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Henry War
24 mai 2021

Une certaine idée de la France

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »

De Gaulle, dans la célèbre et belle introduction à ses Mémoires de Guerre où il expose avec littérarité son aspiration pour la hauteur de la France, ne ment, pour ainsi dire, qu’une seule fois, et c’est sans le vouloir, en toute bonne conscience ; d’ailleurs il se contredit plutôt qu’il ne ment : « Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison » écrit-il. Or, si l’on examine de près le reste de la citation ainsi que les pages qui suivent, on lit bien des marques du sentiment, mais aucune de la raison : De Gaulle « se fait » une certaine idée de la France, mais tout ce qui la lui inspire, c’est lui-même et pas du tout le constat de la France, autrement dit, parmi ce qui l’incite à donner de la valeur à la France, se trouve ce qu’il y a en lui « d’affectif », son « instinct », une « impression », une « sensation » dont le concret se mesure à « la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs » et dont « le côté positif », dans une formule paradoxale si l’on entend « positif » au sens de « scientifique », émane selon lui non pas des faits, mais bien « de [s]on esprit ».

De Gaulle non seulement se convainc, mais il se persuade de la valeur de la France. Il a plus intérêt, personnellement, à se penser au milieu de semblables qu’à s’estimer comme une solitude circonvenue d’imbéciles ou d’irresponsables.

C’est le défaut essentiel des Zemmour, des Onfray, de tous ceux qui, tôt ou tard, par aveuglement ou pour s’attirer des alliances, supposent le Français et la France vénérables. Ils prennent à témoins des figures comme De Gaulle, affirment qu’il était l’incarnation de la France, un parangon de Français, tandis qu’en vérité De Gaulle, ainsi que les autres exemples qu’ils élisent, était ou bien un Sur-Français ou bien un Anti-Français, selon comme on voit les choses. De Gaulle n’a pas représenté la France, mais il l’a sublimée, et ce faisant, il l’a travestie ; si l’on y regarde de près, tous les grands Français constituent des exceptions parmi les Français. D’ailleurs, la preuve la plus inaltérable de ce que j’avance, c’est que ces Grands ont presque tous été fortement décriés au sein de leur propre pays, De Gaulle compris. Il n’y a que la victoire que les Français respectent d’office, parce qu’elle représente pour eux la sécurité : ils s’allient à ces héros au dernier moment, usurpent leur gloire par opportunisme. On oublie que De Gaulle était largement conspué avant et au début de la guerre ; ses supérieurs, qui incarnaient, là, une France bien traditionnelle, le brocardaient, agacés par ses mines hautaines et ses suggestions dont l’initiative contenait une sorte de blâme. Le Français déteste qu’on le corrige.

Voir la France telle qu’elle est, c’est cesser de se figurer sa respectabilité d’office et son image a priori ; c’est, surtout, admettre que la valeur d’un pays se situe ni plus ni moins dans la somme de valeurs de ses compatriotes. De Gaulle trahit d’ailleurs sensiblement la conception opposée à ce bon sens pratique quand il parle de la « destinée » de la France : ce simple mot de « destinée », qu’il emploie au lieu de « destin », un bon classique comme lui l’entend comme l’idée d’une influence individuelle au lieu de générale : il voit ainsi la France comme une entité indépendante de ses citoyens, dont le futur se départit du collectif ; il se fait une pensée abstraite d’une chose seule qu’il appelle « France » et qui ne dépend que de son propre progrès perpétuel. La France, en quelque sorte, soutient ses hommes comme un idéal, et non l’inverse ; il n’y aurait donc pas besoin d’évaluer la qualité particulière des Français : c’est qu’une « destinée » les mènerait. Concept absurde, irréel, fantasmatique, romantique. Je ne m’occupe jamais, quand je parle de la France, de son histoire, de ses symboles, de sa réputation et de toutes les suppositions plus ou moins déformées qui servent à complaire, je ne m’intéresse qu’aux faits, réels et actuels, incarnés par des hommes. Le Français est un contemporain, et en tant que tel, il ne vaut presque rien. Ce sont des veaux. Ils sont bons pour le massacre. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. Les Français sont comme ça depuis les Gaulois. Hannibal qui recrutait des légions pour battre Rome écrivait à son frère Hasdrubal, qui levait des mercenaires en Espagne et dans les pays voisins : « Ne prends pas trop de Gaulois. Ce sont des ivrognes. Ils sont courageux dans l’action, téméraires au combat, mais vite découragés et jamais contents. » César disait à peu près la même chose. Il ajoutait : « Ils sont palabreurs et n’arrivent à s’unir que face au danger. » Vous voyez, deux cents ans avant Jésus-Christ, on définissait assez bien les Français d’aujourd’hui. La France vacharde. Cela veut dire qu’elle tombe dans la veulerie et qu’elle cherche à donner le coup de corne ou le coup de pied de l’animal rétif à ceux qui veulent la faire avancer. La mollesse française est d’une extrême épaisseur.

