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Henry War
8 juin 2021

Pour évaluer l'homme avec vérité

« Vous direz sans doute, en vous servant de la langue judiciaire, que, pour donner ma preuve a fortiori, je devrais plutôt sous-évaluer l’énergie nécessaire dans ce cas que réclamer son exacte estimation. C’est peut-être la pratique des tribunaux, mais cela ne rentre pas dans les us de la raison. Mon objet final, c’est la vérité. »

Ce qui permet à Dupin, dans le texte de Poe, de résoudre le mystère du double assassinat de la rue Morgue, je veux dire la logique exclusive et imparable de l’évaluation rigoureuse des forces en présence, est précisément ce dont il ne faut point se départir quand il s’agit de mesurer la réalité du matériau humain. La « pratique des tribunaux » que l’auteur évoque, faisant place au bénéfice du doute et réclamant un scepticisme d’office quant à l’idée que l’accusé serait capable d’être aussi malin ou aussi fort, trouve son équivalent dans la pratique du jugement sur l’homme supposant que nul ne peut être aussi mauvais ni défectueux qu’il n’y paraît, même après examen : dans les deux cas, on cherche à innocenter en présumant l’absence de caractères propres au vice ou au crime. Mais, certes, « cela n’entre pas dans les us de la raison » : pourquoi présumer dans un sens ou dans l’autre ? Si l’homme ne vaut rien, pourquoi s’en dédire ? Je ne prétends que définir ce qu’il est, il ne s’agit pas pour moi de le blâmer, j’œuvre en scientifique, non en avocat : « Mon objet final, c’est la vérité ». La qualité d’humanité qui intrinsèquement est censée m’unir à la destinée de chacun et de tous et me faire compatir aux faiblesses humaines jusqu’à les ignorer ou les excuser doit-elle induire que je me leurre sur les vertus générales au point de me sentir représenté par ceux dont, par intérêt propre, j’admettrais les facultés de bonne volonté pure et d’auto-correction ? C’est certainement à cause de cette « vertu »-là que rares sont ceux à avoir dressé correctement le portrait de l’homme : à force de se considérer d’emblée comme hommes et de supposer que l’Homme nous ressemble, on en vient à former toutes sortes de préventions en sa faveur pour s’en reconnaître représentants ou responsables, comme dans la célèbre et très absurde citation de John Donne en exergue de Pour qui sonne le glas ; une grenouille trouverait au chant de ses congénères une grâce suprême. Il faut juger environ les hommes comme si l’on était grenouille, et ne rien refuser d’observer et de rapporter. C’est mon dessein et mon œuvre, dans mes articles de la Psychopathologie du contemporain, de n’aller point fabriquer des visions ou des illusions. Quand on me trouve dur tandis qu’on est incapable de me réfuter, cela ne signifie qu’une chose : c’est que l’humanité, objectivement, vaut et mérite moins que ce que l’humanité elle-même se présuppose ; mais, pour moi, la critiquer neutrement, ce n’est ni me vanter ni me calomnier, car dès lors que je l’examine et la juge, je n’y suis plus, je n’en fais plus partie.

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Commentaires
A
N'étant plus très sûr de la vérité de mon intimité, tout évaluation en quête d'exactitude me parait être une croyance qui égrènera le fossile sarclé par un avenir amnésique que mes perceptions s'illusionnèrent à croire être un autre phénomène.
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