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Henry War
24 août 2020

Le retour de Salomon

Notre justice contemporaine est faillie. C’est un constat affligeant, consternant, révoltant pour moi. Ceci explique largement le lot quotidien des violences françaises et l’état de délabrement moral de notre société.

Tenez, rien que la semaine passée : « Reprise du procès de Georges Tron, reporté d’environ deux ans. La défense avait fait valoir, à l’époque, que l’affaire ne pouvait se tenir convenablement alors que le cas Weinstein, en plein battage médiatique, risquait d’exercer tant d’influence sur les esprits ».

Ou encore : « Début d’un procès, longtemps après le drame : un délinquant récidiviste, pour fêter le retrait de son bracelet judiciaire, avait entraîné un ami en voiture. Sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants, le conducteur, qui roulait au-delà de la vitesse légale, avait franchi un feu, embouti un autre véhicule qui avait percuté deux piétons : l’une était morte sur le coup, l’autre, ayant perdu provisoirement l’usage de ses jambes, avait été contrainte à une longue et pénible rééducation. Le chauffard ne s’étant pas arrêté, la police ne l’avait appréhendé que plus tard. Le procureur a requis une peine de… huit ans d’emprisonnement. »

On a oublié ce que c’est que la justice, à quoi elle sert. Notre soupe appauvrie n’y a plus rien à voir : c’est de l’eau, inconsistante, sans grand apport calorique pour le corps social. Nous sommes devenus complaisants des délits et des criminels – j’aimerais ajouter : sans nous en apercevoir, mais je ne puis.

Tout d’abord, on a institué de force, au moyen d’une implacable propagande, cette idée mensongère qu’il y aurait une différence fondamentale entre la justice et la vengeance. Les gens ne réfléchissent pas. Un reste de chrétien étouffe leurs pensées. On suit une tradition qu’on ne remet jamais en question. Pauvres imbéciles. La morale n’est pas ainsi un sentier tracé par des aveugles et des sots.

La justice n’est pas autre chose qu’une vengeance instituée, légale, indirecte. La vengeance n’est pas du tout nécessairement attachée au concept de disproportion : on peut se venger de façon légitime et mesurée. Quand votre fille vous tape et que vous la tapez pareillement, vous vous vengez sainement. C’est même fort pédagogique, à mon sens, dans bien des situations.

La vengeance est l’action par laquelle un préjudice subi est compensé par un préjudice rendu directement. En cela, la vengeance produit inévitablement un certain soulagement : on ressent l’équité par l’annulation des torts mutuels qui se compensent. L’impression de vengeance, loin d’être condamnable, est même nécessaire au bien-être d’une société, puisqu’on ne peut obliger les individus à pardonner des outrages et des maux qu’on leur a fait subir. Sans cette impression salutaire, on perpétue le mécontentement des victimes – ceux qui sont déjà à plaindre. Et l’on aurait tort de prétendre, comme on le fait sans rien connaître des citoyens que leur caricature, que les victimes veulent un mal exagéré pour l’auteur de leur préjudice : elles veulent à peu près pour lui ni plus ni moins que le mal qu’elles ont enduré.

Toute société qui a une conscience éclairée de la justice s’efforce d’harmoniser au plus juste le préjudice et le châtiment. Un homme qui vole un objet doit restituer l’objet volé et compenser d’une façon ou d’une autre le temps de son indisponibilité. Un homme qui en blesse un autre, voyons… la conséquence directe d’un coup est toujours une privation plus ou moins grande et durable de la liberté d’agir, de sorte qu’il n’est peut-être pas encore nécessaire de recourir à des tortionnaires légaux par souci d’équité : l’emprisonnement, il me semble, répond assez bien à ce préjudice. Quant à l’homme qui est reconnu coupable d’un meurtre, il doit mourir aussi, car j’ai beau chercher, il ne me paraît pas exister d’équivalent compensatoire à la mort de quelqu’un – sans cette mort du coupable, nul plaignant n’est jamais vraiment satisfait. C’est ainsi. Ça ne me fait pas spécialement plaisir de le dire. Et ça n’en fera pas davantage à la famille des victimes : simplement, ce sera juste, voilà tout. Le tueur s’en tire même à bon compte, si on y pense : on ne réclame pour lui aucune des circonstances terrorisantes qui ont probablement entouré son méfait, on ne demande pas à ce qu’il souffre, on le dispensera du viol qu’il a peut-être commis ; seul le résultat similaire est escompté, justement.

