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Henry War
31 juillet 2021

Les enfants évincés

Je m’étonne encore qu’on se soit tant scandalisé de la tournure utilisée par M. Blanquer pour évoquer le traitement applicable aux enfants non vaccinés qu’il faudrait évincer des classes (« évincer » est le mot incriminé) s’il s’y déclarait des cas de Covid à la rentrée : on ne s’est pas semblablement formalisé de ce que M. Véran, en pleine Assemblée nationale, ait ironisé sur la difficulté qu’il y avait à imposer légalement que les listes de personnes non vaccinées soient transmises d’autorité aux médecins (il admettait qu’on était malheureusement obligé pour des choses si futiles et négligeables, dans notre très regrettable pays de procédures, d’en demander la permission à la CNIL) ; je veux dire, concernant M. Blanquer, que son expression était déjà un euphémisme, c’est-à-dire qu’elle procédait justement d’une volonté d’atténuation. Qu’on considère le fait plutôt que la formule et l’on trouvera que le ministre a fait du mieux qu’il a pu, qu’il n’a pas du tout été maladroit, au contraire, et qu’on aurait bien de la peine à dire la chose d’une manière moins brutale : on « évincera » ces enfants, qu’est-ce donc que cela signifie concrètement ? Eh bien ! cela signifie qu’ils ne seront pas « acceptés » en classe, qu’ils seront « exclus » des cours ordinaires, qu’on les « renverra » ou qu’on les « empêchera d’entrer » dans leur établissement scolaire au motif de leur non-vaccination alors qu’ils ne seront pas davantage contagieux que les autres puisque pas même malades. On voit bien que parmi la multitude de synonymes pour l’exprimer, « évincer », tout compte fait, est une jolie périphrase ! cela vaut toujours mieux que « virer » !

Dois-je encore m’attarder, après cela, à expliquer que le fait lui-même de « l’éviction » n’est non seulement sans doute pas légal, mais manifestement pas applicable : outre la flagrante et injustifiable discrimination que cela induirait, outre le fait qu’il faudrait rendre obligatoire la transmission de la donnée de cette vaccination pourtant facultative aux établissements scolaires, personne n’entend comment un professeur, faisant son cours normalement avec une partie de ses élèves, devrait au surplus et pour le même salaire proposer en différé le contenu identique de ce cours à ceux qui sont tenus éloignés de la classe et doubler ainsi sa charge horaire, à moins bien sûr d’une vidéoconférence en direct (ce qui pose encore le problème d’une inégalité de traitement pour l’élève et pour les familles). L’Éducation nationale est forcément consciente de cette difficulté puisque, jusqu’à présent, chaque fois qu’il a fallu confiner une classe, elle n’a jamais, à ma connaissance, proposé que les cours soient ainsi divisés sauf à diviser d’autant le nombre d’heures hebdomadaires de ces cours… et M. Blanquer lui-même paraît le savoir, à la façon dont il est incapable de dissimuler l’embarras que lui provoque cette annonce au moment où il la fait (nos politiciens déjà mauvais sont même devenus de mauvais acteurs). Seulement, il s’est avéré que de pures menaces avaient déjà produit d’importants effets sur la vaccination, c’est pourquoi on lui demanda d’en faire d’autres. Pour autant, même s’il eut conscience de ne pas pouvoir réaliser ses déclarations, M. Blanquer confirma la crise profonde, chez l’homme politique contemporain, de ce qu’on pourrait appeler le « sens de la légalité démocratique » : les nombreuses critiques émanées des Défenseurs des Droits ainsi que les retouches récurrentes du Conseil d’État aux propositions des parlementaires indiquent de façon inquiétante combien les ministres, députés et sénateurs n’ont plus de scrupules à proposer des lois qui s’opposent de plus en plus évidemment à la légalité, parce que n’ayant guère en général reçu de formation de juristes, ils ne disposent pas des fondements même de l’esprit des lois de leur République et de leurs Institutions. Il suffit, pour être édifié par cette réalité, de rappeler une phrase liminaire du discours du 12 juillet de M. Macron : « Partout, nous aurons la même démarche : reconnaître le civisme et faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous » : jamais on n’a proposé une définition plus nette de la notion même de discrimination pour un acte – la vaccination – qui n’est pas plus obligatoire, par exemple, que de se faire blanchir la peau quand on est noir ou de dire bonjour à son voisin quand on est musulman.

Quant à moi qui ai déjà déposé un recours pour discrimination auprès du Défenseur des Droits relativement à l’application du passe sanitaire, si j’étais professeur, je n’entends pas comment je tolèrerais d’organiser ou de participer à une discrimination à l’encontre de mes propres élèves quand je travaillerais par exemple sur la ségrégation raciale aux États-Unis ou sur la devise de notre Nation : si un cas de Covid devait se déclarer, il me faudrait donc me résoudre à l’abandon de cette classe plutôt qu’à sa partition qui ne se justifierait par aucun état de contagiosité d’enfants en particulier ; j’aurais à défendre ma « liberté de conscience ». Alors, dans le temps de la suspension de mon traitement salarial, j’en réfèrerais de nouveau au Défenseur des Droits, non sans avoir enfin l’occasion de réclamer auprès du Conseil d’État sous la forme d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité qui serait bien pour le gouvernement, à cause de son exemplarité et de ses chances de jurisprudence, une procédure des plus inopportunes et embarrassantes.

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