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Henry War
5 janvier 2022

Fin des Féaux comme maison d'édition

Valérie m’annonce qu’il faut fermer Les Féaux, finalement : les ventes sont trop faibles, les manuscrits ne sont pas de la qualité espérée de sorte que je ne puis en conscience en valider de neufs, et le défi des 30% de droits d’auteur réduit la marge de la maison qui n’aurait plus eu les moyens d’investir dans un nouvel ouvrage. En de telles entreprises, il faut compter sur un succès assez prompt, ou se résoudre à se retirer avant des pertes importantes.

C’est dommage et c’est triste. C’est tout de même un enseignement.

J’ignore décidément s’il existe un public pour acheter et promouvoir des livres supérieurs et artistes en quantité, un public abondant constitué de vrais lecteurs c’est-à-dire de lecteurs tout court ; c’est ce que la tentative des Féaux n’a pas réussi à démontrer. La fierté que j’avais à savoir mon roman publié m’a fait négliger peut-être de réfléchir aux moyens de le vendre davantage : je n’ai guère de famille solidaire, presque pas d’amis. Si une structure comme celle-ci n’avait pas besoin de rentrées financières considérables, il lui fallait pourtant de quoi se soutenir quelques mois après chaque sortie : mon peu de relations ne pouvait le permettre, puis le choix d’un écrivain sous pseudonyme en second titre n’offrait guère non plus de quoi écouler immédiatement le livre – c’est pourtant indéniablement un excellent roman, le meilleur manuscrit que j’ai lu, et je ne regrette pas sa publication.

Mais sans doute faut-il à un éditeur émergent un réseau initialement plus vaste, ou accepter d’imprimer à la demande comme d’autres sont nombreux à le faire : l’impression coûte plus cher, le bénéfice est donc moindre, oui mais le livre est payé d’avance. Peut-être existe-t-il aussi un moyen de comprimer les charges un peu plus... En tous cas, je crois qu’à présent il est nécessaire de construire pas à pas une façon de cercle ou d’association, avec ou sans statut juridique, de manière à entretenir des échanges sur la littérature, à alimenter le goût du livre, à assumer et à asseoir le refus du bouquin commercial et majoritaire ; c’est pourquoi j’ai demandé à Valérie de ne pas fermer son compte TikTok qu’il suffirait de renommer dans la mesure du possible – je ne fermerai pas le mien, même si j’y poste encore peu de vidéos, mais on me trouvera toujours à henrywar.canalblog.com, blog que j’alimente au moins tous les trois jours, et sur Facebook. Il est imaginable, je pense, de réaliser des articles, de proposer des concours, et peut-être d’imprimer des recueils collectifs. C’est à voir, après l’espèce de commotion de la fermeture qui oblige à des formalités fastidieuses, si Valérie et moi trouverons l’énergie de lancer quelque projet alternatif.

Oui, il reste sans doute à faire ; je refuse de désespérer du monde béotien où nous sommes. Si les acheteurs des Féaux constituent assurément un public « de niche », il n’est pas exclu que cette niche puisse augmenter lentement par cooptation et par réputation, par révélation aussi de ce qu’un homme curieux découvre de profond en lisant pour une fois un bon texte, qu’elle devienne un édicule, puis un édifice, puis un monument, et qu’à la fin on n’y relègue plus seulement les chiens intempestifs que, pour l’heure, nous assumons d’être. Une chose me paraît sûr : c’est que, dans l’esprit de féauté propre à l’idée de Valérie, aucune espèce d’union de la sorte ne peut réussir avec la forme d’égoïsme passif caractéristique de la société contemporaine. Autrement dit, il ne suffira pas d’admirer dans son coin, sans prosélytisme, sans engagement, pour faire éclore une communauté, mais on devra plutôt plébisciter et promouvoir avec activité et résolution la fédération des derniers auteurs et lecteurs. C’est ce qui manque à notre époque, et c’est assurément ce qui a manqué aux Féaux rien qu’en partie pour se maintenir : la publicité, non des grandes marques, mais des individus, publicité des personnes sans le règne de l’argent et de l’investissement colossal. Si vous aimez une chose et souhaitez qu’elle se conserve et se perpétue, faites-lui une visite assidue, encouragez-la de vos participations régulières, trouvez-lui d’autres séides pour que sa solitude ne la mette pas en état de désespérance. J’ai parfois songé, moi aussi, à fermer mon blog pourtant gratuit, parce que les visites y étaient rares et ne se résumaient qu’à des gêneurs. On ignore parfois comme ses amis ont besoin d’un effort conjoint pour poursuivre leur œuvre, et c’est une surprise pour beaucoup que les Féaux soient aujourd’hui obligés de fermer : on ne l’aura pas anticipé, mais aussi, fallait-il signaler davantage la difficulté de la maison, tandis que nos articles et sollicitations indiquaient tant, et depuis le début, qu’il était plus que jamais temps de s’impliquer et de combattre ? On s’habitue ainsi à de paresseuses adhésions, on profite de contenus libres dont on suppose qu’ils ne coûtent rien à personne, on « like » parfois en s’arrogeant ainsi le profit de la bonne conscience, mais on n’a rien fait, on n’est qu’un petit cliqueur obscur et timoré, sans consistance. Combien de correspondants se sont promis qu’ils achèteraient un livre des Féaux, remettant toujours leur action sans la commettre ? Eh bien ! L’éditeur bientôt n’a plus supporté d’attendre leur achat, tout bonnement. Ce n’est pas par aigreur que j’explique cela, c’est pour corriger et responsabiliser par l’effort, comme je m’y suis toujours engagé, et s’agissant même de tout autre chose que vous appréciez : la société du divertissement et du confort rend amorphe et apathique, on jouit de ce dont on profite sans participation depuis l’autre côté d’un écran anonyme, et alors, quand la chose disparaît, la conscience se trouve libérée en songeant automatiquement que ce n’était pas sa faute. On se rend vers quelque nouveau support disponible, oubliant l’ancien qui s’est épuisé de ce long vide… Vous aimez ? Vous adhérez ? Eh bien ! encouragez et oeuvrez ! ceci passe nécessairement par quelque don, autrement par quel moyen réussirait-on ? Par exemple, les élections présidentielles approchent : est-ce donc que vous vous contenterez comme chacun de regarder les journaux télévisés et de glisser votre bulletin au dernier moment ? Faites ainsi si vous le voulez, rien ne vous en empêche, mais c’est bien à la fin que vous mériterez le petit univers de fantoches vils et de veuleries mesquines qui risque fort d’advenir d’une société où l’individu a disparu pour laisser place au consommateur.

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