Le choix de l’abolition de la peine de mort est une décision qui a été confisquée aux français, ainsi que beaucoup d’autres comme celui de l’appartenance à l’Union européenne. S’il fallait aujourd’hui en rendre la décision au peuple par référendum, il n’est pas du tout certain que les citoyens opteraient pour le régime d’injustice actuel. Oui mais voilà, nous vivons dans une République et pas dans une Démocratie : on se fiche à peu près de ce que veulent les gens. On élit en tant que corps électoral, et puis les élus font ce qu’ils souhaitent. Le peuple français, au fond, n’a jamais de représentant. Un élu n’a aucun devoir légal vis-à-vis de ses électeurs.

Par ailleurs, toute société qui estime avoir une conscience humaine des victimes mesure comme la sanction doit, temporellement, se rapprocher au plus près du mal exercé. Un verdict n’est pas entièrement satisfaisant s’il s’éloigne excessivement du moment du préjudice : on éprouve une liberté temporaire du coupable, du moins une indécision institutionnelle, qui n’est admissible ni pour l’accusé ni pour le plaignant. On atermoie inutilement si les faits sont clairs – et ils le sont généralement et de plus en plus, l’avancée des moyens d’investigation rendant les incertitudes et les erreurs de plus en plus rares et même tout à fait exceptionnelles. Entretemps, on ne fait que bavarder et on produit un coût financier et émotionnel inutile et préjudiciable pour tout le monde.

Dans mes précédents exemples, on voit déjà comme notre justice française est absurde : elle n’a pas même, dans le premier cas, confiance en son impartialité, quand, dans le second, elle permet qu’on tue pour un maximum de huit ans d’emprisonnement.

Mais il paraît que l’homicide n’était pas volontaire. Examinons cela, je vous prie.

Tout débat sur les circonstances ou le mobile d’un crime est oiseux et sans intérêt légal, à mon avis : la Constitution indique qu’un crime ou qu’un délit n’existe que s’il y a volonté de le commettre. En cela, poursuivre quelqu’un pour un méfait insu ou involontaire est non seulement illégitime, mais largement contradictoire. On a oublié aussi cela.

Ainsi, ou bien le délit est consciemment exécuté et l’on doit condamner son auteur pour sa seule exécution, ou bien l’accusé doit être acquitté. Pas de demi-mesure : on est coupable ou innocent. Le milieu est un non-sens ; en l’occurrence, il n’y a pas de juste milieu : pour un motif d’inculpation, il n’existe pas de demi-innocent ou de demi-coupable.

Le concept de sursis notamment n’est rien d’autre chez nous qu’une complaisance coupable pour les coupables : dans notre « justice » actuelle, il ne consiste qu’en une absence de condamnation ou, si l’on préfère, en une condamnation conditionnelle, virtuelle et qui ne répare rien. « Si tu recommences dans les cinq ans, dit-on au condamné, il t’arrivera malheur » : mais pourquoi pas sur-le-champ ? pourquoi ce délai insensé ? et à quoi le condamné, au juste, est-il en effet « condamné » ? Le sursis aurait une vague légitimité, du moins, s’il impliquait toujours une peine principale : pas du tout. Aujourd’hui, quelqu’un qui a volé votre téléviseur peut très bien n’être puni que d’une amende avec sursis. Tant pis pour vous. À charge pour votre voleur de n’être pas de nouveau attrapé dans ce délai.

C’est pourquoi toute notre justice ne doit consister qu’à démontrer le fait du délit ou du crime, ou à acquitter.

Dans mon second exemple, le conducteur savait-il qu’il risquait de blesser ou de tuer quelqu’un en roulant trop vite, en franchissant des feux rouges, en conduisant soûl et drogué et en ne portant pas secours à la personne meurtrie ? Si non, on doit l’acquitter comme un fou irresponsable. Si oui, l’homicide est volontaire.

Point.

