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Henry War
24 août 2020

Blandices

Il n’y a guère à dire, et la femme est souvent créature étrange et contradictoire : elle joue en conscience de ses charmes, déploie avec infiniment de ruse toute la gamme de ses attraits minutieux – intuitif ou volontaire ? Volontaire ! car il ne s’agit pas de son corps mais bien de la façon qu’elle a de s’en servir pour suggérer – et quand ce jeu réussit, quand l’homme appâté franchement répond à ses avances tacites par de francs témoignages d’intérêt, elle déplore cette banalité et ce prosaïsme masculins qui confondent goût de plaire et volonté de plaire à quelqu’un, et elle reproche à l’homme sa lourdeur, son manque de second degré et de finesse, ainsi que le malentendu même qu’elle lui a provoqué pour se faire valoir, non sans user parfois d’une mauvaise foi sophistiquée et indigne.

M’entend-on ? Non, pas encore, pas encore : on me conspuerait, autrement ! Une femme très joliment vêtue se rend dans la chambre d’hôtel d’un homme. On sait bien, n’est-ce pas, sous quel implicite cette visite quelque peu impudique et déplacée risque de se placer, mais elle feint de ne pas s’en apercevoir ; tout à coup, elle a omis le sens des connotations. Elle y vient pour réclamer un certain travail, rare, bien rémunéré et peut-être même un peu au-dessus de sa compétence, elle prétend ne croire que cela, à cette heure : peut-elle ignorer qu’on n’obtient pas décemment un job de cette façon, qu’il existe pour cela des bureaux, des entretiens officiels, des salles ouvertes, publiques, et que le protocole ordinaire est tout différent, en somme ? N’importe, elle entre, parfumée : elle n’ignore pas elle-même pourquoi elle a ainsi paré sa nudité d’odeurs appétissantes.

L’homme entend, et certes, il ne se peut qu’il ne se soit servi du prétexte du travail pour vérifier une tentation. Tout, dans l’amour, se sert de prétextes, il n’y a pas autre chose. On invite tout d’abord, et l’on vérifie si la personne agrée ou décline : toute l’histoire de la séduction s’y résume.

Elle est venue ; il la prend donc, affolé par la situation, pressé par l’aubaine qui peut n’être que provisoire. Résiste-t-elle ? a-t-elle résisté ? Elle croit s’en souvenir ; il affirme, lui, qu’il ne l’a pas remarqué : les deux peuvent être sincères. Si elle avait crié sans doute dans cet hôtel de luxe, on ne l’aurait pas laissée sans défense ; d’un autre côté, s’il n’avait pas quelque peu abusé d’elle, il ne se serait pas senti si triomphalement coupable dans ce surplomb de pouvoir viril.

Après, elle obtient sans doute ce travail – marché conclu. Quinze ans après, elle…

Blandices !

J’assure que je ne vois aucun inconvénient aux apprêts des femmes, que pour rien au monde je ne souhaiterais qu’elles fussent invisibles, maintenues laides ou voilées ; mais, d’un autre côté, il faut bien comprendre, après tant de milliers d’années d’histoire comportementale, ce qui différencie les hommes des femmes. Que les femmes puissent obtenir d’un homme à peu près ce qu’elles veulent ne justifient pas qu’elles feignent d’ignorer les conventions qui cloisonnent les rapports amicaux et les liens plus intimes. Un parfum suave exposé tout près d’un nez viril induit la narration d’un corps dévêtu. On peut jouer, on en a le droit et même sans risque en n’importe quel lieu ouvert. Ailleurs et seuls, si je me penche sur une femme, rasé de près, parfumé, élégant, multipliant les contacts et les marques d’intelligence et d’humour, on pense que mes intentions ne présentent guère de possibilités d’erreurs – et c’est juste.

Il est bien des sortes de tentations – Blandices ! – pour chaque individu, et leur variété peut être, dans certains cas, une source de confusion.

