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Henry War
28 octobre 2021

L'argumentaire chrétien

Il n’existe guère de plus patente manifestation de mauvaise foi qu’en l’expression de ceux qui prétendent justifier leur croyance par la raison : c’est toujours soutenir l’absurde intérieur par des aspects de logique objective. Pascal, notamment, fut un génie de cet embrouillamini spécieux où l’on distingue surtout la volonté opiniâtre de persuader sans les ressources de la science : uniquement des segments décousus, ponctuels et illusoires en tiennent lieu. Une sorte d’empressement remplace les transitions solides et l’esprit scrupuleux de conséquence. Un argument réfuté, présenté un moment comme majeur, est bientôt délaissé au profit d’un autre qui passe soudain opportunément pour tenir plus de place dans l’ordre et la priorité des réflexions. C’est un pêle-mêle peu structuré où la profusion est supposée jouer essentiellement le rôle de vérité éclatante : le contradicteur a beau réfuter chaque proposition une à une avec méthode, il est censé reconnaître que, dans le lot abondant de ce qui tient à passer pour arguments, l’une d’elles échappe nécessairement à sa sagacité même s’il pense l’avoir efficacement contredite, et que, dans le doute, il devrait au moins s’y résoudre provisoirement et par suite l’accepter peu à peu comme l’implacable instrument de sa conversion. Le Chrétien use de cette multiplicité de pensées insuffisantes pour forcer à admettre tacitement l’entêtement et l’obstination coupables du contradicteur, comme si la dénégation systématique, même argumentée et juste, devait arracher la sensation qu’on s’oppose avec acharnement et illogisme. Mais ce croyant, pour arriver à ce résultat, change sans cesse d’idée directrice qu’il expose sans hiérarchie, de sorte qu’en vérité ses représentations ne consistent qu’en la variété d’un seul procédé, à savoir : partir de la thèse admise et lancer là-dessus les préjugés les plus impressionnants et éhontés pour tâcher de prendre par surprise la raison trop obligeante et quelquefois étourdie.

Un catholique comme Pascal n’a jamais alimenté un fond de réflexion très construit. Il ne fut point, comme on le vante, un esprit méticuleux ni profond, mais un rhéteur d’illusion, un dialecticien du jamais-tort, l’ancêtre de nos politiciens qui vous amènent plutôt à considérer le profit de parier en faveur de ses certitudes que les motivations distanciées et irréfragables de vos réflexions et de vos actes. Il y a moins de différence qu’on ne suppose entre lire « La Tour de garde » et le discours préparé d’un ministre contemporain : dans les deux cas, on les voit partir de ce qu’il faudrait démontrer, et on les sent forcer grossièrement les raisons d’y croire. C’est ainsi que la meilleure démonstration de ce qu’il faut se fier à la Bible, c’est de prouver qu’elle dit vrai même quand elle se contredit, ce qui se vérifie quand elle évoque une toge pourpre puis la même toge violette parce que chacun sait que le pourpre et le violet sous une certaine lumière se confondent. Semblablement, le gouvernement ne s’est jamais trompé quand il a préconisé de porter tel masque et quand peu après il a réclamé d’en revêtir d’autres. Il ne s’agit que d’omettre les vraies apories, de passer sous silence les bêtises et les erreurs les plus criantes, en l’occurrence : toute datation de l’homme dans la Bible ou l’interdiction des masques sous ce gouvernement. L’important est que le moyen concourt à faire croire en Dieu ou au Président : la raison n’a que peu d’importance pour atteindre ce but, et même le mensonge devient pieux. Même, quelque fanatisme peut aisément emballer un enthousiasme « positif » que la conscience porte alors comme supérieure vertu, au point qu’on n’a plus cure de se rappeler ses turpitudes puisque la cause est considérée comme belle et juste, puisqu’on ressent le bien de sa position et de ses défenses, puisqu’on oblitère tout de ses astuces captieuses et de ses pièges volontairement retors.

Tout se substitue à la Fin, et l’on n’est plus certain que d’une chose, c’est que l’ennemi mérite les indignités qu’on lui fait, parce que l’Idole mérite toute indignité qu’on se fait à soi-même, à son intégrité et à ses principes, et, quel que soit comme on transige avec soi, il ne faut que parvenir jusqu’à Elle et Lui permettre d’advenir. Pire : ce qu’on a déjà compromis dans cette guerre indique la mesure de tout sacrifice à venir et implique la réitération admise du même ordre de perfidies et de déshonneur : quand sa propre grandeur est altérée à ce point, on ne revient plus jamais sur tel abaissement qu’on a accepté et dont l’embarras est passé, dont on se blase du choc. On aurait tort de situer l’origine d’une moindre pensée logique chez un auteur croyant : on se trompe, on mélange le raisonnement juste avec l’apparence de la logique et ses procédés superficiels, on ne considère que les moyens hypotaxiques d’enchaîner des propositions, cette scholastique si chère aux universitariens, et c’est plutôt l’origine du sophisme méthodique qu’il faut voir dans ces « maîtres », cet emberlificotage si malencontreux et indésirable à l’esprit de vérité, le travestissement presque systématique de la réflexion au service d’un but jugé prioritaire sur l’accès à une révélation sûre et dure, un machiavélisme qui, à force d’usages et d’oppositions rendues sur un mode analogue, devient décomplexé en désespoir de cause et s’oublie tel faux qu’il est.

J’ai déjà exprimé ailleurs la confondante similitude entre la pensée contemporaine et la pensée du croyant, ces amalgames de superstitions désordonnées et superposées qui leur servent à conforter leur petit peu de préjugés qu’elles appellent « opinions » ou « convictions » et qui valent en arguments la foi aveugle du plus obscurantiste des partisans. En rédiger une satire est assez drôle, probablement aussi drôle qu’inutile d’ailleurs, en ce qu’on n’imagine pas un de ces partisans l’aller lire ni en tenir compte. C’est toujours deux mondes qui ne se rencontrent point, en rupture totale, mais l’un est apte à comprendre les bêtises de l’autre, tandis que cet autre ne fait qu’ignorer et qu’oublier les pertinences du premier, pour sa tranquillité et son confort – ce dont j’ai déjà parlé ailleurs, également.

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