En ce sens, la distinction même entre meurtre (improvisé) et assassinat (prémédité) est stupide : il n’importe nullement aux familles des victimes de savoir s’il y a eu préparation du crime, du moins cela ne fait-il guère de différence pour eux s’agissant de leur réparation, car ça n’influe en rien sur l’importance toute factuelle du préjudice. Pour l’assassinat qui est davantage puni, on considère que celui qui a tué est plus dangereusement retors parce qu’il a élaboré un scénario. Le meurtrier, lui, serait « moins coupable » en ce que sa spontanéité, autrement dit son tempérament fougueux ou son humeur, l’aurait trahi.

Ridicule !

On préfèrerait donc conserver dans notre société des vifs, des nerveux, des brutaux, des incontrôlables en somme, à des concepteurs de plans ? Je crois sincèrement, si j’avais à choisir, que je préfèrerais vivre entouré d’assassins que de meurtriers : le premier présente l’avantage d’être un peu plus prévisible, de ne pas inconsidérément se laisser aller à ses pulsions ; j’ai l’impression, en gros, que si je ne nuis pas fondamentalement à un assassin, il me laissera tranquille, tandis que pour un mot de travers, pour une dispute, pour un regard, le meurtrier peut fort bien vouloir me tuer.

C’est là certes un avis tout personnel, toujours est-il qu’il n’y a pas lieu de juger ces hommes à deux aunes différentes, attendu qu’on ne doit logiquement les considérer que sur le rapport du préjudice causé ; et, en l’occurrence, c’est bien le même : la perte d’un individu.

Pour prouver l’extrême relativité de ces « circonstances » – et leur illégitimité à l’exception de la légitime défense –, qu’on ne considère que ceci : dans les pays anglo-saxons, le crime « pour motif passionnel » – ayant notamment pour mobile toutes les variétés de la jalousie – constitue en gros une circonstance aggravante : on considère que le vice était présent initialement dans le fruit criminel, que le meurtrier était pourri d’avance. En France, il s’agit au contraire d’une circonstance atténuante : on excuse plus ou moins le tueur d’avoir frappé sous le coup d’une passion soi-disant irrépressible.

Si l’on y réfléchit posément et bien méthodiquement, on verra qu’il n’existe pas une grande quantité de délits et de crimes : on rompt unilatéralement un contrat – il en existe de très nombreuses sortes. On abîme un objet appartenant à autrui. On le vole. On vole le corps d’une personne – enlèvement, séquestration. On blesse autrui psychologiquement ou dans sa dignité. On la blesse physiquement. On la tue. Tout cela, comme j’ai dit, doit être accompli volontairement. Une éducation publique, obligatoire et commune doit rendre consciente l’exécution de ces maux. Que personne ne puisse prétendre : « J’ignorais que c’était un mal, que c’était interdit. »

D’emblée, je ne vois pas autre chose qui ne puisse pas entrer dans une de ces catégories. On a certes créé maints autres délits ineptes et flous, avec des peines intermédiaires que même des avocats aguerris doivent difficilement comprendre avant de les apprendre par cœur. Aujourd’hui par exemple, si vous prononcez une certaine parole ou si vous regardez une certaine image, on peut vous condamner. On vous fait payer une amende si vous ne mettez pas votre ceinture de sécurité. Absurde. Incompréhensible.

Pour que la justice soit claire, elle doit aussi publier largement la liste des délits et des crimes et faire nettement entendre les châtiments systématiques qui sont prévus en aussi peu de catégories distinctes que possible. Ces châtiments, dans tous les cas, doivent s’étendre un peu au-delà du préjudice, pour compenser notamment les coûts qu’entraîne inévitablement une procédure judiciaire. Par exemple, dans le cas d’un vol, la restitution de l’objet est attendue, assortie d’une compensation pour le temps perdu par la victime à ne pas disposer de l’objet, plus une amende supplémentaire au « forfait » (à définir : ce pourrait être une proportion des ressources financières du coupable) – faute de quoi on prendrait toujours volontiers le risque de voler en n’ayant à perdre que le retour de l’objet du vol. Tant par cas, plus tant pour la société. Se débarrasser de la jurisprudence. La justice érigée en système. Ceci est évident et élémentaire. Simple et juste. Pas d’entre-deux inutile et abstrus, inconcevable. Le bon sens n’y voit, je crois, aucune objection.

On est bien loin, déjà, de la somme inassimilable de délits et de peines, toute relatives celles-ci, foisonnant dans nos codes innombrables et illisibles. Il ne s’agit que de proportionner, comme j’ai dit, le préjudice et le châtiment par un échelonnement clair des sanctions judiciaires.