J’aime percevoir chez les femmes les manifestations publiques de la coquetterie, les afféteries irrésistibles dont elles sont capables, les façons dont elles se parent pour attirer, leurs attitudes de pose antinaturelles, rires enfantins et trop subtils, déploiements inutiles de cheveux longs, regards contre-plongée oblique incommodes et suggestifs, décolletés ostensibles alors qu’il fait froid, révélations habiles de nuques et de jambes en des coiffures compliquées et des habits inutilement plaqués… On ne m’abusera pas en prétendant subitement qu’un individu ne se décore que pour lui-même : il suffit de voir comme on choisit ses vêtements, à l’aide d’un miroir c’est-à-dire en retrait de soi-même, pour sentir comme la satisfaction des parures est à un effet extérieur ; c’est ainsi, rien de tout ceci ne me surprend ni ne me choque. On pourrait tout autant, à vrai dire, m’étaler, hommes ou femmes, toutes les parties du corps que l’on veut, je ne suis pas de ceux que la société a beaucoup stylés, de sorte que je ne m’offusque de rien. Il y a bien du plaisir à contempler ce qui est beau, ce qui est recelé, ce qui est interdit, en particulier quand on y a un accès si aisé – on regarde du porno et des accidents de voiture avec un goût similaire. Les façades sont généralement ennuyeuses, hors ce qu’on devine derrière ! mais si, au surplus, les intérieurs, masqués seulement d’imperceptibles voiles, sont suggérés, alors ! Je prétends par là une première chose, c’est que tout ce qu’on montre ou qu’on ne dissimule pas peut être vu à bon droit. Il ne devrait pas y avoir de loi pour interdire d’ouvrir les yeux ou de ne pas détourner le regard. Que cette observation profite ou nuise à quelqu’un, n’importe : c’est visible, j’y regarde ; qui oserait prétendre que mes paupières doivent rester scellées pour quelque chose ? Ceci vaut, à mon sens, pour tout ce qu’on peut observer y compris sur Internet : on peut légitimement douter de la légalité d’y poster certaines images notamment à défaut d’avertissement, mais si elles y sont, qu’on ne me refuse point la curiosité peut-être innocente d’y aller voir !

Ceci est généralisable aux textes, et à toutes autres choses : la censure est haïssable partout, sous toutes ses formes. Si je veux inciter au suicide à peu près comme Cioran ou au viol environ comme Sade, non seulement je crois n’être coupable de rien n’ayant rien commis moi-même que d’exposer mes imaginations, mais de surcroît, si on me permet quelque part de publier mes textes, au-delà d’une simple prévention je ne suis pas responsable de ce que vous lisez.

Mais, s’agissant des rapports individuels de séduction, il me semble que ceci demeure assez conventionnel et régi par une règle universelle : c’est qu’on ne fait nulle part, que je sache, l’amour en public. Autrement dit, le lieu de l’exposition conditionne l’accès direct ou non du public : on ne touche pas une toile sur un lieu de vernissage ou dans un musée, mais faites venir l’objet chez vous, il vous appartient à peu près d’en faire l’usage que vous voulez.

Je ne veux pas comparer ici un individu et une chose – mauvais procès de pure forme qu’on me ferait, mais on en fait tant d’autres de nos jours au moins aussi mauvais ! –, j’exprime que la possession se fait logiquement davantage sentir dans un endroit personnel et intime, c’est-à-dire dans un lieu propre à l’amour. On va dire encore que je suis catégorique, péremptoire et simpliste, mais je jure que si mes collègues se montraient en sous-vêtements sur le lieu même de leur travail, cela n’inciterait, ni chez moi ni chez les autres, à aucun malentendu : on voit bien régulièrement des gens en dessous ostensibles sur un autre lieu public qu’on appelle « plage », et on ne s’y sent nullement la tentation de répondre à une avance. Mais le même effeuillement réalisé dans ma demeure, rendu nécessaire par rien, tandis que je suis seul et peut-être dans une chambre : y a-t-il vraiment à interpréter ? Est-il un seul juge sincère qui, dans pareille situation, n’eût pas songé à quelque chose ? Et fait-on alors signer des contrats de consentement, avec clauses et articles détaillés, engagements réciproques et limitations explicites de responsabilité, pour tâcher en ces circonstances de toucher quelqu’un ?