Ah ! j’oubliais : à partir de « Ce sont des veaux », tout est de De Gaulle lui-même, extrait de De Gaulle, mon père et rapporté par son fils – je vous demande bien pardon d’avoir omis les guillemets, mais ça me paraissait – pédagogique ! Il semble, n’est-ce pas ? que de Gaulle se soit quelque peu repenti du flatteur portrait liminaire de ses Mémoires. Ce qu’on écrit publiquement, paraît-il, ne vaut pas toujours en franchise ce qu’on pense et dit dans son obscure domesticité familiale.

« L’idée », qu’elle soit positive ou négative, qu’on se fait d’un pays n’a pas le moindre profit : c’est un préjugé comme un autre, rien de plus. Cela fait proférer son lot de bêtises, parce qu’on préfère voir ce pays en idée plutôt que tel qu’il est en vérité : c’est ainsi que, contre toute réalité, la France demeure, pour certains, un « pays chrétien », de « culture gréco-romaine », et portant des citoyens « rebelles et libres ». Moi, quand j’y regarde sans préjugé ni passion, je ne vois que des athées ou des gens qui ne pensent à Dieu qu’en des circonstances rares, des églises vides, des gens sans culture spontanée, sans connaissance ni héritage intellectuel de l’ordre du supérieur, des habitants obéissants, embourgeoisés et loin de porter un idéal suffisamment actif pour être considérés libres. Je veux bien, moi, qu’on fasse toutes les allégations qu’on veut : ça flatte toujours, ça remplace un examen sérieux, ça compense ce qui est au profit d’une vantarde surestime, mais qu’on n’aille pas prétendre savoir de quoi on pérore. On se fait « une certaine idée de », ça signifie : on ne mesure pas la réalité, on ne s’y intéresse pas du tout. On ne peut certainement pas reprocher à De Gaulle, à Zemmour et à Onfray, de manquer de générosité, mais pour ce qui est de décrire un état de fait, ils font dans l’imagination, ils s’illusionnent, c’est manifeste. Ils sont certes fidèles à une vision, mais ce fantasme planté dans les yeux s’interpose entre ce qui est et tout ce qu’ils prétendent. Je ne les ai jamais entendus, si intelligents qu’ils sont par ailleurs, argumenter sur la valeur de la France d’une façon qui parût raisonnable – et l’on voit comme De Gaulle lui-même n’use du mot de « raison » qu’en manière de formule, sans jamais parler de preuve, sans rien vouloir démontrer, sans nul argument qui ressortit de l’esprit critique. Au mieux, ils ne font que se citer entre eux, et ils en appellent à un sentiment commun, et ce sentiment, justement, consiste en ce que les Français voudraient être mais qu’ils ne sont point : ces derniers appellent cela leur « identité nationale ». Je me demande comment ils peuvent vraiment y croire : ils ont tant le souci de se rassurer sur ce qu’ils sont qu’ils en oublient tout discernement ; ils ont besoin de se sentir de la valeur, mais bien sûr, ils osent peu, ils ne lisent presque pas, ils sont médiocres dans leur travail, ils ne réalisent jamais d’œuvre – mais ça va, ce sont sans doute des détails auxquels on ne doit pas regarder, ce ne sont point là certainement des critères fiables de jugement, car heureusement ils ressentent en eux un « élan » qu’ils appellent « amour de la patrie », alors ça va bien, c’est bien suffisant comme preuve. Je n’exige pas qu’on me croie sur parole, mais j’explore le contemporain, moi, je fixe en lui aussi profondément que je puis, et je n’y vois pas De Gaulle, pas du tout (depuis quand, lecteur, une réunion où tu étais convoqué a