J’ajoute que ces peines doivent être rigoureusement appliquées pour être justes et bien admises. Un juge qui prononce un verdict non réalisé est une dupe et un fantoche : à sa place, je n’accepterais pas de travailler dans de telles conditions de mépris. Les peines doivent pouvoir se cumuler, d’abord, comme dans la justice américaine : et comment comprendre, autrement, que le meurtre d’un individu soit inclus dans une sorte de forfait collectif, vingt ans de prison pour un meurtre et trente ans pour douze ? De plus, personne ne doit pouvoir « remettre » ces peines : or, notre tueur de piéton par exemple, qui sera vraisemblablement condamné à huit années d’incarcération, n’en fera effectivement, dans l’état actuel de notre système, que trois ou quatre, parce qu’il aura bien mangé et bien lu en prison.

Voilà pour les sains principes, clairs et inébranlables, s’ils n’avaient été dévoyés par une conception permissivement et mièvrement chrétienne du pardon et de la miséricorde supposée comme « idéal ». Cette justice catholique n’est pas humaine, simplement, pas pragmatique du tout si l’on préfère. N’ordonnez jamais à vos enfants d’excuser toujours le mal qu’on leur fait : ils ne sont pas formés ainsi, et vous pas davantage. Vous fabriqueriez des victimes consentantes et vous développeriez le mal en le permettant : c’est toute une vision de la normalité et des rapports de cause à effet que vous déformeriez. À l’homme de punir, et à Dieu de pardonner s’il existe et s’il veut ; pas l’inverse.

Notre justice n’a presque rien à voir avec la justice.

Partant, un dernier conseil, très sérieux, que j’appliquerais volontiers à moi-même à la première occasion : en France, si un mal flagrant vous est fait qui peut être attaquable et donner lieu à un procès, ne demandez pas justice, vous ne l’obtiendrez pas ; il vous faudrait du moins dépenser beaucoup de temps, d’argent et de préoccupation pour n’espérer obtenir à la fin qu’une peine dérisoire et injuste…

Non, si un mal flagrant vous est fait, répondez par vous-même, de façon proportionnée autant que possible.

Vous n’aurez, pour vous rassurer, qu’à songer que ce que vous risquez revient à peu près à ce que risquait votre agresseur – c’est fort peu. Vous aurez, au surplus, un régime de défense gratuit, et toutes les circonstances d’un mal seulement rendu plaideront en votre faveur, par comparaison.

Vous ne serez pas acquitté peut-être. On vous donnera du sursis. Et pour vous, ce sera la même chose.

Maintenant, imaginez ce que cette conception foncièrement installée dans une mentalité peut produire dans l’esprit d’un individu habitué à constater partout autour de lui des préjudices qui ne sont pas judiciairement réparés. Quelqu’un qui saurait empiriquement le régime d’impunité où il vit…

Voilà. Vous entendez nettement, et pour la première fois peut-être, la cause du mal de nos cités, ces zones « de non-droit ». Par ailleurs, quel policier feriez-vous vous-même si vous saviez que vos interpellations ne débouchent guère sur des poursuites, du moins sur des poursuites conséquentes ?

           

P.-S. : Certains diront, à maintes étapes de cet exposé : « Ce n’est pas si simple ! ce n’est pas si simple ! » : pourquoi voudrait-on que la justice fût compliquée ? Est-ce parce qu’elle l’est pour l’heure et qu’on n’envisage rien d’autre que ce qui existe ? Pauvres imaginations… Comme si l’on ignorait encore qu’en règle générale les choses les plus composées au-delà du nécessaire sont justement celles qui dysfonctionnent le plus. Est-ce que vous n’en avez pas assez, par exemple, de payer si cher pour l’électronique de votre voiture qui ne lui sert nullement à rouler ? Depuis que les machines à laver n’ont plus de courroies, elles tournent mieux et durent plus longtemps, etc, etc. Nous n’avons peut-être pas besoin d’une « machine » judiciaire aussi alambiquée si c’est pour qu’elle « tourne » si mal, confondant élémentairement le difficile et l’efficace, en particulier s’agissant d’une matière dont la vertu première est de ne réclamer, pour l’essentiel sensible, qu’une forme de clarté exemplaire.

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