matériellement compliqué ; seulement, cette préconisation tranquillise l’État et l’ambassade : « Ah ! ils étaient en territoire orange ? on les avait prévenus, ce n’est pas tout à fait notre faute ! »

Cette façon de se disculper est assez abjecte ; c’est, à mon avis, un propos rouge, du moins orange sanguine. Je propose, selon cette logique, de cartographier précisément par nuances colorées tous les pays du monde : un Mc Donald est plus exposé, et même à Paris il mériterait un vert pomme. Les banlieues ne sont généralement pas sûres en France, quoiqu’en pays sécure, et je leur administrerais sans doute un jaune, et même des variétés du jaune allant du citron-un-peu-vert au citron-passé, au citron-rouille. À mon avis, on devrait pouvoir comme ça, à la façon d’un arc-en-ciel, n’être satisfait que lorsqu’on ne distinguerait plus à l’œil nu, entre deux zones – l’infinitésimale différence de couleur.