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Henry War
12 septembre 2020

Ultracrépidarien

« Ultracrépidarien » est le néologisme à la mode pour qualifier quelqu’un qui donne des avis sans disposer de compétences reconnues sur le sujet. C’est très drôle à ce qu’il paraît, parce qu’avec ce seul mot on peut se moquer d’à peu près tout le monde sans aucun examen de ce qu’il dit, et qu’on peut critiquer celui qui rend des opinions sans y être invité comme si pour lui faire cette critique vous ne deviez pas vous aussi, en principe, présenter les gages d’une science, par exemple en rhétorique ou en dialectique. C’est : « Non, je n’écoute pas ! Tu t’avances hors de ton domaine, ultracrépidarien ! » – la référence antique, au surplus, sert d’accablement culturel, sans parler du latin ; rien que le mot assomme, imaginer encore la mine plaisamment ironique qui l’accompagne ! – Mais il faut se méfier des modes, surtout quand elles consistent comme celle-ci en un terme. Déjà, celui qui en use sans avoir une connaissance approfondie de Pline l’Ancien devrait, en toute logique, s’accuser de ce dont il rit avec tant de légèreté. Et puis, qu’est-ce que c’est, après tout, que la compétence ? Faut-il être politologue diplômé d’État pour parler politique ? Mais de quoi les gens discuteraient-ils, alors ? Est-ce donc aussi que le moins diplômé doit toujours se retirer du débat ? Nos épidémiologistes ont-ils jusqu’à présent donné grande impression de concorde et de science sur l’établissement des faits du coronavirus, y compris par rapport à de simples curieux, eux qui ont a priori tant d’étude et de pratique pour en disserter ?

Nul sujet ne devrait appartenir à un petit cercle d’initiés, ou bien les curieux seraient obligés de se taire – ce serait déclarer la fin de la curiosité. Le Contemporain doit comprendre que le remède à l’obscurité, ce n’est pas une somme de papiers validés ou d’années de pratique, mais la ressource de son intelligence, s’il consent enfin à s’en servir. Il faut aussi qu’il se rende compte que la grande majorité des gens n’exercent rien de façon professionnelle, qu’il est rare de rencontrer un travailleur minutieux et compétent. La qualité d'une idée ne réside pas dans le statut ni même dans l’expérience de qui la prononce : il faut peser cette idée pour la juger, et non la « qualité » de son émetteur. Ultracrépidarien dissimule mal un vice, qui consiste à fermer d’office toutes ses attention et réflexion à une pensée peut-être excellente au prétexte qu’une personne n’est pas « censé » pouvoir la former. Ultracépidarien contient un préjugé et une paresse typiques de notre ère : « Tu n’es pas qualifié, donc tu ne peux avoir raison », et aussi : « Une fois de plus, je ne me fatiguerai pas à entendre la contradiction ». Ultracrépidarien, c’est l’automatique excuse ad hominem de celui qui n’est plus capable de peser des arguments ad rationem.

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