commencé exactement à l’heure ? Rien que la ponctualité est une trop grande exigence pour le Français !). C’est ce qui me détourne en partie de ces hommes malgré tout supérieurs, mais trop maladroitement bavards sur ce chapitre ; j’ai l’impression que leur besoin d’amitiés leur fait porter des louanges à tous ceux qui les entourent : Zemmour et Onfray, par exemple, étaient conspués au début de leur carrière (Zemmour surtout), on ne leur parlait partout qu’avec hargne et mépris, ils enduraient les charges automatiques qu’on adresse aux partis « extrêmes » et puis ils ont trouvé, semble-t-il, qu’ils devaient admettre le Français comme un être honorable pour s’en attirer les faveurs, et à présent qu’on les consulte et qu’ils rencontrent partout des visages accueillants, qu’on voie comme ils exultent en cette compagnie (Zemmour surtout) ! Vraiment, je les aime bien, De Gaulle aussi, mais il ne faut pas les écouter sur la France, ils ne savent pas ce qu’ils en écrivent, ils savent peut-être ce qu’ils en disent mais on voit que ce n’est pas toujours la même chose (Zemmour a déjà déclaré combien les réseaux sociaux le désolent ; or, ces lieux assurément, mieux qu’aucun autre, représentent le Français), et, tôt ou tard, quand ils ont accédé au pouvoir, on les trouve à faire tamponner en série toutes sortes de certificats de mérite et de médailles pour accréditer leurs visions d’une France unie dans la Résistance ou dans la Culture ou dans toute autre chose de haute nature, et alors il n’y a plus que de piètres fantoches exhaussés comme des Sartre ou des Malraux qui en bénéficient. Non : on doit plutôt se servir de son souffle pour vérifier sur son contemporain ce qui reste ou ce qui part en lambeaux à la façon des maisons de l’histoire traditionnelle des cochons, et non pour le gonfler comme une baudruche en attendant le temps où la providence se chargera peut-être de l’exhausser en le rendant aussi grand qu’il a l’air, ainsi tout chargé de vent – ce temps où le parleur laudatif se sentira béni que le hasard ait heureusement confirmé l’excès fébrile de ses aventureuses déclarations sur d’anciens avortons qu’il avait fallu flatter.

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Commentaires
A
Certes mais doctus com libro c'est un peu de l'arnaque (sourire). Désolé.
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A
Sed medium uirtus ?
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A
Je ne l'approuve mais la constate, c'est bien le plus certain des universalismes. Je suis d'ailleurs moi-même un individu médiocre n'ayant que peu accompli, ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais peut-être la faute d'avoir succombé à certaines tentations, ces paris incertains. Le milieu c'est moyen, n'est-ce pas ? Pas besoin d'être médium pour révéler cela.
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A
Avec un ordinateur d'emprunt, je me réjouis de redécouvrir du grand Henry, magister d'HistWar. Je n'épouse pas l'intégralité des contours ici décrits, néanmoins j'adhère à la vision globale, si ce n'est que je n'ai jamais déconsidéré la médiocrité comme liant commun et cela pour quasiment tous les peuples, car il est question d'individus. Et puis la mollesse est très moderne, l'assoupissement ronronne et parfois s'indigne soulevant son cul avant bien d'admettre se faire enfiler le bon suppositoire. A bientôt...
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