 Il y a des ingénuités, quand on est adulte et assez mature pour se vêtir avec intentions, qui ne se pardonnent pas facilement.

Blandices !

Cependant, à une toute autre variété, je crois, appartiennent les symboles séduisants et involontaires de joliesse et par exemple de grâce ou de pureté. Il est des robes adorables qui pourtant ne dévoilent rien, des maigreurs ou pâleurs naturelles et attendrissantes, nombre de fantasmes éthérés de candeur des romans de chevalerie où la femme parfaite est décrite à peu près comme une enfant sans tentation, sans connaissance même de la tentation. Ces attraits-là, qui ne sont point en général des paramètres conscients de séduction, ont pour moi un statut particulier en ce qu’à la fois l’absence réelle d’affectation du sujet séduisant et les goûts tout singuliers du séduit empêchent qu’on puisse les anticiper : c’est tout à fait un désir hors convention et souvent « de tête » où se mêlent davantage des représentations personnelles et imprévisibles que des intentionnalités de pièges ou d’appâts ; ces objets d’intérêt, qui plaisent pourtant mais sans que s’y attachent vraiment ou du moins directement des impressions d’ordre sexuel, ne sont pas conventionnellement reconnus : notre société si grossière et matérialiste n’admet environ que le corps comme source de séduction, ce en quoi elle révèle son manque flagrant de raffinement ; il n’y a à peu près que les simulacres bestiaux de sexualité qui sont unanimement supposés des sources de tentation, et le reste lui est incompréhensible. Or, il ne faudrait pas y confondre cette dernière catégorie de blandices qui ne doit rien du tout à l’érotisme et aux plaisirs proprement sensoriels – seuls des êtres excessivement subtils et spécieux, symbolistes comme des prêtres, mélangent en glissant insensiblement l’intellect et le corps. On doit certes à des esprits dégénérés, encombrés et corrompus d’arguties, de paradoxes et de frustrations, de finir par croire que, puisque le feuillage d’un arbre lui est pittoresque en automne, c’est que l’arbre veut s’unir à lui, que Dieu aussi l’a voulu ! Cette déviance est plus systématique qu’on ne pense chez des individus qui ont appris à vénérer l’innocence comme idéal et qui furent induits à ne se représenter la sexualité que comme l’extension d’une forme d’amour platonique : « J’aime cet enfant si candide et tant divin, il faudra bien à la fin tout naturellement que je… »

Cette déviance mise à part, de la forme d’attrait spirituel est détaché du corps dépendent les correspondances intellectuelles et toutes les formes d’intérêt spirituel qui font que, fort heureusement, on peut aimer un individu privé de capacités sexuelles. Je m’interroge depuis longtemps déjà si cette sorte d’amour n’est pas la plus élevée, la plus digne et la plus humaine au fond qui se puisse entreprendre, au sens où la nature exprime aussi bien dans le végétal et dans l’animal des penchants à la reproduction mais rien de ce qu’en général on désigne exactement par le mot d’« amour ». Et peut-être justement que le désir physique n’est pas de l’amour, que l’amour n’y a rien à voir, et qu’on devrait, pour pleinement signifier « amour », nettement dissocier les deux et n’élire l’objet de son amour que sur des critères platoniques en-dehors de toute considération du corps : là serait l’union spirituelle que la nature ne rendrait unique que dans le genre humain.

Et peut-être alors, si l’amour véritable ne se concrétise que dans l’œuvre des individus par laquelle se matérialisent leurs pensées, chez un esthète dont la philosophie essentielle est de tâcher à rendre ses actions puissantes et admirables, une déclaration d’amour, à lui adressée dans une forme artiste et performante, constituerait-elle le summum de la passion, en la réunion touchante de deux esprits convergeant vers une seule et même conception de l’amour, supérieure à leurs yeux, je veux parler de leur recherche inlassable, insatiable et perpétuellement déçue de cette essence motivante pour la Vie et pour l’Art, et qu’on nomme : l’admiration.

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